L’Impératrice Eugénie par Gustave Legray sur une commande du Pacha d’Egypte

Auteur(s) : AUBENAS Sylvie
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L’Impératrice Eugénie par Gustave Legray sur une commande du Pacha d’Egypte
L'Impératrice Eugénie par Gustave Legray 1869

Notre portrait présente un intérêt historique majeur. Il s’inscrit, en effet, dans le contexte historico – politique du Second Empire et  témoigne du travail d’un artiste qui se disait avant tout peintre, et qui doit sa célébrité à ses photographies.  Si l’œuvre photographique, après une longue éclipse, n’a été redécouverte que depuis une vingtaine d’années, l’œuvre picturale demeure secrète.
Ce tableau est l’un des deux seuls exemplaires recensés de Gustave Le Gray peintre.

Gustave Le Gray (Villiers le Bel 1820 – Le Caire 1884)

Gustave Le Gray, qui se définissait lui–même comme peintre, est une figure majeure de la photographie du XIXème siècle au côté des Baldus, Fendon, Nadar, Nègre…

Né au sein d’une famille de bourgeois aisés, il renonce à une carrière de notaire et décide de se consacrer à la peinture, porté par la génération romantique. Il commence ses études aux Beaux- Arts dans l’atelier de Delaroche en 1842, et séjourne, à partir de 1843 durant plusieurs mois, à Rome où il vit un véritable éblouissement artistique. Il fit un mariage hâtif et malheureux. De retour définitivement en France en 1847, il poursuit sa formation par la fréquentation du Louvre et du Cabinet des Estampes. Il s’établit rapidement comme peintre et fut  admis au Salon de 1853 avec le Portrait de Madame G. L…, puis comme photographe.

Comme beaucoup de ses confrères photographes de l’époque, Le Gray a reçu comme enseignement de base une formation de peintre qui se manifeste dans les différents sujets qu’il aborde : portraits, paysages, photos d’œuvres d’art…, ainsi que dans un certain sens esthétique. Il se consacre également à l’étude scientifique et à la recherche, mettant au point deux inventions : le négatif sur verre au collodion en 1850, et le négatif sur papier ciré sec en 1851.

Ses premiers portraits photographiques attirent rapidement une clientèle aisée, et il admet ses premiers élèves photographes à partir de 1849. Gustave Le Gray reçut ensuite des commandes directement de la Cour. En effet, dès 1852, il photographiait les étapes de la marche vers l’Empire.

L’année 1855 marque un tournant dans ses activités, puisque associé à la famille Briges, il ouvre un important atelier boulevard des Capucines, qui deviendra un endroit incontournable dans un Paris devenu capitale de la richesse, des Arts et du demi-monde.

En mars 1856, événement dynastique capital après le mariage de Napoléon III avec la belle Eugénie de Montijo (30 janvier 1853), un héritier mâle voit le jour. Le baptême est célébré à Notre-Dame de Paris le 14 juin, et, pour immortaliser cette solennité, le peintre Thomas Couture, élève de Delaroche comme Le Gray, est chargé de produire un grand tableau. Les portraits de l’impératrice que Le Gray réalisa durant l’été 1856 au château de Saint-Cloud étaient des études préparatoires pour ce grand tableau, jamais achevé, de Couture : l’attitude d’Eugénie correspond exactement à celle qu’avait choisie le peintre pour en faire le centre de sa composition.
Malheureusement peu rentable malgré le succès (Le Gray consacrant la majeure partie de son temps à ses propres commandes), l’entreprise est mise en liquidation en 1860. Toute sa vie, Le Gray sera déchiré entre son idéal artistique et les contraintes « commerciales », imposées notamment par l’entretien d’une famille.

Ismaïl Pacha (Le Caire 1830 – Constantinople 1895)

©SebertIsmaïl Pacha succède comme Khédive d’Égypte à son oncle, Saïd Pacha. Fils d’Ibrahim, il est le petit fils de Mehmet – Ali. Ce dernier, d’origine albanaise, avait été envoyé en Égypte comme commandant des armées turques contre Bonaparte. Il y prit le pouvoir en 1804 et fut reconnu comme Pacha par le gouvernement du Sultan. On le considère comme le fondateur de l’Égypte moderne. Son petit fils Ismaïl Pacha s’inscrit dans ses  pas. Succédant à son oncle en 1854, il avait déjà effectué différentes missions diplomatiques en Europe et prit la tête de l’armée lors de la répression de la révolte au Soudan. En 1866, il reçoit le titre de Khédive à son tour. Il modifie la loi de succession, le pouvoir revenant désormais au fils aîné. En 1873, il négocie une extension de ses droits régaliens et assure une indépendance de fait à l’Égypte. Il accélère surtout la modernisation du pays et en 1869, il inaugure le Canal de Suez. Il établit l’administration des postes, développe l’industrie du sucre et l’urbanisme. Cependant, les chantiers nécessitant de nombreux capitaux, dans les années 1875-1876, il suspend par manque de capital, le remboursement des intérêts de la dette contractée pour la construction du Canal. Il est même amené à vendre une partie des actions Suez aux anglais. Ces derniers autorisent les Français et les Anglais à lui imposer un contrôle financier en 1878. Il tente alors vainement de reprendre son indépendance. Ayant échoué, il s’exile à Constantinople.

C’est à l’occasion de l’inauguration du Canal de Suez, qu’Ismaïl Pacha commande ce portrait

©SebertLe Canal de Suez fut construit par la compagnie de Ferdinand de Lesseps pour permettre aux navires d’aller d’Europe en Asie sans avoir à contourner l’Afrique par le Cap de Bonne – Espérance. Long de 163 km, il relie Port-Saïd en Méditerranée à Suez qui donne sur la Mer Rouge. Sa construction durera dix ans de 1859 et 1869, l’Egypte en fut la propriétaire à 44 %.
Sa construction fut un événement majeur et l’Impératrice Eugénie, se rendit à l’inauguration le 17 novembre 1869 la France ayant été le principal partenaire de la construction.
C’est à l’occasion  de l’inauguration du Canal de Suez, que  souhaitant lui faire un cadeau, Ismaïl Pacha commanda ce portrait de l’impératrice Eugénie. Il choisit naturellement le professeur de ses fils, qui avait connu son heure de gloire à Paris comme portraitiste des célébrités.
Le Gray dans l’impossibilité de faire poser son modèle, choisit la méthode inaugurée par le peintre Thomas Couture quelques années auparavant.
En 1856, Le Gray réalisa à la demande du peintre Thomas Couture, une série de clichés de l’impératrice Eugénie, destinée au tableau qui ne fut jamais achevé, Le baptême du prince impérial. Les photographies prises au château de Saint-Cloud, dont plusieurs sont conservées au Musée de Compiègne et à la Bibliothèque Nationale Française,  permirent d’éviter les longues séances de poses à Eugénie. Le Gray avait d’ailleurs dès 1852, suivi la plupart des grandes étapes de la marche vers le rétablissement de l’Empire. Le portrait qu’il prit du Prince- président en 1852- fut largement diffusé (voir Sous la direction de S. Aubenas, Gustave Le Gray  1820 – 1884, Paris, 1995, n° 65, cat. 20). Il devait d’ailleurs recevoir la commande de photographies pour de nombreux événements civils ou militaires du Second Empire.

Conclusion

©SebertNous pouvons reconnaître sur ce portrait de l’Impératrice Eugénie, de nombreux détails repris à partir des photos réalisées par Le Gray en 1856. Ainsi le prie-Dieu, le collier de perles à trois rangs et le bracelet (voir Op. cit Supra n° 155, cat. 101), et le diadème (n° 156, cat. 100).
Ce portrait fut donné par l’impératrice à sa filleule, Madame Pietri, qui l’avait accompagnée dans ce voyage en Égypte. Madame Pietri était également la femme du préfet de police de Paris. Ce souvenir devait rester dans sa descendance jusqu’à nos jours. Il s’agit là, d’un très rare exemplaire de l’œuvre peinte de Le Gray.

Cet article a été reproduit avec l’aimable autorisation de la maison Osenat qui a mis en vente ce portrait lors de la Vente Empire à Fontainebleau le 25 juin 2006.

Aucune reproduction autorisée.

En complément :
Photographie : L’impératrice Eugénie en prière, par Gustave le Gray (1856) : sur cette photo, l’impératrice porte le diadème représenté sur ce tableau.

Titre de revue :
Catalogue de vente Fontainebleau Osenat
Numéro de page :
180-182
Mois de publication :
24-25 juin
Année de publication :
2006
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