La jeunesse de Napoléon à travers sa correspondance (1784-1793)

Auteur(s) : LOUIS Florian
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La Correspondance de Napoléon Ier publiée sous le Second Empire ne contenait pas de lettres antérieures à 1793. Si, à la suite de quelques pionniers (1), bien des historiens avaient depuis tenté de combler ce manque (2), il restait cependant difficile d’accéder à l’ensemble de cette correspondance de jeunesse et, partant, d’en dégager les grandes lignes et d’en suivre les évolutions, démarche pourtant essentielle à l’étude de la formation du jeune Napoléon (3). L’éparpillement de ces lettres, le flou régnant sur l’authenticité de certaines, ont en effet constitué autant d’obstacles à une analyse d’ensemble. Ainsi, ces lettres ont le plus souvent été questionnées isolément, l’attention se portant plus sur leur contenu anecdotique que sur les données structurelles s’en dégageant, le spectaculaire tendant parfois à masquer l’essentiel. La Correspondance aujourd’hui publiée par la Fondation Napoléon vient pallier cette absence d’un outil de travail fiable. On y trouve en effet, à côté d’un certain nombre d’inédits, l’ensemble des lettres de jeunesse de Napoléon connues à ce jour dans des transcriptions revues à partir des originaux – quand ceux-ci ont été retrouvés – et une information claire quant à leur authenticité. Cette centaine de lettres, écrites entre juin 1784 et décembre 1792, pour laquelle nous nous proposons de donner ici quelques grilles de lecture, constitue donc un corpus à la fois inédit et fiable duquel ressortent plusieurs grandes thématiques nous offrant une approche renouvelée de la formation de Napoléon et une vision originale de la France qui le vit grandir.

La jeunesse de Napoléon à travers sa correspondance (1784-1793)
Bonaparte, lieutenant-colonel au 1er bataillon de la Corse en 1792
par Henri Félix Emmanuel PHILIPPOTEAUX (1835)
© Arnaudet ; J. Schormans ; Réunion des musées nationaux

Une situation déterminante

La compréhension des lettres de jeunesse de Napoléon nécessite de les replacer dans le contexte de leur rédaction, démarche qui permet d’en mieux saisir la nature et l’intérêt, car la situation originale de Napoléon induit leur forme comme leur contenu. Déraciné de son île natale à neuf ans, il se retrouve en effet dans une position qui s’avère vite déterminante. De 1778 à 1793, il est celui des frères Bonaparte qui passe le plus de temps sur le continent, ce qui explique qu’après le décès de Charles Bonaparte en 1785, il s’impose comme le pivot des affaires familiales. Joseph voyageant à cette époque beaucoup entre la Corse, la France et l’Italie, il ne peut malgré son aînesse jouer ce rôle de correspondant familial sur le continent, d’autant plus qu’il lui faut à présent assumer son statut de chef de famille sur l’île. Napoléon se voit donc confier le rôle de bras droit de son frère, délégué familial sur le continent, mais dans le cadre d’une Corse française où tout passe par Versailles, c’est en fait du premier rôle dont il s’agit. Fort logiquement, toutes les affaires nécessitant des démarches hors de Corse, qui sont les plus nombreuses et surtout les plus importantes – demande de bourse ou  requête auprès du pouvoir royal par exemple – transitent par lui, et c’est encore sur lui que s’appuie la famille lorsqu’il s’agit de s’occuper de ses frères et sœurs cadets n’étudiant pas sur l’île (4). Si son influence au sein de la famille va croissante, au-delà de l’inconstance d’un Joseph qui peine à s’imposer comme un vrai leader face au dynamisme de son cadet, c’est parce que le principal problème pour les Bonaparte est alors d’ordre financier, lié à la rupture par le roi de France d’un contrat signé avec Charles Bonaparte en 1782 pour la concession d’une pépinière de mûriers en Corse. Le règlement de ce contentieux nécessitant de jongler entre l’Intendance de Corse et la Secrétairerie générale des Finances du royaume de France, Napoléon, qui vit précisément entre son île et le continent, est le mieux placé pour s’en charger, et c’est donc sur ses épaules que reposent tous les espoirs d’une famille à l’équilibre financier fragile. Il est nécessaire de tenir compte de ces données pour une bonne lecture de cette correspondance : si le jeune Napoléon se montre au travers de ses lettres souvent entreprenant voire dirigiste, c’est pour une bonne part le fruit de sa situation, bien plus que l’expression d’une précoce propension à tout régenter, celle-ci étant plutôt le résultat de la nécessité dans laquelle il se trouve de prendre des initiatives et d’assumer la bonne marche des affaires familiales dès son plus jeune âge. On comprend dès lors pourquoi, par la force des choses, Napoléon, qui n’en demande pas tant, en vient vite à s’imposer comme le chef naturel du clan Bonaparte, et pourquoi les lettres concernant la gestion des intérêts de celui-ci sont si nombreuses dans cette correspondance. Sa présence sur le continent d’une part, la mort du père, l’ubiquité et l’indécision de Joseph de l’autre (5), sont les facteurs déterminants de l’affirmation de son identité et de la fixation de son statut au sein de la famille.
Mais la situation du jeune Napoléon s’avère être encore plus intéressante pour une autre raison. Relais de la famille sur le continent, il se doit d’informer ses proches restés en Corse de la vie politique française pour laquelle il montre un grand intérêt. Parce que ses lettres s’adressent le plus souvent à des personnes éloignées et presque étrangères à la France, il est régulièrement amené à y faire le récit des événements auxquels il assiste où dont il entend parler, et par là même à donner son opinion sur ceux-ci. D’où leur intérêt : elles permettent, ce qui est rare, de voir comment un officier d’artillerie d’une vingtaine d’années a perçu la Révolution. C’est un témoignage direct, à chaud, qui a bien plus de valeur pour nous que des Mémoires rédigés après coup, sur la France des dernières décennies du XVIIIe siècle. Dans cette optique, on gagnera donc à lire ces lettres non pas comme celles du futur empereur, mais bien comme celles d’un petit officier pris dans la tourmente révolutionnaire. Elles constituent un apport non négligeable à l’histoire des mentalités de cette époque et leur intérêt s’avère être d’autant plus important que Napoléon est un représentant particulièrement exemplaire de sa génération.

Un témoin exemplaire

Il convient en effet de souligner combien la lecture de cette correspondance nous offre le portrait d’un Napoléon inscrit dans son temps, et très représentatif de ses contemporains. On y trouve par exemple la confirmation de son goût marqué pour la lecture et l’écriture, si caractéristique de l’état d’esprit de l’armée des dernières décennies précédant la Révolution, au sein de laquelle bien des officiers, faute de perspectives d’avenir dans leur corps, soulagent leur désœuvrement en rêvant d’un destin glorieux dans la République des lettres plutôt que sur les champs de bataille. Ce goût des lettres ne se limite d’ailleurs pas à l’armée : c’est toute la société qui s’enflamme alors pour les écrits des philosophes et se prend à rivaliser avec eux comme en témoigne la multiplication des académies de province et des concours qu’elles organisent (6). Les préférences philosophiques du jeune Napoléon – Rousseau et Raynal – n’ont elles non plus rien d’original : ce sont celles de tous ses contemporains. Même chose pour son goût de l’histoire antique, référence privilégiée de la génération révolutionnaire qui a grandi en lisant Plutarque (7). L’éclectisme de ses lectures et la multiplicité de ses centres d’intérêts (philosophie, science, littérature, histoire, droit, économie politique), qui transparaissent au travers de cette correspondance, sont à relier à la vogue lancée en 1751 par la publication de l’Encyclopédie. Quant à l’attention particulière qu’il porte à la formation de ses frères et sœurs – rappelons qu’il s’occupe directement, à partir de 1791, de celle de Louis, dont il estime « que ce sera le meilleur sujet de nous quatre » et se félicite du « petit ton français, propre, leste » (8) – elle n’est pas sans lien avec le goût de ses contemporains pour la pédagogie et l’éducation, conçues comme voie d’accès aux lumières du savoir et d’émancipation de l’homme. Napoléon s’avère ainsi être un pur produit du siècle des Lumières, féru de science, et d’observation, lisant Fontenelle et s’adonnant à l’astronomie.

C’est d’ailleurs une culture plus française que corse ou italienne que la sienne, car si son écriture multiplie les italianismes, il n’en a pas moins complètement oublié l’italien qu’il devait vraisemblablement parler dans sa jeunesse, si bien qu’il doit le réapprendre en 1789 (9). Autant dire que ce n’est peut-être pas dans ses lectures, partagées avec toute sa génération, ni dans son éducation, en tout point française, qu’il faut chercher les sources de l’originalité de sa pensée. Il est d’ailleurs délicat de dégager des nombreuses références et citations auxquelles il a recours une ligne directrice cohérente qui permette de dresser son portrait intellectuel, sa culture semblant surtout se résumer à une compilation plutôt superficielle d’idées glanées ça et là au fil de ses lectures, et recyclées sans grande précaution. On perçoit en revanche assez clairement l’évolution de son style et les progrès de ses qualités littéraires. C’est à n’en pas douter parmi ces lettres, qu’il rédigeait parfois préalablement au brouillon, qu’on trouve les plus travaillés et les meilleurs de ses écrits de jeunesse, bien qu’il faille signaler l’orthographe extravagante et la syntaxe souvent surprenante qui les caractérisent (10). Leur auteur se trouvant hissé au rang de témoin et de chroniqueur par sa situation et s’avérant être parfaitement imprégné de la pensée de son siècle, on conçoit tout l’intérêt de ces lettres de jeunesse, dans lesquelles on perçoit en filigrane les échos de la grande histoire.

Une chronique quotidienne de l’histoire de France

Pour les raisons que nous avons évoquées, au milieu des nouvelles sur son état de santé, ses occupations ou ses projets, Napoléon  se trouve contraint de glisser régulièrement des informations sur les événements qui se déroulent sur le continent et que bon nombre de ses destinataires ignorent encore. Il s’intéresse particulièrement à la vie politique du royaume et aux événements révolutionnaires. Très tôt, il évoque les déboires financiers de la monarchie et les conséquences néfastes du traité de libre-échange conclu entre la France et l’Angleterre en février 1786 (11). Un peu plus tard, il expose à son oncle Lucien la carrière de Necker pour lequel il ne cache pas son admiration (12), puis raconte comment il est amené avec son régiment à apaiser une révolte frumentaire comme il s’en produit dans toute la France au cours du mois d’avril 1789. Il perçoit déjà bien que « la fermentation est des plus grande partout dans les villes, les bourgs et les campagnes » (13). Il suit de près l’avancement des travaux des états généraux, juge les journées parisiennes des 12 et 13 juillet 1789, protestation contre le renvoi de Necker, « faites pour singulièrement alarmer », affirmant que nul ne peut « prévoir où tout cela finira » (14). Dès les dernières semaines de juillet, il informe les siens des débuts de l’émigration nobiliaire, affirme que « le clame revient » et, heureux du rappel de Necker, estime que « tout prend bonne tournure » et que d’ici un mois « il ne sera plus question de rien » (15) Début août 1789, le ton change : « par toute la France, le sang a coulé » rapporte-t-il avant de préciser que « presque partout, cela a été le sang impur des ennemis de la Liberté, de la Nation, et qui depuis longtemps s’engraissaient à leurs dépens » (16). Il promet à son frère Joseph de lui envoyer ses observations sur la nouvelle Constitution dont la rédaction avance à son goût trop lentement car les députés « babillent trop », se réjouit des décisions prises la nuit du 4 août mais reste prudent : « tout ceci est brillant, mais cela n’existe encore que sur du papier » (17). Après le vote de la Constitution civile du clergé, il s’intéresse beaucoup à son application et aux résistances qu’elle suscite, en tenant informé Fesch qui en tant qu’ecclésiastique est directement concerné. Au lendemain du renvoi du premier ministère girondin en juin 1792, il constate que le pays « est tiraillé dans tous les sens par les partis les plus acharnés », reconnaît qu’il s’avère de plus en plus « difficile de saisir les fils de tant de projets différents » et qu’il « ne sai[t] comment tout cela tournera » (18). Necker étant définitivement hors jeu, c’est avec La Fayette et les Feuillants qu’il semble avoir le plus d’affinités, bien qu’il ne les soutienne pas inconditionnellement et tienne même à s’en démarquer en qualifiant leurs discours de « déclarations aristocratiques ». Mais c’est envers les jacobins – dont il est pourtant membre de la section valentinoise depuis l’été 1791 – qu’il appelle d’ailleurs péjorativement « jacobites », qu’il se montre le plus critique, les assimilant à des«  fous qui n’ont pas le sens commun ». Bien qu’il approuve son initiative, il concède que La Fayette, qui après avoir tiré sur la foule au champ de Mars le 17 juillet 1791 menace de marcher sur Paris avec son armée si la situation intérieure continue d’empirer, est un « exemple bien dangereux » (19). On relève dans ces prises de position l’une des constantes des remarques du jeune Napoléon sur les événements révolutionnaires, qui détermine ses préférences politiques : la crainte du désordre, de ce qu’il nomme déjà « la populace » (20), qu’il a pu voir en action et qu’il a même haranguée à Seurre en 1789 (21). Or sa préoccupation majeure, qu’on retrouve au fil des lettres, c’est de « prévoir où tout cela finira ».

C’est précisément ce qui semble le gêner le plus dans l’émeute : son caractère imprévisible, la subordination de la rationalité individuelle aux mouvements collectifs, toutes choses qui ne s’accordent visiblement pas avec son goût pour la science et le raisonnement logique dont on a vu plus haut les origines, et qui ne pouvait que lui faire rejeter l’idée de laisser le sort au hasard, d’attendre qu’une solution sorte du  chaos (22). Ce souci de  l’ordre et du respect de la légalité nous est confirmé par une lettre du 5 juin 1792 où Napoléon informe Fesch de son enthousiasme d’avoir pris part à la  fête nationale du 3 juin, en l’honneur de Simonneau, maire d’Étampes tué par la foule pour avoir refusé de transgresser la loi en abaissant les prix du blé (23). De manière plus générale, on remarque que sur le continent, Napoléon est un révolutionnaire qui répugne à passer à l’action : s’il approuve globalement les résultats des journées parisiennes et des coups de force parlementaires, il rejette la violence et l’illégalité qui les a permis. Il assiste ainsi à la journée du 20 juin 1792 en spectateur distant, n’approuvant pas plus la brutalité populaire que l’attitude conciliante du roi (24). Il est heureux du rappel de Necker mais n’en désapprouve pas moins les émeutes qui en sont la cause. Le contraste est particulièrement frappant avec l’attitude qu’il adopte en Corse, où il s’implique directement et souvent par des procédés illégaux et violents dans la vie politique : sympathisant des Feuillants sur le continent, Napoléon se transforme en « enragé jacobin » dès lors qu’il met les pieds en Corse ; critiquant la « populace », il est le premier à souffler sur les braises de la guerre civile à Ajaccio. Et s’il juge les entreprises de La Fayette anticonstitutionnelles et dangereuses (25), il n’hésite pas à demander à Pozzo di Borgo d’écarter arbitrairement trois membres du Directoire départemental de la Corse qu’il estime être de « mauvais citoyens », soulageant sa conscience par une citation approximative de Montesquieu : « Les lois sont comme la statue de certaines divinités que l’on voile en certaines occasions ! » (26). L’intransigeante vertu rousseauiste est bien loin.

Les ambitions corses

C’est qu’à l’opposé de l’attitude distante et posée qu’il observe sur le continent, Napoléon s’implique beaucoup dans la vie politique corse, y compris lorsqu’il n’est pas sur l’île. Pour ce faire, il demande régulièrement à ses proches de le tenir informé avec le plus de détails possibles de ce qui s’y passe (27). On voit là se déployer toute la stratégie du clan, prolongement de l’organisation mise en place à la veille de la Révolution pour la gestion des intérêts familiaux : Napoléon en est le correspondant à Paris, où il se charge des relations avec le pouvoir central et les députés corses séjournant dans la capitale ; Joseph quant à lui supervise les affaires en Corse en l’absence de son cadet auprès duquel il prend les consignes. Les lettres de Joseph rapportent ainsi les événements corses quand celles de Napoléon relatent la vie politique versaillaise puis parisienne et donnent les ordres. Si Napoléon ne s’engage pas lui-même sur la scène politique corse, c’est que ses obligations militaires l’en empêchent. C’est d’ailleurs pour contourner ces obligations qu’il se fait élire lieutenant-colonel en second du 2e bataillon des volontaires corses en avril 1792, seul moyen pour lui – mis à part la démission – d’être autorisé à ne pas regagner son régiment. Il joue cependant un rôle important dans la vie politique insulaire, puisque c’est lui qui supervise l’action de ses frères qui sont eux en première ligne. Ainsi fait-il élire Joseph à la tête du Directoire du district d’Ajaccio en septembre 1790, mais il ne lui laisse qu’une faible marge de manoeuvre. C’est presque lui qui dirige le district par intérim, même quand il est sur le continent, et ceci toujours pour la même raison : étant de l’autre côté de la mer et faisant « une étude particulière sur toutes les matières d’administration » (28), il est au courant bien plus tôt des décisions de l’Assemblée et peut également voir comment celles-ci sont appliquées concrètement, et dès lors informer son frère des mesures qu’il doit prendre avec ses collègues de la direction départementale (29). Il se révèle être d’un précieux secours pour ces hommes élus à des charges pour lesquelles ils n’ont reçu aucune formation. Notons que cette subordination de la famille à Napoléon ne semble pas déranger ses frères qui, au contraire, s’empressent de lui demander son avis avant de s’engager dans une manoeuvre hasardeuse ou de publier un manifeste. Napoléon qui ne tarit pas d’éloge sur la bonne éducation de Louis et le charme de Marianna entretient une réelle amitié avec son frère aîné, Lucien seul montrant des velléités d’indépendance, que Joseph s’attache à juguler.

La politique des Bonaparte en Corse, telle que Napoléon la conduit, se résume en quelques mots : Paoli « peut tout et est tout » (30), il faut donc s’en faire un allié. C’est avec ce programme présent à l’esprit qu’il faut lire les lettres concernant les questions corses. Rappelons en effet que, quoi qu’on ait pu en dire, Charles Bonaparte ne fut pas un très proche collaborateur de Paoli, qu’il se contenta de courtiser sans pour autant gagner sa confiance, et qu’il se rallia vite au nouvel ordre français. L’amitié qui le lia à Marbeuf et la facilité avec laquelle il obtint des places pour ses fils auprès du pouvoir royal attestent à elles seules qu’il n’était pas un indépendantiste acharné et qu’en tout cas il ne traîna pas des pieds pour s’intégrer à son nouveau pays. Si Napoléon tente pour sa part de se rapprocher de Paoli, au delà de l’attrait qu’exerçait depuis longtemps sur son imagination la figure de ce héros des Lumières qui avait fait connaître la Corse a toute l’Europe éclairée (31), c’est parce qu’il se doit de défendre les intérêts familiaux qui pourraient bien être affectés par les bouleversements politiques en cours, car comme il l’a bien compris, avec la chute de la monarchie, le rapport de force sur l’île est en passe de s’inverser : en jouant la carte française, Charles Bonaparte a fait le mauvais choix puisque Paoli et ses partisans regagnent chaque jour de leur influence d’antan. Napoléon estimant qu’il « est plus que probable que tout ceci finira par notre indépendance » (32), il est urgent pour lui de redorer le blason familial auprès des patriotes en prévision de ce jour. Car aux yeux de Paoli et des siens, les Bonaparte se sont compromis, et c’est précisément ce qui explique l’extrémisme d’un Napoléon qui, pour se racheter, tente de se faire passer pour plus paoliste que Paoli lui-même.

On ne peut comprendre les critiques qu’il émet à l’égard de la France dans quelques lettres ainsi que dans certains de ses écrits de jeunesse sans tenir compte de ces données : on ne les trouve que dans des lettres adressées à des destinataires qu’il pense séduire en forçant un peu le trait (33) – et qui n’en sont d’ailleurs pas dupes, comme le montre l’exemple de Paoli qui rejette les avances du jeune officier – et dans des oeuvres littéraires, exercices rhétoriques qui par nature doivent être lus avec un minimum de recul, surtout lorsqu’ils sont destinés à un public corse que Napoléon entend convaincre de son patriotisme (34). Ce double jeu consistant à flatter Paoli tout en entretenant des relations cordiales avec le parti français, comme l’avait déjà fait son père dès avant la défaite corse de Ponte Nuovo (35), histoire d’assurer ses arrières, apparaît clairement dans une lettre de 1790, dans laquelle Napoléon demande à Joseph d’ôter provisoirement un portrait de Marbeuf  avant une venue à Ajaccio de Paoli qui pourrait ne pas apprécier d’y voir trôner un souvenir de celui qui symbolise l’occupation française. Bien plus que l’expression d’un sentiment profond, ces critiques sont donc essentiellement de l’ordre d’une posture adoptée dans le but précis de flatter le camp paoliste, et il s’impose donc de ne pas en surestimer l’importance par une lecture trop littérale qui ferait fi de l’identité du destinataire et du but recherché par Napoléon en lui tenant de tels propos. Lorsqu’il offre ses services à Paoli, il ne faut donc pas y voir une stratégie en contradiction avec celle choisie par son père en se ralliant à la France ; la logique est la même dans les deux cas : soutenir le camp qui semble devoir l’emporter sans pour autant rompre avec l’autre au cas où la situation basculerait. Plus intéressantes sont à cet égard les lettres qu’il fait parvenir aux membres du clan Bonaparte, destinées à rester confidentielles (36), et où il expose clairement et sans arrière-pensées ses intentions. On y voit se déployer une autre facette de son personnage, il quitte ses habits de partisan de la légalité ou de disciple de Paoli pour endosser ceux de chef de clan. Ainsi le voit-on, entre autres, trafiquer les actes de baptêmes de la famille pour favoriser les prétentions électorales de Joseph (37), enlever un commissaire du département pour assurer son élection à la tête d’un bataillon de volontaires, s’opposer avec ce même bataillon, au cours d’affrontements meurtriers, aux troupes régulières du colonel Maillard dans les rues d’Ajaccio en avril 1792 (38) ou encore demander à Coti de rédiger une réquisition pour contourner une décision de la municipalité ajaccienne qui lui est défavorable (39). Toutes ces manoeuvres s’avèrent au final peu fructueuses : il ne s’engage certes pas directement en politique, mais il se compromet tellement qu’il doit regagner le continent en mai 1792, laissant à d’autres le soin de calmer les tensions qu’il avait largement contribué à faire naître à Ajaccio. Une première fois donc, Napoléon est contraint de quitter son île dans l’urgence. Il y revient certes dès le mois d’octobre, mais c’est pour s’en faire à nouveau expulser, cette fois définitivement, par les paolistes. S’il ne tente pas un nouveau retour, ce n’est peut-être pas tant par crainte d’échouer que parce que la roue a une nouvelle fois tourné. Dès les premiers mois de l’année 1793, Paoli est en effet mis en accusation par la Convention et ses milices sont dissoutes ; c’est désormais la voie française qui apparaît comme la plus sûre et la plus prometteuse, et c’est donc vers elle que Napoléon se tourne en attendant que la situation se clarifie en Corse. Quoi qu’il en soit, trop sûr de lui, trop pressé, Napoléon a brûlé les étapes, créé des situations conflictuelles, et s’est finalement mis tout le monde à dos sur l’île, bien aidé il est vrai par les démarches hasardeuses de son frère Lucien. Cette première expérience politique s’avère donc être un échec total, et Napoléon se voit contraint d’abandonner provisoirement ses ambitions dans ce domaine pour regagner son poste sur le continent et se consacrer à la voie qui semble alors devoir lui réussir le mieux : les armes.

Un artilleur prometteur

Si nous nous sommes efforcés de mettre en garde contre les dangers d’une lecture téléologique qui prétendrait déceler dans ces lettres les germes de la destinée de leur auteur, force est de constater que sur le plan militaire, Napoléon semble déjà être particulièrement doué. Si ses résultats scolaires n’ont rien d’exceptionnels, il s’avère en effet être un excellent praticien et un militaire exemplaire. Certes, prétextant des problèmes de santé, il est très souvent absent de son régiment et manque à plusieurs reprises d’en être définitivement radié pour son manque d’assiduité, mais il est loin d’être le seul dans ce cas : la pénibilité du service, l’inactivité de l’armée, l’absence de perspectives d’avancement et l’insuffisance des soldes font de l’absentéisme un problème récurent de l’armée des dernières années de l’Ancien Régime (40). Toujours est-il que les qualités de Napoléon sont reconnues par ses supérieurs, et qu’il s’empresse de le faire savoir à ses proches : « vous saurez, écrit-il à Fesch, que le général d’ici m’a pris en grande considération, au point de me charger de construire au polygone plusieurs ouvrages qui exigeaient de grands calculs, et pendant dix jours, matins et soirs, à la tête de 200 hommes, j’ai été occupé. Cette marque inouïe de faveur a un peu irrité contre moi les capitaines qui prétendent que c’est faire tort que de charger un lieutenant d’une besogne si essentielle et que lorsqu’il y a plus de 30 travailleurs, il doit y en avoir deux » (41). Une telle promotion ne peut qu’être la sanction d’un réel talent. Qui plus est quand elle se répète, comme en témoigne le récit qu’il fait à Joseph d’une de ses interventions pour apaiser une émeute : « Le général a 75 ans, il s’est trouvé fatigué. Il a appelé les chefs de la bourgeoisie et leur a ordonné de prendre l’ordre de moi, vu que je connaissais ses intentions » (42). À peine âgé de 20 ans, Napoléon se voit donc confier d’importantes responsabilités par ses supérieurs qui semblent lui accorder une totale confiance. Mais il ne peut encore exercer ses talents que dans des opérations de maintien de l’ordre, particulièrement difficiles dans la mesure où il lui faut ramener le calme tout en évitant d’envenimer la situation. Il résume d’ailleurs la chose à sa manière, laconique, dans une lettre à son frère Joseph : « l’on ne voulait pas tirer ni faire trop de mal ; c’est ce qui embarrassait » (43). Bien qu’il se vante régulièrement de ses « exploits » militaires, il ne semble pas avoir conscience de l’ampleur de ses capacités dans ce domaine. Les grandes campagnes militaires qui ne manquent pourtant pas depuis que la France est entrée en guerre avec l’Europe des rois, il se contente pour l’instant d’en suivre les avancées dans la presse sans jamais marquer le désir d’y prendre part. Même quand il pourrait enfin faire autre chose que des batailles de rues, il préfère délaisser l’armée régulière pour jouer sa carte politique en Corse. C’est un constat paradoxal qu’il nous faut une fois de plus dresser : visiblement plus à l’aise derrière un canon qu’à la tête d’un parti politique, c’est pourtant par cette seconde voie qu’il entend réussir. Il ressort clairement de sa correspondance qu’il se sent beaucoup plus concerné par ce qui se passe sur les bancs de l’Assemblée que dans les rangs de l’armée du Nord ; et ce qu’il admire chez La Fayette, c’est le politique, nullement le militaire. S’il suit les faits et gestes du héros d’Amérique avec un grand intérêt, il ne semble pas encore comprendre que l’armée est une voie possible, peut-être la meilleure à mesure que la situation empire, pour assouvir son ambition et entrer par la grande porte sur la scène politique. Il faudra attendre plusieurs années pour qu’il en prenne conscience, et réussisse là où un La Fayette, un Dumouriez ou un Pichegru échouèrent tour à tour. Pour l’heure, en cantonnant ses ambitions à la Corse, il se complique singulièrement la tâche : comment en effet gagner des partisans lorsqu’on est militaire et qu’en se refusant à aller combattre ailleurs qu’en Corse, on ne peut guère se distinguer que dans des guerres civiles ? À vouloir à tout prix s’imposer sur la scène politique insulaire, il se condamne à gaspiller ses talents militaires tout en hypothéquant ses chances de réussite politique. Reste que fin 1792, c’est dans le domaine où il a obtenu jusqu’alors les résultats les moins probants – la politique – qu’il concentre tout ses efforts, laissant pour l’instant filer les promotions et les honneurs que commencent à glaner sur les champs de batailles les combattants les plus doués dont on peut penser, à en croire les appréciations de ses supérieurs, qu’il ne peinerait pas à faire partie.

Conclusion

On a trop souvent fait l’histoire de la jeunesse de Napoléon à partir d’anecdotes dont l’intérêt était aussi douteux que l’authenticité. Ces lettres de jeunesse, qui avec les écrits qui leur sont contemporains sont les seules sources fiables dont nous disposions sur cette période (44), méritent qu’on leur accorde un plus grand intérêt. Cette nouvelle édition de la Correspondance de Napoléon, qui pour la première fois les rassemble, formant un précieux outil de travail, le permettra certainement. Les thématiques explorées ici ne sont que quelques-unes des pistes ouvertes par ces lettres, pistes qui méritent d’être approfondies, notamment par la confrontation avec d’autres sources (45). Il en ressort cependant le portrait original et plus complexe qu’on ne le croit d’un Napoléon plus français que corse et caractérisé avant tout par son ambition. On ne saurait en tout cas le réduire, comme on l’a trop souvent fait en prenant au pied de la lettre quelques-uns de ses écrits d’alors, hâtivement corroborés par quelques légendes tissées sur cet écheveau, à l’image ancestrale du jeune patriote corse solitaire et farouchement anti-français. S’il se sent concerné par le sort du pays qui l’a vu naître – ce qui est le cas de tout « déraciné », la lecture de l’ensemble de ces lettres montre clairement que ce n’est pas, loin s’en faut, la première de ses préoccupations, et qu’il convient donc, sans pour autant la négliger, de relativiser son importance. Certes, il s’enthousiasme pour Paoli – comme tous les hommes des Lumières, suit constamment la vie politique de son île – pas plus que celle du reste de la France cependant – et rêve de la voir regagner son indépendance  – parce qu’il y voit un moyen d’y jouer un rôle de premier plan, mais son principal souci, quoi de plus normal d’ailleurs, c’est sa réussite personnelle et celle de son clan.
C’est parce que, dans la poursuite de ce dessein, la voie corse lui semble être la plus simple et surtout parce qu’elle s’impose à lui comme la plus évidente qu’il s’y engage avec fougue, sans jamais rompre cependant avec ses appuis sur le continent, et il n’aura aucun scrupule à s’en détourner dès lors qu’elle se fermera à lui. Sa trajectoire et sa conduite sont en fait très similaires à celles de son père, dont il est l’héritier de fait à la tête du clan : patriote par intérêt plus que par conviction, pragmatique plutôt qu’idéologue – rousseauiste ou paoliste, c’est avant tout la défense des intérêts familiaux qui le guide dans ses choix.

 

Cet article fait également partie du dossier thématique « 1769-1793 : la jeunesse de Napoléon Bonaparte »

Notes

(1) Le principal étant l'atypique polytechnicien François Gilbert (1780-1848), baron de Coston (Biographie des premières années de Napoléon Bonaparte, 1840). Soldat de Napoléon, il perdit son bras gauche en Égypte mais n'en combattit pas moins jusqu'en 1814, date à laquelle il fut fait prisonnier à Leipzig. Il obtint sa baronnie par décret impérial du 5 juillet 1813, et consacra sa retraite à étudier la jeunesse de Napoléon. Né et décédé à Valence, peut-être a-t-il connu Napoléon – qui vécut huit mois dans cette ville en 1791 –  dans sa jeunesse ; il a en tout cas certainement pu recueillir des témoignages directs et accéder à des sources aujourd'hui disparues sur ce séjour.
(2) Citons les principales sources que sont : Frédéric Masson et Guido Biagi, Napoléon inconnu, accompagné de notes sur la jeunesse de Napoléon, 1895 ; Arthur Chuquet, La jeunesse de Napoléon, 1897-1899 ; et Ernest d'Hauterive, « Lettres de jeunesse de Bonaparte », Revue des Deux-Mondes du 15 décembre 1931.
(3) Par commodité et afin d'éviter les confusions avec ses frères, nous l'appellerons ici par son prénom.
(4) Lucien intègre le collège d'Autun en 1783, Marianna (Élisa) entre à la Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr en 1784, Louis arrive à Auxonne en 1791.
(5) Pour exemple, Joseph change par trois fois de vocation (ecclésiastique, militaire puis familiale) au cours de la seule année 1785.
(6) C'est à un de ces concours académiques, celui de Lyon, que Napoléon soumet son fameux « Discours de Lyon » (Napoléon Bonaparte, Ooeuvres littéraires et écrits militaires, édition préfacée et établie par Jean Tulard, Paris, Bibliothèque des introuvables, 2001, t. 2, p. 195).
(7) Sur ce sujet, voir entre autre Jacques Assali, Napoléon et l'Antiquité, thèse pour le doctorat d'État en droit, Université d'Aix-Marseille, 1982 et Jacques Bouineau, Les réminiscences de l'Antiquité pendant la Révolution Française, Université Paris I, Cujas, 1984.
(8) Lettre à Joseph du 24 avril 1791. On y lit un peu plus loin, toujours au sujet de Louis : « C'est dommage que je crains qu'il n'y ait pas d'examen. Alors, il faudrait qu'il retourne en Corse et son éducation serait manquée entièrement ». Voilà qui en dit long sur l'estime dans laquelle Napoléon tient son île lorsqu'il s'exprime sans détours, et sur l'assurance qu'il montre quant à ses propres qualités d'éducateur.
(9) Cf. lettre du 18 mars 1789 à son oncle Lucien dans laquelle Napoléon insiste par trois fois sur le fait qu'il apprend l'italien.
(10) Sur ce point, cette nouvelle édition de la correspondance s'avère également très utile pour ce qui concerne les lettres de jeunesse. En effet, bien des lettres précédemment publiées l'avaient été avec des corrections, certes nécessaires et qui ont ici aussi été effectuées, mais parfois trop poussées, finissant par dénaturer le style de leur rédacteur.
(11) Lettre du 9 novembre 1787, destinataire non identifié.
(12) Lettre à son oncle Lucien du 28 mars 1789.
(13) Lettre à sa mère du 15 avril 1789.
(14) Lettre à son oncle Lucien du 15 juillet 1789.
(15) Lettre à Joseph du 22 juillet 1789.
(16) Lettre à Joseph des 8 et 9 août 1789.
(17) Ibid.
(18) Lettre à Joseph du 14 juin 1792.
(19) Lettre à Joseph du 22 juin 1792.
(20) On compte cinq occurrences du terme dans les lettres de notre période.
(21) « J'oubliais de te dire que j'avais, au commencement harangué les mutins pendant trois quarts d'heure ». Lettre à Joseph du 23 juillet 1789.
(22) John Lynn souligne ainsi que d'éminents théoriciens militaires, au nombre desquels de Saxe et Bulow, allaient alors, sur ce principe, jusqu'à condamner le principe même de la bataille jugée trop hasardeuse (« Guerre et culture », « Lumières » et « Romantisme dans la pensée militaire », in Michel Biard, Annie Crepin et Bernard Gainot, La plume et le sabre, Volume d'hommages offerts à Jean-Paul Bertaud, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p.330).
(23) Mona Ozouf (La fête révolutionnaire 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976, pp. 81-94) a bien montré comment cette fête s'apparente à un culte de la Loi et à une célébration des victimes des émeutes populaires, élevées au rang de martyrs.
(24) Lettre à Joseph du 14 juin 1792.
(25) Ibid.
(26) Lettre à Pozzo di Borgo du 11 octobre 1790. La citation exacte, qu'on trouve au livre XII du chapitre XIX de l'Esprit des lois (1748) est : « J'avoue pourtant que l'usage des peuples les plus libres qui aient jamais été sur la terre me fait croire qu'il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l'on cache les statues des dieux ».
(27) « Je vous prie de me donner vous-même des nouvelles de tout ce qui se passera en Corse, soit relativement à la campagne soit relativement à la politique » demande-t-il par exemple à l'archidiacre Lucien Bonaparte dans une lettre du 28 mars 1789.
(28) Lettre à son grand-oncle Lucien Bonaparte du 28 mars 1789.
(29) Voir les lettres du 18 avril 1791 et d'octobre 1791.
(30) Lettre à Joseph du 29 mai 1792.
(31) Rappelons cependant qu'alors qu'il écrivait quelques-uns de ses textes les plus enflammés sur la Corse, il ne connaissait Paoli qu'au travers de ses lectures. Sur l'image que Napoléon se fait alors de Paoli, on se référera à Fernand Ettori, « Paoli, modèle du jeune Bonaparte », in Problèmes d'histoire de la Corse, Paris, Société des études robespierristes, Société d'histoire moderne, 1971, pp. 89-99
(32) Lettre à Joseph du 18 juin 1792.
(33) En fait, on ne trouve vraiment trace de cette francophobie que dans les deux lettres de juin 1789 adressées à Giubega et à Paoli, dont – hasard ? – nous n'avons pas trouvé d'orignaux, et auxquelles il convient donc de se référer avec prudence.
(34) De manière plus générale, le goût de Napoléon pour un lyrisme et une emphase quelque peu surannés incite à la prudence quant à l'interprétation du contenu de ses écrits littéraires : rien ne permet a priori d'affirmer qu'il pense sincèrement et absolument ce qu'il y écrit, ses lettres tendant plutôt à prouver le contraire. Ainsi par exemple le fameux texte où il prétend vouloir se suicider (Napoléon Bonaparte, Oeuvres littéraires et écrits militaires, op. cit., t. 1, p. 44) dont on ne trouve absolument pas d'échos dans sa correspondance contemporaine et qui semble bien plutôt relever de la pose littéraire.
(35) Voir notamment Dorothy Carrington, Napoléon et ses parents au seuil de l'histoire, Ajaccio, éditions Alain Piazzola & La Marge,  19, pp. 32-33.
(36) « J'espère que vous ne prendrez pas la mauvaise habitude de faire lire vos lettres à personne. Ce qui est de moi à vous, n'est pas de moi à un autre » dit-il à Fesch dans une lettre de 1790.
(37) Ibid.
(38) Napoléon écrivait pourtant quelques années plus tôt : « À ces traits d'héroïsme [des Grecs] comparerons-nous les actions de Robert d'Artois, de Gaston d'Orléans, du grand Condé et de cette foule de Français qui ne rougirent pas de dévaster les campagnes qui les avaient vu naître » (Napoléon Bonaparte, Oeuvres littéraires et écrits militaires, op. cit., t. 1, p. 70). On voit là encore toute la différence entre la théorie et la pratique chez le jeune Napoléon.
(39) Lettre à Coti du 9 avril 1792
(40) Bernard Deschard, L'armée et la Révolution, du service du roi au service de la Nation, Paris, Desjonquères, 1989, p. 55.
(41) Lettre à Fesch du 29 août 1788.
(42) Lettre à Joseph du 22 juillet 1789.
(43) Ibid.
(44) Ce qui n'autorise pas pour autant, nous l'avons montré, à les utiliser sans précautions : il faut par exemple tenir compte du fait que jusqu'en novembre 1785, Napoléon étant encore écolier, ses lettres.
sont probablement soumises à la relecture pointilleuse de ses maîtres et qu'il ne peut y exprimer librement toutes sa pensée ; surtout, il s'impose de toujours replacer ces lettres dans leur contexte afin d'éviter d'en faire une lecture trop littérale qui, le cas échéant, passerait à côté de leurs enjeux réels.
(45) La publication en cours de la correspondance de Pascal Paoli devrait par exemple nous éclairer sur ses rapports avec les Bonaparte père et fils. Par ailleurs, comme le suggèrent les quelques contradictions que nous avons relevées, il serait également intéressant d'entreprendre une relecture critique des écrits de jeunesse de Napoléon par rapport aux lettres qui leur sont contemporaines.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
453
Numéro de page :
46-52
Mois de publication :
juin-juillet
Année de publication :
2004
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