[2021 Année Napoléon] 5 mai 1921, le centenaire de la mort de Napoléon

Auteur(s) : DE BRUCHARD Marie
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À l’heure de la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon surgit le souvenir de celle du 100e anniversaire du décès de l’Empereur, le 5 mai 1921, dans les circonstances d’une sortie de guerre encore vivace dans l’esprit des Français. En voici le récit.

[2021 Année Napoléon] 5 mai 1921, le centenaire de la mort de Napoléon
5 mai 1921, centenaire de la mort de Napoléon -
Cérémonie sous l'Arc de Triomphe © Pathé

Un centenaire marqué par la Première Guerre mondiale

Médaille du Centenaire de la naissance de l'empereur Napoléon Ier, 15 août 1869 © Musée Carnavalet
Médaille du Centenaire de la naissance de l’empereur Napoléon Ier, 15 août 1869 © Musée Carnavalet

L’ampleur des commémorations autour du centenaire de la mort de Napoléon a une résonance particulière en 1921 ; ces manifestations ne peuvent se comprendre sans le contexte qui a précédé leur tenue.
Alors que la France est sortie depuis trois ans du plus grand conflit meurtrier qu’elle a jamais connu, ces cérémonies, accompagnées d’un gala et d’un congrès international, constituent un inédit politique : il s’agit du premier hommage national rendu à Napoléon sous le régime républicain. Le Retour des Cendres en 1840 sous le règne de Louis-Philippe, et, dans une moindre mesure, le centenaire de la naissance de Napoléon en 1869 sous le règne de son neveu Napoléon III sont les deux seuls hommages d’ordre national rendus jusqu’ici à l’exilé de Sainte-Hélène de manière explicite. Les initiatives à l’échelle locale, spontanées, notamment impulsées par les groupes de vétérans des guerres du XIXe s., n’ont certes pas manqué, surtout après la guerre de 1870, mais le centenaire de la mort de Napoléon revêt une dimension propre à l’après-guerre de 1918.

Durant la Première Guerre mondiale, la figure de Napoléon, chef de guerre victorieux en Europe, en particulier contre la figure prussienne, a été utilisée pour galvaniser les troupes comme les civils, dans la presse et l’imaginaire français.

Carte postale à visée de propagande présentant le général Joffre, e commandant en chef des armées françaises en 1914, comme élève victorieux de la guerre de 1914-1918. © DR
Carte postale à visée de propagande présentant le général Joffre, commandant en chef des armées françaises de 1914 à 1916, comme élève victorieux de Napoléon durant la guerre de 1914-1918. © DR

Après la victoire de la Triple-Entente en 1918, coûteuse en vies humaines, la France d’après-guerre, même républicaine, cherche à commémorer une grande figure de son histoire, effacer le souvenir de la défaite contre la Prusse et ses alliés de la guerre de 1870 et à affirmer sa solidité à l’échelle européenne en commémorant en grande pompe le centenaire de la mort de Napoléon. La population n’est pas en reste pour participer à cette commémoration en mai 1921.

Préparer le 100e anniversaire de la mort de Napoléon : le comité du Centenaire

Alexandre Millerand, Président de la République française de 1920 à 1924

Placé sous le haut patronage du Président de la République, Alexandre Millerand, un comité, sous forme d’assemblée générale de ses deux cents membres, est convoqué le 27 novembre 1920 afin de préparer les cérémonies du 5 mai 1921. Dès sa création, il est placé sous la présidence d’honneur du maréchal Foch et d’Édouard Driault, fondateur de la Revue des études napoléoniennes en 1912. Ce dernier, avec Patrice Contamine de Latour, sera le principal organisateur des événements. Après réaffirmation du caractère apolitique de ces commémorations, où doivent être représentés civils, militaires associations et membres du clergé, le comité décide d’un programme étendu : publications, conférences, expositions (notamment à Compiègne, Versailles et Malmaison) doivent avoir lieu. Il est prévu une dimension internationale à cette commémoration : musées de Waterloo et d’Autriche seront sollicités et un voyage à Sainte-Hélène est également évoqué. Un congrès historique doit par ailleurs se tenir à la Sorbonne.
Plusieurs des idées évoquées lors des réunions du comité du Centenaire ne verront pas le jour : un défile à la colonne Vendôme est écarté, de même que celle d’un banquet. Après des débuts discrets, ces travaux préparatoires finiront par faire leur chemin dans la presse, y compris internationale, une fois la confirmation que les Présidents de la République et du Conseil auront confirmé leur participation à l’événement.

Déroulement des commémorations du centenaire

Avant même le 5 mai, deux manifestations annoncent les commémorations organisées en l’honneur de l’Empereur.
Le 28 avril 1921, le film L’agonie des Aigles, tiré du roman à succès Les demi-solde de Georges d’Esparbès, mis en scène par Dominique Bernard-Deschamps, est donné en représentation de gala au Trocadéro, au profit d’associations d’œuvres de guerre. La revue Comœdia raconte : « l’instant le plus solennel de la soirée, celui où l’enthousiasme fut à son comble, c’est lorsque le maréchal Foch fit son entrée dans la salle. Le film fut interrompu, la musique d’Alexandre George fut momentanément remplacée par La Marseillaise. Des applaudissements frénétiques éclatent de tous côtés de la salle. Les spectateurs, debout, devant la loge du maréchal, surexcités peut-être par la glorieuse épopée qui leur est présentée, acclament avec frénésie… »(cité sur le site web de la Cinémathèque française).

Hôtel des Sociétés Savantes, début XXe s. © DR
Hôtel des Sociétés savantes, début XXe s. © DR

Du 30 avril au 3 mai 1921 se déroule également un congrès historique à l’hôtel des Sociétés savantes (actuelle Maison de la Recherche, aujourd’hui annexe de l’université de la Sorbonne) : quatre séances sont consacrées respectivement au Code civil, aux finances publiques, à l’instruction publique, aux travaux publics et aux beaux-arts sous le Consulat et l’Empire. Ce congrès a pour but d’étudier le règne de Napoléon sous son aspect institutionnel afin d’en tirer les grands principes et les appliquer au monde contemporain. Jugé par la presse passionnant mais… ardu, le congrès accueille nombre de sommités et d’hommes politiques parmi ses invités et se conclut sur la formulation des vœux suivants : parvenir à unifier les codes juridiques des pays européens sous l’égide de la SDN, obtenir la révision des programmes scolaires en France et en Europe sur la période napoléonienne, donner le nom de Napoléon à l’une des plus belles avenues de Paris et renouer des liens bilatéraux plus tangibles entre la France et la Pologne, en souvenir de la création par l’empereur des Français du duché de Varsovie. Aucune de ces préconisations ne verra le jour.

Le 4 mai 1921, Notre-Dame de Paris accueille une messe célébrée à 10h en mémoire de Napoléon et toujours au profit d’œuvres de guerre. Les fêtes de l’Ascension et des solennités de Jeanne d’Arc débutant le lendemain, la cérémonie a été avancée, ce qui n’a pas empêché la foule de s’amasser dès 8h devant l’édifice religieux, d’après les journaux. Des cartes sont distribuées pour pouvoir accéder à la messe. La presse diocésaine et catholique fait cependant peu écho à cette cérémonie : les rapport entre l’Église et la République mais également entre l’Église et l’instigateur du Concordat ne sont pas sans heurt en 1921… La Cathédrale n’en revêt pas moins deux drapeaux tricolores et les personnalités politiques se pressent à l’office funèbre : le général Lasson, chef de la maison militaire du Président Millerand, en tête, c’est un cortège de députés, sénateurs, conseillers d’État ou encore juges qui viennent se recueillir en la mémoire de l’Empereur. Si le maréchal Foch est retenu à Londres pour une conférence, le souvenir de la récente victoire de 1918 est bien représenté : un groupe de jeunes alsaciennes en tenues traditionnelles assistent à l’office pour représenter les territoires perdus en 1871 et repris à l’Allemagne à l’issue de la Première Guerre mondiale.

Carte d'entrée et un Programme de la «Cérémonie Funèbre organisée par le Comité du Centenaire à la mémoire de Napoléon Ier © BnF/Gallica.fr
Carte d’entrée et un Programme de la «Cérémonie Funèbre organisée par le Comité du Centenaire à la mémoire de Napoléon Ier © BnF/Gallica.fr

Présidée par le cardinal-archevêque de Paris, Monseigneur Dubois, célébrée par l’archiprêtre Delaage, la cérémonie est ponctuée des marche funèbre, messe de requiem et chant d’apothéose d’Hector Berlioz. Le point culminant de la cérémonie semble avoir été l’intervention de l’abbé Georges Hénocques, ancien aumônier militaire et héros de la récente guerre, monté en soutane et décoré de sa Légion d’honneur à la chaire pour affirmer les liens entre patriotisme catholique et œuvre de Napoléon.

Georges Lacour-Gayet, de l'Académie française. Source : Wikipedia
Georges Lacour-Gayet, de l’Académie française. Source : Wikipedia

Toujours le 4 mai se déroule en Sorbonne une séance solennelle à 15h en l’honneur des institutions civiles créées par Napoléon. Placée sous la présidence du ministre des Travaux publics Yves le Trocquer, elle voit les allocutions d’Édouard Driault, président du Comité du centenaire, et de Georges Lacour-Gayet, historien et membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, avant la réponse, en guise de conclusion du ministre. Spécialiste de Talleyrand, Georges Lacour-Gayet marque les esprits en faisant l’éloge successivement du Concordat, de la Légion d’honneur, du Code civil et de l’Université, héritages napoléoniens.

Ces deux hommages à Napoléon, religieux et civil, ayant eu lieu, le 5 mai allait être consacré à ceux de l’Armée et de la République.

Les commémorations débutent le 5 mai à 10h par un hommage de l’armée française à l’Arc de Triomphe. Conjuguant hommage aux soldats de la Grande Armée et aux soldats de la Grande Guerre, cette cérémonie se déroule en présence des maréchaux Foch, Pétain et Fayolle, ainsi que de nombre de généraux s’étant illustrés dans le récent conflit : Weygand, Pau, Buat, … Ils sont toujours accompagnés de jeunes alsaciennes en costumes traditionnels, cette fois-ci portant les noms des célèbres généraux de l’armée du Rhin : Lasalle, Lefebvre, Kellerman, Kléber, Ney, Rapp et Mouton. La foule est contenue par une haie de gardes municipaux tandis qu’à 10h30 s’avance sur la place de l’Étoile la voiture du président Millerand entourée de la cavalerie de la Garde républicaine. Le ministre de la Guerre, Louis Barthou, le suit ; il salue la tombe du Soldat inconnu et prend place face la tribune officielle où Barthou prononce son discours.

Après discours du ministre de la Guerre, aux résonances très actuelles et politiques, longuement ovationnées, à cette tribune, le Président salue à nouveau la tombe du Soldat inconnu et assiste au défilé militaire remontant l’avenue de la Grande Armée et qu’inaugure le général Trouchaud, gouverneur militaire adjoint de Paris. Après ce défilé et un nouveau salut à la Tombe, le président remonte dans sa voiture toujours escortée, descend les Champs-Élysées tandis que défilent à la suite les associations de vétérans de la guerre de 1870 et autres associations d’anciens combattants – dont l’American Legion -, chaque délégation déposant une gerbe de fleurs au pied de la tombe du Soldat inconnu. Ce défilé est clôturé par les délégations cosaques et russes blanches. Ce sont quelque 500 à 600 membres d’associations qui auront rendu hommage à l’Empereur et au pays.

L’après-midi du 5 mai voit l’hommage à l’Empereur se poursuivre à l’hôtel national des Invalides. Peu avant 17h, sous un soleil qui ne manquera pas d’être relevé par la presse, une haie de soldats borde le vestibule de la chapelle du Dôme ;  depuis plusieurs heures, la foule attend. Deux vétérans portent un coussin sur lequel repose l’épée de Napoléon portée à Austerlitz. Dans la cour devant le Dôme stationnent des détachements des 6e, 7e, 10e divisions d’infanterie, musique du 104e, drapeau du 5e de ligne ; sur la place Vauban, Garde républicaine, deux batterie d’artillerie et deux escadrons de cavalerie attendent l’arrivée du représentant du Président Millerand, le ministre Barthou, et du Président du Conseil. À 17h précises, après commandement et présentation des armes, le maréchal Foch fait son entrée, suivi des maréchaux Fayolle et Pétain, puis de Monseigneur Dubois. Le Chant funèbre de Gabriel Fauré, spécialement composé pour le centenaire, est alors joué, tandis que le cardinal Dubois prononce un Pater Noster, signe le tombeau de l’Empereur, prononce une adjuration au nom du Très-Haut avant d’encenser huit fois le lieu où repose la dépouille de Napoléon dans la crypte et d’entonner un Libera Me.
Le maréchal Foch s’empare alors de l’épée d’Austerlitz, fait face au tombeau et prononce le discours qui restera le moment le plus célèbre du centenaire de la mort de l’Empereur. La cérémonie prend fin à 17h49, faisant écho à l’heure précise du décès de Napoléon à Sainte-Hélène, cent ans plus tôt.
► Lire le discours du maréchal Foch sur la tombe de Napoléon le 5 mai 1921 (© Gallica/Bnf)

Réception du centenaire de la mort de Napoléon dans la presse en France

Du 5 au 6 mai 1921, la presse française de tout bord politique relate les cérémonies, religieuses, civiles et militaires qui ont trait au bicentenaire de la mort de Napoléon. Événement à caractère hautement politique, malgré les préventions du comité organisateur le voulant neutre, le centenaire a été interprété immédiatement selon les tendances majeures et minoritaires de l’échiquier français.
Si la presse dans son ensemble (Le Matin, Le Petit Journal, Le Petit Parisien, Le Radical, La Croix, L’Action française, …) s’attache à narrer plutôt sobrement le déroulement des deux journées du 4 et 5 mai 1921, aucun journal ne manque de souligner le rapprochement explicitement voulu entre les soldats de la Grande Armée et ceux partis en 14, voire le rapprochement entre les symboles de l’Aigle et de la Fleur de Lys le temps de la messe.
On notera néanmoins les titres émus du journal républicain Le Matin des 5 et 6 mai 1921 : « Le centenaire de Napoléon, le rayonnement d’une gloire » et « Le centenaire de Napoléon, la France a rendu un même hommage de pieuse admiration au grand capitaine et au Soldat inconnu »… à l’opposé de L’Humanité ou du Populaire, journaux d’opposition marqués par le pacifisme d’après-guerre, aux mêmes dates : dans le premier, Marcel Gachin le clame : « Je n’ai jamais chargé qu’un être de ma haine… Sois maudit, ô Napoléon ! », tandis que Le Populaire le martèle : « De toutes les vaines forfanteries du nationalisme, il n’en est aucune qui soit plus de nature à desservir la France dans le monde que la célébration du centenaire de la mort de Napoléon ».
Cent ans après son décès, Napoléon déchaînait les passions, comme aujourd’hui à l’heure du bicentenaire de sa mort…

Caricature parue en une de L'Humanité, le 5 mai 1921 © BnF/Gallica
Caricature parue en une de L’Humanité, le 5 mai 1921 © BnF/Gallica

 

Une du Matin du 6 mai 1921 © BnF/Gallica
Une du Matin du 6 mai 1921 © BnF/Gallica

 

Marie de Bruchard, avec le concours d’Alexis Halpérin – un grand merci à lui !
Avril 2021

Titre de revue :
inédit
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