Dernier éclat d’Empire : le plébiscite du 8 mai 1870

Auteur(s) : JOB Eymeric
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L’Empire (libéral), est-ce vraiment la paix ?

À l’aube de l’année 1870, l’Empire français semble être à un tournant. Alors âgé de 62 ans, Napoléon III souffre grandement de la maladie de la pierre depuis plusieurs années, tandis que beaucoup dans son entourage proche commencent à douter de ses capacités à régner. Depuis le tournant libéral amorcé en 1860, l’Empire, au gré des concessions accordées, tend de plus en plus à devenir une véritable monarchie constitutionnelle. Outre la restauration du vote de l’Adresse au discours du Trône en 1860, la publication partielle des débats parlementaires dans les journaux – qui doivent cependant recopier le Journal officiel de l’Empire français – le vote du budget par chapitres et sections en 1861 et les lois sur la liberté de la presse et sur la liberté de réunion en 1868, le sénatus-consulte du 8 septembre 1869 introduit finalement le partage de l’initiative des lois entre l’Empereur et le Corps législatif, de même que les ministres peuvent être membres des assemblées. Loin d’apaiser leur opposition sans répit, les républicains s’engouffrent au contraire dans ces ouvertures pour mieux torpiller le régime de l’intérieur. De nombreux journaux, pamphlets et autres papiers, circulant largement sous le manteau, alimentent ainsi les hostilités croissantes contre l’Empire.

Dernier éclat d’Empire : le plébiscite du 8 mai 1870
Plébiscite du 8 mai 1870 [...], Sénat, imprimeur-lithographe, 1870.
© Musée Carnavalet, Histoire de Paris

L’image représente les résultats du plébiscite du 8 mai 1870 en France. Intitulée « Tableau Synoptique & Comparatif des Votes », elle fournit une visualisation détaillée des votes exprimés pour « Oui » et « Non », ainsi que les abstentions et les bulletins nuls. On y trouve un graphique qui illustre la répartition des votes par département, armée, marine, et Algérie. Il mentionne le nombre total d’électeurs inscrits (10,479,676) et votants (9,001,942), ainsi que le nombre de votes pour « Oui » (7,350,142) et « Non » (1,538,825). Le tableau compare également les résultats de différents départements et met en évidence les différences entre les votes et abstentions.

Voir l’image en grand format sur le site Paris Musées

Les élections législatives des 24 mai et 7 juin 1869 constituent alors un important succès pour l’opposition orléano-républicaine. En effet, si les candidats bonapartistes – autoritaires et libéraux confondus – obtiennent 4 600 000 voix et restent majoritaires, l’opposition en obtient un peu plus de 3 300 000 et remporte des victoires considérables dans plusieurs grandes villes, dont Paris. Le ralliement des ouvriers aux idées républicaines donne de ce fait davantage de poids aux nouveaux ténors de l’opposition au Corps législatif comme Jules Ferry, Jules Dufaure ou encore Léon Gambetta. Ce dernier, jeune avocat flamboyant, s’est fait connaître en défendant brillamment le journaliste Delescluze, qui avait lancé une souscription à la mémoire de Jean-Baptiste Baudin, député-martyr tombé sur les barricades lors de la « farce » du 2 décembre 1851.

Dans ce contexte, l’Empereur entreprend de poursuivre la libéralisation de son régime, ce qui le conduit à nommer Émile Ollivier, figure républicaine ralliée aux nouvelles orientations des institutions impériales, à la tête du cabinet le 2 janvier 1870. Également ministre de la Justice et des Cultes, Ollivier est le premier à être désigné explicitement comme le représentant de la majorité parlementaire et s’affaire à rédiger une courte Constitution de 45 articles qui approfondit les réformes du 8 septembre 1869. Devant ainsi permettre de « donner satisfactions aux exigences mobiles des temps sans être contraint de toucher au pacte fondamental », le sénatus-consulte du 20 avril 1870 maintient certes le droit d’appel au peuple à l’Empereur, mais introduit la responsabilité ministérielle devant le Corps législatif et le Sénat – et non plus seulement l’Empereur – rétablit le droit d’interpellation, ainsi que le vote du budget dans son intégralité et entérine l’abandon par le Sénat de sa compétence de révision constitutionnelle au profit exclusif du peuple, sur proposition de l’Empereur. La candidature officielle est quant à elle abandonnée le 24 février 1870, après qu’Ollivier se rallie notamment à la position défendue par Favre, Grévy, Simon – futurs représentants éminents de la « République des Jules » – ainsi que Picard, et déclare que « toute l’application d’un ministère libéral doit être de ne jamais exercer [la candidature officielle]. Il doit par son langage, par ses actes, animer, exciter assez le pays pour qu’il puisse abandonner aux électeurs seuls le soin de le défendre ».

« Si le plébiscite est mauvais, que ferait Votre Majesté ? »

Rapidement toutefois, se pose la question de la ratification officielle de cette révision constitutionnelle. Ollivier, dont la formation de juriste l’avait conduit à étudier et à admirer l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire rédigé en 1815 par Benjamin Constant, n’en demeure pas moins rétif à soumettre le texte à l’approbation du peuple. Cette position, largement partagée par le gouvernement, l’entourage, ainsi que l’Empereur lui-même, peut s’expliquer par plusieurs raisons évidentes. D’une part, un plébiscite négatif présente des risques importants de déstabilisation de l’Empire, alors même que celui-ci est encore « jeune » et qu’un échec aurait été évidemment considéré comme une défaite personnelle de Napoléon III par ses opposants, déjà galvanisés par le résultat des législatives de 1869 [1]. D’autre part, une ratification par la voie du plébiscite présente également la difficulté de restreindre la marge d’action de l’Empereur à terme. S’il a accepté et encouragé le tournant libéral après une phase autoritaire qui s’est étendue du coup d’Etat jusqu’à 1860, Napoléon III ne souhaite cependant pas se limiter au point d’empêcher tout retour en arrière si une crise politique majeure venait à menacer son régime et à imposer un éventuel retour à l’autorité.

De fait, son cousin le prince Napoléon apparaît d’abord bien seul lorsqu’il présente l’hypothèse d’une ratification populaire à Napoléon III, au motif que seule celle-ci permettrait de consolider l’Empire libéral en écartant définitivement les « Mamelouks » (les bonapartistes autoritaires), de même qu’elle raffermirait la légitimité de la dynastie, à travers une onction qui rejaillirait sur l’Empereur, le Prince impérial et le régime tout entier. Après quelques circonvolutions, le « vice-empereur » Rouher finit également par soutenir le plébiscite, quoique pour des raisons différentes, affirmant que juridiquement, la révision du contrat social qui liait l’Empereur à son peuple le nécessite. Au terme de plusieurs semaines d’hésitations et devant l’insistance de Rouher, l’Empereur finit par se rallier le 30 mars 1870 à l’idée d’organiser un plébiscite après un ultime entretien avec Ollivier : « Qui ne risque rien n’a rien » répond-il à son ministre qui l’interroge sur ce qu’il adviendrait si le plébiscite était mauvais.

Sa décision prise, Napoléon III ne craint guère plus qu’une abstention trop forte ne vienne obscurcir les conclusions du plébiscite, ce qui ne l’empêche pas de prendre quelques pincettes quant aux enseignements à tirer selon les différents scénarios envisagés. Dans les semaines qui précèdent la tenue du plébiscite, il note qu’un « non » ne constituerait pas un rejet de l’Empire mais seulement de la libéralisation à l’œuvre, concluant par la même occasion qu’il se « considérerai[t] obligé de revenir peu à peu au système primitif de la Constitution de 1852. » Cette décision n’en provoque pas moins des difficultés au sein et à l’extérieur du gouvernement, l’Empereur refusant de se soumettre à l’injonction du centre-gauche de renoncer à son pouvoir plébiscitaire exclusif en procédant au préalable par un débat parlementaire. Les républicains non-ralliés et les députés libéraux indépendants dénoncent ainsi ce que Thiers considère comme un « procédé césarien », tandis que Louis Buffet et le comte Daru, respectivement ministre des Finances et ministre des Affaires étrangères de centre-gauche, finissent par démissionner pour cette raison, fragilisant le gouvernement qui vient seulement de franchir l’étape – ô combien périlleuse, comme nous le savons encore trop bien aujourd’hui – des cent jours en fonction.

« Le Peuple approuve les réformes libérales opérées dans la Constitution depuis 1860 par l’Empereur avec le concours des grands Corps de l’État et ratifie le sénatus-consulte du 20 avril 1870 »

Soucieux de ne pas s’enliser dans une crise ministérielle qui risque de faire tache d’huile, Ollivier fait preuve d’une certaine détermination, notant à cette occasion dans son Journal que « nous sommes comme une armée en bataille : un des chefs tombe, […] on continue à marcher en avant ». La question de l’intérim ministériel rapidement réglée, l’urgence est alors de définir le contenu de l’appel au peuple à venir. Contrairement aux plébiscites de 1851 et 1852, le plébiscite de 1870 est inédit par sa dimension référendaire. Ici encore, les différentes chapelles bonapartistes se distinguent par les propositions qu’elles formulent. Alors qu’Ollivier et ses soutiens soumettent une proposition assez neutre (« le peuple ratifie le sénatus-consulte du 20 avril 1870 »), la droite souhaite préparer la succession et renforcer plus directement la légitimité du Prince impérial (« voulant donner une nouvelle preuve d’attachement à l’Empereur et à sa dynastie, le peuple ratifie… »). Beaucoup d’autres propositions sont également envisagées avant qu’une formule imaginée par Ollivier lui-même ne soit finalement retenue et publiée au Journal officiel le 24 avril 1870.

En plus de l’approbation formelle de l’évolution libérale opérée depuis 1860, Ollivier, par la voix de l’Empereur, à travers la proclamation officielle qui introduit et présente les enjeux du scrutin aux Français, procède à une forte personnalisation du plébiscite. Recherchant une dramatisation qu’elle encourage en retrouvant certains accents de 1848 et de 1851, celle-ci finit par poser la question de la succession et en appelle à un soutien populaire massif :

« La Constitution de la France impériale et démocratique, réduite à un petit nombre de dispositions fondamentales qui ne peuvent être changées sans votre assentiment, aura l’avantage de rendre définitifs les progrès accomplis et de mettre à l’abri des fluctuations politiques les principes du gouvernement. Le temps perdu trop souvent en controverses stériles et passionnées pourra être plus utilement employé désormais à rechercher les moyens d’accroître le bien-être moral et matériel du plus grand nombre.

Donnez-moi une nouvelle preuve de confiance. En apportant au scrutin un vote affirmatif, vous conjurerez les menaces de la révolution, vous assoirez sur une base solide l’ordre et la liberté. Vous rendrez plus facile, dans l’avenir, la transmission de la Couronne à mon Fils. »

« Plébiscite, dis-moi d’où tu viens, je te dirai ce que tu vaux »

Alors que le Corps législatif vote l’ajournement de sa session de sa propre initiative afin de permettre aux députés de retourner dans leurs circonscriptions pour conseiller leurs électeurs, la date du plébiscite est débattue par le gouvernement et les préfets. Si une majorité d’entre eux opte pour le 1er mai 1870, ce qui laisserait moins de temps d’organisation pour l’opposition, c’est finalement le 8 mai qui est retenu devant les craintes de l’impossibilité d’être prêt aussi tôt et le risque de débats prolongés au Sénat autour du sénatus-consulte.

À cette occasion, de nombreux comités de campagne revoient le jour, après un premier essor lors des campagnes législative et présidentielle de 1848 et un timide renouveau lors des législatives de 1869. Prenant le relai de l’administration préfectorale officiellement en retrait depuis l’abandon de la candidature officielle, ces comités fleurissent rapidement et connaissent des progrès organisationnels et matériels conséquents. En outre, un Comité central créé à l’initiative du duc d’Albufera, chef du centre-droit bonapartiste, est chargé de coordonner les comités locaux en pilotant la campagne en faveur du plébiscite, face au dynamique Comité central républicain. Le reste des oppositions se répartit dans des comités séparés de moindre envergure.

La campagne s’ouvre véritablement à la publication le 16 avril 1870 du Manifeste du Comité plébiscitaire, dans lequel les partisans du « oui » posent le choix entre « le drapeau de la Liberté sur lequel est écrit : oui » et « le drapeau de la Révolution sur lequel est écrit : non ». La stabilité ou le chaos (déjà). De fait, les opposants traditionnels à l’Empire, libéraux et anciens partis, de même que les autorités religieuses, sont divisés quant à l’attitude à adopter face à ce plébiscite dont ils craignent les effets, quoique pour des raisons différentes. Le Comité des amis de Thiers se prononce ainsi ouvertement contre et incite les électeurs à s’opposer à tout prix à une victoire du régime, qui conduirait selon lui au triomphe de la réaction, en dépit de l’attitude plus modérée de Thiers lui-même, qui ne souhaite pas précipiter le gouvernement à droite, ni rompre totalement avec lui. De leur côté, les orléanistes sont également confrontés à d’importantes divisions, les tenants du « non » à ce plébiscite « ambiguë » se réunissant autour du duc Decazes et du comte d’Haussonville, tandis que les anciens présidents du Conseil François Guizot et Odilon Barrot se prononcent en faveur du « oui », de même que le puissant Journal des Débats. Les légitimistes et le comte de Chambord ne sont guère plus unis sur leur position, ce dernier ne parvenant pas à imposer ses vues quant à l’abstention qu’il encourage pourtant.

Enfin, si quelques ouvriers et républicains se décident à faire campagne en faveur du plébiscite, dans lequel ils voient une avancée démocratique propices à renforcer leurs droits et à faire progresser leurs revendications, l’écrasante majorité de la gauche constitue la force d’opposition la plus vigoureuse et la plus organisée au plébiscite impérial. Léon Gambetta et Jules Ferry structurent une réponse fielleuse à travers un manifeste du Comité anti-plébiscitaire, rédigé le 19 avril 1870, dans lequel ils dénoncent les travers du régime, de même que le sénatus-consulte, qualifié d’abdication pure et simple de la souveraineté populaire. À l’extrême-gauche cependant, un nombre non négligeable d’organisations ouvrières refuse de mêler ses voix aux conservateurs et réactionnaires qui prônent le « non », et se positionne en faveur du vote blanc. Il en va ainsi un temps du comité Raspail, et de l’Internationale, pour qui ce vote revient à rejeter nettement les institutions impériales, trop souvent soupçonnées de soutenir les abus des grands industriels et reliées au pouvoir de l’argent.

« L’Empereur est plus fort que jamais… »

À mesure que le scrutin approche, l’issue apparaît plus incertaine et l’Empereur et son entourage nourrissent quelques craintes à propos des résultats à venir, notamment dans les départements des Bouches-du-Rhône et de la Seine, dont les rapports préfectoraux laissent envisager le pire. Lorsque survient enfin la journée ensoleillée du 8 mai, la mobilisation est au rendez-vous, de nombreux observateurs soutenant que l’affluence est historiquement élevée. Pour autant, en dépit du contexte et des enjeux, aucun incident notable n’est à relever. Les mesures prises en amont permettent quant à elles au gouvernement de disposer au plus vite des résultats, les sous-préfets pouvant alors transmettre à leur préfet par l’intermédiaire des compagnies ferroviaires et des lignes télégraphiques réquisitionnées pour l’occasion. Ce faisant, les tendances des grandes villes sont connues dès le début de soirée et l’Empereur prend ainsi connaissance rapidement de la défaite du « oui » à Paris. Plus tard dans la nuit, les résultats des autres départements laissent entrevoir une nette victoire du plébiscite, avant que le ministre de l’Intérieur Eugène Chevandier de Valdrome n’annonce officiellement celle-ci à vingt-cinq journalistes reçus aux Tuileries.

Le résultat définitif est connu au cours de la journée du 10 mai 1870 et proclame 7 358 786 voix en faveur du « oui », ce qui fait dire à l’Empereur qu’il « a retrouvé son chiffre » de 1851 (7 481 231). Dans les faits, le « oui » représente un peu plus de 67 % des inscrits et près de 81 % des votants en raison de l’augmentation de la population et de l’intégration de trois nouveaux départements à l’Empire, là où il s’élevait à respectivement 76,5 % et 91,6 % en 1851. Si la victoire n’est pas aussi éclatante que le prétend Napoléon III, elle n’en demeure pas moins un triomphe qui entame la confiance des opposants au régime. L’addition des voix du « non », des votes blancs, nuls et les abstentions, atteint 32,7 % (3 580 608 voix) du corps électoral, alors que ce bloc est en lui-même extrêmement divisé et animé de dynamiques et motivations divergentes. Si le plébiscite confirme et conforte le basculement des plus grandes villes dans une opposition franche à l’Empire, l’écrasante majorité de la province adhère à l’évolution du régime. Si quelques célébrations sont improvisées par les partisans du « oui » dans les départements, à Paris, bastion du « non », quelques émeutes surviennent dans les quartiers de Belleville, de La Villette et le faubourg du Temple. Ces manifestations restent néanmoins limitées, tandis que l’abattement frappe plus largement les opposants à Napoléon III qui considèrent, tels Jules Favre, que cette victoire permet à l’Empire de « signer un nouveau bail de vingt ans avec les Français ». Désabusé, Gambetta concède que « l’Empereur est plus fort que jamais », avant de se ressaisir quelques jours tard, avançant lors d’un dîner que les libertés nouvelles permises par le plébiscite rejailliront sur les républicains et contribueront à « noyer peu à peu » le régime.

Médaille pour le plébiscite du 8 mai 1870 : Revers et Avers, Archives du Sénat © Fondation Napoléon / Rebecca Young
Médaille pour le plébiscite du 8 mai 1870 : Revers et Avers, Archives du Sénat © Fondation Napoléon / Rebecca Young

Derniers feux impériaux

Incontestablement, le plébiscite du 8 mai 1870 constitue un succès majeur pour le gouvernement Ollivier et plus encore pour l’Empereur qui, comme l’observe justement Charles de Rémusat, en était le grand ordonnateur et bénéficiaire. La consultation, parfaitement organisée et libre, jouit en effet d’une participation significative, à laquelle se joint la participation active d’une partie de l’opposition et permet enfin de confirmer les inflexions du régime impulsées par l’Empereur.

Par-delà cette vitrine qui renforce le régime à court terme, plusieurs éléments viennent relativiser quelque peu cette victoire. D’une part, celle-ci ne résorbe en rien les contradictions et tensions qui opposent les « Mamelouks » et autres bonapartistes autoritaires qui, confortés par ce chiffre « retrouvé », ne renoncent pas pour autant à mettre fin, si l’occasion venait à se présenter, à ce qu’ils estiment être une parenthèse libérale. D’autre part, le vote favorable des masses est avant tout lié à leur attachement à la personne de l’Empereur, bien plus qu’à des évolutions constitutionnelles dont elles ne maîtrisent pas toujours toutes les implications et subtilités. Enfin, les nouveaux équilibres politiques issus de la campagne virulente qui a précédé le scrutin contribuent à isoler durablement Ollivier et son gouvernement, qui ne peuvent plus compter ni sur le soutien d’un centre gauche qui a basculé dans l’opposition, ni sur celui de la droite opportuniste, qui n’attend qu’un prétexte pour retirer son appui.

La montée des tensions avec la Prusse, suivie de la déclaration de guerre le 19 juillet 1870 et de la campagne qui a conduit à la « débâcle » de Sedan et à l’effondrement de l’Empire le 4 septembre 1870, viennent finalement annihiler tous les acquis de ce scrutin qui reste longtemps la dernière grande consultation qui mobilisa le corps électoral français dans son intégralité. Les lois constitutionnelles de 1875, puis surtout la « Constitution Grévy » énoncée en 1879, contribuent en effet à installer la IIIe République ainsi qu’à instituer un régime d’assemblée et une culture républicaine viscéralement opposées à toute dimension plébiscitaire et/ou référendaire pendant un peu moins de soixante-dix ans. Après les affres de la Seconde Guerre mondiale et la faillite intellectuelle et politique de la IIIe République en 1940, puis de la IVe République lors des guerres de décolonisation, la naissance de la Ve République sous l’égide du général de Gaulle permet de renouer avec cette filiation résolument napoléonienne. En proclamant la reconnaissance de la « souveraineté nationale [appartenant] au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » (article 3), les rédacteurs de la Constitution, s’ils refusent évidemment de reconnaître la lointaine origine de cet outil de décision sans pareil, participent néanmoins à replacer nos institutions dans cet héritage.

Eymeric Job (mai 2025), diplômé de Sciences-Po Paris.

[1] Les républicains obtiennent en effet 30 sièges, tandis que les bonapartistes libéraux en glanent 120, les bonapartistes autoritaires 92 et les royalistes 41.

Sources

Émile Ollivier, L’Empire libéral, t.13
Éric Anceau, L’Empire libéral, t. 1, Genèse, avènement, réalisations, t. 2, Menaces, chute, postérité
Éric Anceau, Le Plébiscite du 8 mai 1870 : Un Monument Oublié de Notre Histoire Politique. La Revue, 43(2)
Pierre Milza, Napoléon III
Philippe Séguin, Louis-Napoléon le Grand

Pour aller plus loin

Plébiscite du 8 mai 1870 : Médaille à l’effigie de Napoléon III et du Prince impérial Napoléon Eugène Louis

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