Guerre du Mexique (2) : Des débuts difficiles

Auteur(s) : GOUTTMAN Alain
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Lorsque les flottes alliées se réunirent, début janvier 1862, au large de la Vera-Cruz, les Anglais savaient exactement ce qu'ils voulaient : se faire payer leurs créances et se rembarquer aussitôt. Leur contingent se réduisait alors à 900 marines seulement, dont la majeure partie demeurerait d'ailleurs, sur ordre, à bord des vaisseaux. Les Espagnols, arrivés dès le 17 décembre – avec 6 300 hommes – affirmaient ne poursuivre que le même but, même si les Anglais ni les Français n'en étaient pas parfaitement convaincus : Madrid, en effet, qui ne s'était jamais vraiment résignée à l'indépendance de sa vice-royauté préférée, cherchait depuis trop longtemps une occasion de remettre la main sur elle. Quant au commandant du corps expéditionnaire espagnol, le flamboyant maréchal Juan Prim, il passait pour parfaitement susceptible de vouloir rétablir la vice-royauté… à son profit personnel.
 
Du côté français, c'était le flou qui prévalait: on déclarait urbi et orbi n'être venus que pour récupérer des créances légitimes, mais les instructions du vice-amiral Jurien de la Gravière, commandant militaire et naval, lui prescrivaient « de marcher sur Mexico, avec ou sans les Espagnols ». Là, il s'appuierait sur « le parti monarchique » et convoquerait « une sorte de Constituante » avec des délégués « venus de toutes les provinces du pays ». Dans les discussions entre alliés, sur le terrain, on prétendait vouloir seulement se faire payer des dettes Mais alors, pourquoi parler, comme le faisait à l'envi Dubois de Saligny, de « remettre de l'ordre » dans le pays, de le « régénérer » et d'y parrainer l'installation d'un « gouvernement stable ». Pourquoi l'Empereur envoyait-il à Jurien de la Gravière, dès la fin janvier, un renfort de 4 500 hommes aux ordres du général Charles Ferdinand Latrille, comte de Lorencez, qui débarquerait à la Vera-Cruz le 15 mars. Et que faisaient donc, au sein de l'état-major du général, le père Francisco Xavier Miranda, un leader clérical ultraréactionnaire, et le général Juan Almonte, un émigré monarchiste condamné à mort par le gouvernement de Mexico, dont Napoléon III avait fait son « délégué » au Mexique.
 

Le débarquement du corps expéditionnaire français

La presse européenne ne se privait pas de dénoncer le projet “secret” de l'Empereur de placer l'archiduc Maximilien sur un trône que les troupes françaises avaient pour mission de relever. Ceux qui devaient souffrir le plus de tant d'incohérences seraient naturellement les officiers et les soldats, sur le terrain. Mais l'imprécision, l'incohérence, l'improvisation n'étaient-elles pas caractéristiques des grandes opérations militaires impériales. En juillet 1854, trois mois après avoir débarqué ses 30 000 hommes en Bulgarie, le maréchal de Saint-Arnaud savait-il seulement sur quel point il allait devoir frapper la Russie. L'objectif de Sébastopol, en Crimée, ne s'imposerait à lui et à ses alliés britanniques que lentement. Encore le maréchal était-il démuni de tout – ou presque – de ce dont il allait avoir besoin pour une telle entreprise. La même situation avait prévalu au début de la campagne d'Italie, pendant l'été 1858 : qui donc, sinon l'Empereur lui-même, s'était exclamé en constatant l'état d'impréparation de son armée : « En France, nous ne sommes jamais prêts pour faire la guerre ». Alors, aurait-on pu se demander, pourquoi se retrouvait-on face aux mêmes difficultés, quatre ans plus tard. Et ce fut ainsi qu'à force de leçons non tirées, on allait se retrouver, en 1870, dans un état d'impréparation tel que la défaite face à la Prusse s'annoncerait inévitable.
 
À peine débarqué, le corps expéditionnaire français avait dû faire face à des réalités totalement différentes de celles auxquelles il s'attendait. Où était la foule en liesse, animée de la plus pure ferveur monarchiste, qu'avaient annoncée Almonte, Hidalgo et autres Gutierrez Où étaient les contingents auxiliaires promis, ardents de se joindre aux « libérateurs » et d'en découdre avec les républicains. Il n'y avait personne: les quais étaient déserts, la ville et la région de la Vera-Cruz s'étaient vidées de leurs habitants et de toutes leurs ressources. Jurien de la Gravière en fut troublé?: les émigrés auraient-ils menti?? Mais Dubois de Saligny n'était jamais en manque d'explications ni d'arguments, et sa proximité avec l'Empereur leur donnait un poids déterminant. En guise de supplétifs, on vit bien arriver un certain “général” Galvez, suivis de 200 cavaliers et fantassins dépenaillés, traînant avec eux femmes, enfants et ustensiles de cuisine, auxquels on n'était guère tenté de se fier : ces soi-disant combattants monarchistes ressemblaient comme des frères aux bandits de grands chemins qui pullulaient au Mexique. Aux anciens de Crimée, ils rappelaient les excentriques bachi-bouzouks, ces cavaliers irréguliers du sultan, que ni Saint-Arnaud ni Youssouf n'avaient réussi à utiliser vraiment. Il n'en fallut pas moins organiser ces alliés improbables et, naturellement, les solder.
 
Quant à pénétrer plus avant dans le pays, un “cordon sanitaire” de troupes républicaines ayant été mis en place autour de la ville, il ne fallait l'envisager qu'en acceptant une confrontation ouverte avec l'armée mexicaine. Pour quels motifs prendrait-on un tel risque ?

Les Français se retrouvaient dans une situation pour le moins singulière

Indifférents, pour leur part, à ces considérations politico-militaires, mais anxieux de ne pas se trouver impliqués de facto dans les manigances de leur incontrôlable allié français, les Anglais et les Espagnols entrèrent rapidement en contact avec le gouvernement de Mexico, qui ne cessait de se déclarer ouvert à tout compromis pacifique. Quant aux Français, bien que fortement troublés par la tournure que prenaient les événements, ils ne songèrent  d'abord qu'à échapper à la fièvre jaune, le tristement célèbre vomito negro, qui sévissait de manière endémique dans cette région dite des « Terres chaudes ». Le général républicain Doblado, qui faisait face aux Alliés, ne disait-il pas que « chaque journée passée par les envahisseurs dans les Terres chaudes [équivalait] à une victoire de plus » ?
 
Une première négociation entre les Alliés et les Mexicains aboutit à un accord boiteux, la Convention de La Soledad, qui autorisait les premiers à s'éloigner quelque peu de la côte pour mettre leurs troupes à l'abri du vomito, en échange de pourparlers à engager immédiatement avec les seconds sur la question des dettes. En échange également de la promesse de rétrograder sans délai dans les « Terres chaudes » en cas d'échec des pourparlers.
 
Accablé par l'état de santé pitoyable de ses troupes – plus de 350 de ses soldats et marins étaient entrés à l'hôpital –, Jurien de la Gravière dut, la mort dans l'âme, se résoudre à s'y associer et à signer la Convention, un geste d'humanité qui lui vaudrait son commandement deux mois plus tard. Il est vrai qu'il  n'était pas venu au Mexique pour ça?! Sa signature équivalait, en effet, à une reconnaissance implicite de ce gouvernement républicain dont on contestait précisément la légitimité.
 
Espagnols et Anglais, quant à eux, ne tardèrent pas à conclure, avec les Mexicains, un nouvel accord financier – qui ne serait naturellement pas mieux respecté que les précédents – et, après avoir officiellement rompu, le 9 avril, avec le chef de l'expédition française – que son souverain venait, par ailleurs, de désavouer publiquement – ils se rembarquèrent, soulagés, quelques jours plus tard.
 
Le 21 avril, le général Latrille de Lorencez reçut le courrier de l'Empereur qui l'élevait au grade de général de division et le nommait commandant en chef du corps expéditionnaire. Le vice-amiral, quant à lui, était blâmé et rétrogradé au seul commandement de la division navale. La veille, Lorencez et Dubois de Saligny, responsable sur place des affaires politiques, avaient pris prétexte d'incidents prétendument provoqués par les Mexicains et de mauvais traitements dont auraient été victimes des résidents français à Mexico pour déclarer « la guerre à un gouvernement inique, qui avait commis [contre les résidents français] des outrages inouïs». Tout était faux, dans cette proclamation, mais avait-on vraiment besoin de prétexte. On se sentait en force : il n'y avait plus qu'à marcher. En France, Eugénie affichera le même esprit en écrivant à sa grande amie Pauline de Metternich : « Dieu merci, nous voici sans alliés !»
 

Premiers mouvements, premières déconvenues

Certes, s'avancer au coeur d'un pays hostile avec moins de 7 000 hommes, peu d'artillerie – 10 pièces de 4 montées – peu de munitions, peu de vivres, pas d'intendance, aucune réserve et une longue ligne de communication à sécuriser, c'était, d'un point de vue stratégique, une folie. Mais que faire d'autre? Se rembarquer piteusement, sous les quolibets des Mexicains et les moqueries des États-Unis et de toute l'Europe ?
 
Voici donc où avait conduit l'inconcevable légèreté avec laquelle l'Empereur avait lancé ses troupes au-delà de l'océan ! Encore n'avait-on rien vu.
 
Le 27 avril, Lorencez se mit donc en marche hardiment, à travers un terrain abandonné par l'ennemi et dépouillé de toutes ses ressources. Sur sa route, il allait devoir s'emparer de la ville de Puebla de Los Angeles, située à 240 km de la côte, qu'Almonte lui présentait comme toute dévouée aux monarchistes et brûlante d'ouvrir ses portes aux Français. En fait, la ville –dont l'Empereur croyait, quant à lui, qu'elle n'était qu'une bourgade, alors qu'elle comptait
75 000 habitants – avait été fortifiée à outrance et 12 000 Mexicains, réputés – au même titre  que les Russes – bons défenseurs de parapets, attendaient les envahisseurs de pied ferme.
 
Arrivé sur place le 4 mai, Lorencez dut se résoudre à un amer constat : les 10 000 auxiliaires, aux ordres d'un certain général Leonardo Marquez, dont Saligny avait annoncé qu'ils se joindraient aux Français sous les murs de la ville, demeuraient invisibles. La « Puebla antijuariste », que le diplomate avait décrite avec beaucoup d'assurance, maintenait ses portes fermées et n'envoyait guère aux Français, au lieu d'une délégation enthousiaste leur portant les clefs de la ville, que les coups de fusils de ses tirailleurs. Quant à ce « grand parti de l'intervention », qui devait s'insurger, à l'intérieur de ses murs, contre les « oppresseurs républicains », où était-il ? Terrible situation pour un chef militaire que de se sentir ainsi trahi par les politiques de son propre pays ! Et condamné à devoir choisir entre la peste et le choléra ! Lorencez dut bien admettre, à sa grande confusion, qu'il n'avait ni les moyens (en vivres, en matériel, en munitions) d'attendre sur place une quelconque ouverture de l'ennemi, ni la latitude (humiliante !) de rebrousser chemin sans avoir combattu. Il ne lui restait qu'à se battre. Mais comment?
 
Renonçant à s'emparer de la ville par le sud, ce qui l'aurait obligé à des combats de rues toujours aléatoires, le général choisit de s'emparer des forts, situés au nord-est et au nord-ouest, sur des hauteurs. Il fit donc ouvrir sur le Guadalupe le feu dérisoire de ses pièces de campagne, de calibre 4. Puis, ayant consommé en pure perte la moitié de ses munitions, il lança ses compagnies de zouaves et de chasseurs à l'assaut. Ce ne fut que pour subir alors, sur les pentes rendues boueuses par un violent orage et sous le feu terrible des canons de 12 qui armaient le fort, un échec sanglant, qui coûta aux Français 476 hommes, tués, blessés, ou faits prisonniers, soit 7% de leurs effectifs. L'échec militaire fut aussi une lourde défaite morale?: les Mexicains ne venaient- ils pas de défaire, comme ils n'allaient pas manquer de le claironner, « les meilleurs soldats de l'Europe »?
 
Au moins, évitant la catastrophe, Lorencez réussit-il à se replier en bon ordre, avec sang-froid, sans perdre un homme ni un canon, et à se retrancher dans Orizaba, où il n'avait plus qu'à attendre des renforts venus de France tout en tenant en respect l'armée républicaine. Ce fut la fameuse Retraite des Six Mille, titre d'un ouvrage du prince Bibesco, qui participait aux opérations. Divers engagements devaient confirmer que, s'ils étaient impuissants contre des fortifications garnies d'une forte artillerie, les fantassins français, face aux Mexicains, étaient imbattables en rase campagne.
 
Mais leur moral n'en avait pas moins été atteint.

Cet article est publié avec l'aimable autorisation de Napoléon III. Le magazine du Second d'Empire et de l'auteur.
 
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Cet article fait partie du dossier thématique sur la Campagne du Mexique (1861-1867).

Titre de revue :
Napoléon III. Le magazine du Second Empire
Numéro de la revue :
9
Numéro de page :
12-15
Mois de publication :
Janv.-Fev.-Mars
Année de publication :
2011
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