La bataille de Sedan

Auteur(s) : JOB Eymeric
Partager

À l’aube du 1er septembre 1870, l’empereur Napoléon III est retranché dans la petite ville de Sedan. Il vient de s’y replier avec 120 000 hommes et près de 600 canons après un début de campagne assez calamiteux où les défaites s’accumulent bien plus que les victoires.

Dès le 31 août, l’armée allemande, composée des troupes alliées de la Prusse et des pays du sud tels que la Bavière ou le Wurtemberg, avait compris l’opportunité de la situation et foncé sur Bazeilles. En dépit de pertes élevées, elle était parvenu à couper l’armée impériale française en deux, laissant le maréchal Bazaine seul dans Metz, tandis que l’armée de Châlons commandée par le maréchal Mac Mahon, duc de Magenta, et Napoléon III se retrouvait bloquée à Sedan.

Le commandant en chef prussien Von Moltke met donc ses 200 000 hommes et ses 800 canons en ordre de bataille. Le roi Guillaume Ier et son chancelier Bismarck sont également aux premières loges de la tragédie qui va se jouer dans la journée, assistant à la bataille depuis les hauteurs de Frénois, non-loin de Sedan.

La bataille de Sedan
Le général Margueritte mortellement blessé à Floing (bataille de Sedan),
le Ier septembre 1870, par James Alexandre Walker
© Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Pascal Segrette

A la vue de l’immense armée se présentant face à lui, Mac Mahon ordonne de placer les corps d’armée près de la citadelle. Tandis que le 1er septembre avant l’aube, les Bavarois de Von der Tann parachèvent de chasser les Français retranchés dans Bazeilles tandis que les IIIe et IVe Armées commandées respectivement par le prince Frédéric-Guillaume de Prusse et le prince Albert de Saxe, déploient leur force et manœuvrent par le nord afin d’ébranler les premières lignes françaises et d’ensuite converger vers le plateau d’Illy où se trouve la 1ère division de cavalerie de réserve du général Margueritte. Dès 4h du matin, certaines unités bavaroises parviennent à s’infiltrer dans Bazeilles et à s’approcher du château de Sedan où seuls les marsouins de la division Bleue parviennent enfin à endiguer leur progression, donnant même momentanément un léger avantage à l’armée française.

Cependant à 7h, les Français doivent accuser un premier coup dur : le duc de Magenta est grièvement blessé à la cuisse par un éclat d’obus et est contraint d’abandonner son commandement pour le reste de la journée –événement qui lui permettra d’échapper à l’humiliation de voir sa signature apposée au traité de capitulation à l’issue de la bataille-. Le général Ducrot qui le remplace ordonne aussitôt de sonner la retraite vers Mézières, seule chance selon lui de pouvoir sortir les troupes impériales de la tenaille et d’ensuite organiser une contre-offensive. C’est alors qu’un imbroglio va perturber considérablement l’exécution des mouvements français. Ducrot reçoit en effet une lettre du général de Wimpffen, arguant une directive du ministre de la Guerre Palikao, dans laquelle il réclame le commandement par intérim de l’armée de Châlons en cas d’empêchement de Mac Mahon.

De Wimpffen transmet dès lors des contre-ordres annulant de fait les instructions de Ducrot. L’armée impériale, recevant des séries d’ordres de trois commandants successifs, se retrouve bien déconcertée et marche quasiment à l’aveugle, se contentant d’obéir systématiquement aux ordres les plus récents. Vers 13h, de Wimpffen lance une contre-offensive de grandes envergures sur Bazeilles. Souhaitant ainsi s’ouvrir la route de Metz, il dégarnit le front nord en commandant aux divisions de réserve de Ducrot et Douay de se joindre à l’assaut. Si les marsouins de la division s’illustrent une nouvelle fois en repoussant par deux fois les Bavarois de Von der Tann, les erreurs tactiques de l’état-major français s’avère préjudiciable à la progression des troupes. L’ordre de marche est ainsi perturbé par le manque cruel d’organisation des commandants, qui faute de cartes, orientent mal leurs contingents. Ceux-ci se retrouvent alors sur de mauvais sentiers, tandis que d’autres sont inutilement exposés à l’artillerie et subissent des pertes considérables. Désorientés et incessamment pilonnés, les Français cèdent du terrain et le IVe corps bavarois parvient à s’enfoncer dans une brèche et ainsi couper l’armée impériale entre Bazeilles et Sedan.

Dans Bazeilles, les combats sont extrêmement sanglants et les Français de la division Bleue, bien qu’à un contre dix s’efforcent de tenir la place, ne cédant du terrain que maison par maison. L’héroïque résistance française finit par tourner court et les marsouins sont submergés sous le nombre des innombrables troupes allemandes. Aidés par des civils en armes, les Français refusent cependant toute capitulation et défendent chaque portion de terrain avec acharnement, en dépit de l’issue évidente qui se profile. L’artillerie allemande crachant son incessant attirail de mort, les maisons qui s’effondrent dans un vacarme assourdissant, les flammes toujours plus hautes des incendies se propageant au gré du vent et des obus, les troupes de l’Empereur cèdent peu à peu, d’autant plus que les munitions commencent à s’amenuiser et que la fatigue paralyse les membres.

Dans le même temps, le sort de la bataille tout entier se joue également dans le village de Donchéry, point clé du dispositif français, permettant aux IIIe et IVe armées prussiennes de réaliser leur jonction en cas de succès et d’ainsi parachever la prise en entonnoir de l’armée française. De Wimpffen concentré sur le front nord ne remarque pas ce mouvement de troupes sur ses arrières, et de cette manière, les deux armées peuvent effectuer leur jonction et de prendre les Français à revers. A partir de ce moment, toute retraite en bonne et due forme devient impossible et les Prussiens peuvent s’enfoncer dans le début de brèche réalisé entre les corps de Douay et de Ducrot. À cette vision alarmante, le général Margueritte lance ses cavaliers dans une charge aussi mémorable que désespérée dans l’illusion de rompre l’encerclement sur le plateau d’Illy. Depuis les hauteurs de Frénois où il assiste aux opérations de son armée, le roi Guillaume prononce ce mot resté depuis dans la postérité en observant les cavaliers de Margueritte se jetant dans la fournaise « Ach die tapferen Leute ! » (Ah, les braves gens !).

Devant ce carnage, la panique gagne les rangs français qui se débandent et se réfugient dans la citadelle de Sedan, espérant vainement pouvoir échapper aux balles et obus des Allemands. C’est une réelle débandade qui s’ensuit, soldats, chevaux, chariots s’amassent au niveau du pont-levis tandis que les plaintes et la panique laissent place au sauve-qui-peut général. Tandis que les obus de l’artillerie allemande font des ravages dans les unités retranchées dans la citadelle, déclenchant au passage de nombreux incendies, les hommes du rang en viennent à contester et menacer les officiers qui gardent pour eux les meilleurs abris. L’abandon est général, l’état-major et le cercle de grands officiers de l’Empereur l’exhortent à cesser le combat, seul de Wimpffen s’obstine à rallier les troupes qui, de toute évidence, sont bien plus soucieuses de leur propre survie plutôt que de celle de l’Empire tout entier.

L’Empereur ayant bien compris l’issue fatale de ce combat, veut cesser cette effusion de sang qu’il n’a par ailleurs jamais voulue. Il souhaite ainsi se constituer prisonnier, espérant de cette manière épargner l’humiliation d’une capitulation à ses généraux ainsi que préserver la vie de ses troupes vaincues. L’ordre de hisser le drapeau blanc au sommet de la citadelle est donné. Symbole d’une bataille décidément marquée par un commandement cruellement flou, le général Faure fait retirer le drapeau, celui-ci jugeant n’avoir qu’à obéir au commandant en chef de Wimpffen. Cet énième imbroglio causé par de Wimpffen ne dure cependant qu’un temps et l’Empereur le fait hisser une nouvelle fois.

À 18h, l’Empereur mande son aide de camp, le général Reille -dont le destin voulu que, comme son père qui combattu à Waterloo, il soit témoin privilégié de la chute de l’Empire- de transmettre cette lettre au roi Guillaume :

« Monsieur mon frère, n’ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste qu’à remettre mon épée entre vos mains. »

Le roi de Prusse la reçoit sur les hauteurs de Frénois qu’il n’a pas quitté de la journée, et au terme d’un court conseil de guerre avec son état-major, il accepte la reddition de l’Empereur, désignant le commandant en chef, le général Von Moltke comme représentant pour rédiger le traité de capitulation. L’Empereur envoie quant à lui de Wimpffen, qui arrive à Donchéry où se trouve l’état-major allemand et espère pouvoir négocier certains aspects de la reddition : les sommations d’une capitulation sans condition de Von Moltke et Bismarck coupent court à toutes ses aspirations.

Le lendemain à 8h, l’Empereur monte dans la berline qui doit le conduire à l’état-major du roi de Prusse. Le chancelier Bismarck apprenant le départ de Napoléon III s’embarque immédiatement et part à sa rencontre. Les deux escortes se font finalement face à l’entrée de Mézières. Ils mettent pied à terre et s’entretiennent finalement dans la maison d’un tisserand. Bismarck, faisant preuve une nouvelle d’un froid calcul politique, sait que l’Empereur escompte obtenir quelques aménagements du roi, chose qu’il aurait vraisemblablement obtenu en raison de la relation qu’il entretient avec lui. Bismarck, cynique, révèle donc à l’Empereur qu’il ne peut voir le roi Guillaume qu’après la signature de la capitulation sans condition.

De Wimpffen et Von Moltke signent finalement l’acte de reddition dans les alentours de midi en présence de l’Empereur et du roi de Prusse, l’armée impériale devant ainsi livrer tous ses drapeaux, canons, matériels, armes, munitions ainsi que la citadelle aux Allemands tandis que les 80 000 prisonniers sont emmenés sur la presqu’île d’Iges sur ce qui sera surnommé le « camp de la misère ». L’Empereur quant à lui est contraint de quitter la France le 3 septembre 1870 : il ne la reverra plus jamais. Emprisonné au château de Wilhelmshöhe, c’est d’ici qu’il apprend sa déchéance et la proclamation de la République par Léon Gambetta le 4 septembre. Sedan est à Napoléon III ce que fut autrefois Waterloo à son oncle Napoléon Ier, le désastre militaire entraînant avec lui la chute d’un régime impérial qui semblait pourtant cette fois pérenne, la France ne devait lors plus jamais rien que connaître d’autre que la République(Exception faite du régime de Vichy de 1940 à 1944.).

Eymeric Job, Juillet 2019

Sources

  • Der deutsch-französische Krieg 1870/71. Vorgeschichte-Verlauf-Folgen, J. Ganschow, O. Haselhorst, M. Ohnezeit, Ares-Verlag, 2013
  • Napoléon III, un Saint-Simon à cheval, E. Anceau, Tallandier, 2008
  • Napoléon III, P. Milza, Perrin, 2006
  • La guerre de 70, F. Roth, Fayard, 1990
Partager