I. Une troupe au statut particulier
Ni milice de palais, ni institution politique, la Garde s’avère avant tout un corps d’élite. Officiellement qualifiée de Maison militaire de l’Empereur (au sein de laquelle sont également intégrés les aides de camp et les officiers d’ordonnance de Napoléon), dotée de son propre budget, elle ne dépend absolument pas, pour sa vie quotidienne, de l’Administration de la Guerre qui assure l’existence matérielle du reste de l’armée impériale. Si bien que le souverain, conscient de la qualité et de la fidélité des unités qui la composent, n’hésite pas, en 1813 et 1814, à en accélérer la reconstitution grâce à des dons de plusieurs millions de francs-or tirés de son Trésor particulier, c’est-à-dire de son patrimoine personnel. Ce particularisme se concrétise tout autant par des appellations inusitées dans la Ligne (adjudant supérieur pour adjudant commandant par exemple) ou encore par l’existence d’un corps administratif et d’un service de santé particuliers.
En fait, Napoléon, durant ses quinze années de gouvernement, agit à son égard comme un véritable chef de corps, supervisant aussi bien le choix des soldats de sa Vieille Garde que les nominations des officiers et sous-officiers de toute la Garde. Symboliquement d’ailleurs, les drapeaux, étendards et guidons de son corps d’élite sont déposés dans le grand salon des Tuileries et font l’objet d’un cérémonial précis lorsqu’ils sont remis aux unités de service ou partant en campagne.
L’Empereur conserve néanmoins le souci constant de scinder le commandement effectif entre plusieurs titulaires. Il arrive néanmoins, en campagne, que les nécessités tactiques conduisent à désigner temporairement un chef unique, responsable devant lui seul. Il est vrai qu’alors cette charge demeure bornée par le fait que sa Garde agit groupée au sein de l’armée qu’il commande directement. Deux exemples seulement contreviennent à cette règle : le théâtre espagnol, où un certain nombre de détachements combattent de 1809 à 1813, et la campagne de France au cours de laquelle une partie de la Garde est bloquée en Hollande, une seconde bataille avec l’Empereur et une troisième s’organise à Paris.
L’institution d’une Garde ne constitue pas, cependant, loin s’en faut, une innovation. Traditionnellement, les détenteurs du pouvoir s’entourent d’un corps particulier, tant pour leur sécurité que par souci d’un certain décorum. Ainsi, à la veille de la Révolution, la Maison militaire du roi (8 500 cavaliers et fantassins en 1787) représente tout à la fois un élément de prestige, une unité de protection du monarque, de sa famille et du palais, une école de cadres et enfin un instrument de combat. Dès 1789, l’une de ses composantes, la « compagnie des Gardes de la Prévôté de l’Hôtel », est dédiée à la protection de l’Assemblée, nationale puis législative. Parallèlement, le reste de la Maison militaire, licenciée, cède la place en 1791 à une garde constitutionnelle qui disparaît l’année suivante avec la royauté. La Convention la remplace par des « grenadiers-gendarmes », où prédominent les éléments révolutionnaires. S’adaptant aux changements politiques, ces derniers se transforment sous le Directoire en une « garde du Corps législatif », doublée d’une « garde constitutionnelle » formée de soldats confirmés. Durant tout l’épisode révolutionnaire, néanmoins, ces unités servent seulement à réprimer émeutes et insurrections ou à assurer des services d’escorte et d’honneur à Paris, sans jamais être employées aux armées (à l’exception d’un bref épisode en Vendée en 1793). Constat qui semble s’expliquer principalement par l’exiguïté des effectifs :
Fantassins | Cavaliers | |
Garde constitutionnelle | 1200 | 600 |
Garde de la Convention | 500 | 0 |
Garde du Directoire
Garde du Corps législatif Garde constitutionnelle du Directoire |
1200120 | 0120 |
De leur côté, les généraux en chef s’entourent, sur les divers théâtres d’opérations, de détachements de protection, habituellement désignés sous l’appellation de « guides ». Le général Bonaparte n’est pas en reste. Dès la 1ère campagne d’Italie sont organisées à son profit deux compagnies, l’une à pied, l’autre à cheval, commandées par Bessières, qui a auparavant servi dans la garde constitutionnelle de Louis XVI et entretient avec Murat de solides liens d’amitié. La campagne d’Égypte amène ensuite un quintuplement des effectifs, 5 compagnies à pied et 5 à cheval, appuyées par un détachement d’artillerie servant 3 pièces, soit l’équivalent d’un petit régiment interarmes.
Vient Brumaire. Dans la nuit du 19 au 20, à 2 heures du matin, les nouveaux consuls prêtent serment à la République, puis Bonaparte s’adresse aux gardes qui attendent dans la cour, les incorporant d’une phrase au nouveau régime : « Grenadiers, la Garde du Corps législatif et la Garde du Directoire s’appelleront désormais la Garde des Consuls. » Par-delà le changement de nom vient de naître un nouvel outil, aux fonctions essentiellement militaires.
Sous la poigne de Murat, les semaines suivantes voient une réorganisation profonde. Dès le 13 nivôse an VIII (3 janvier 1800), tout en assurant un service de protection et d’escorte, la Garde retrouve ses capacités combattantes. Épurée de ses éléments douteux, elle accueille en contrepartie les 200 guides d’Égypte (sur 1 244) revenus avec le général Bonaparte, ainsi qu’un certain nombre de soldats éprouvés. La discipline est resserrée, manœuvres et revues se multiplient. Elle forme désormais une petite brigade interarmes avec un état-major général (71 hommes), une compagnie d’infanterie légère, deux bataillons de grenadiers à pied, une compagnie de chasseurs à cheval, deux escadrons de grenadiers à cheval et enfin une compagnie d’artillerie légère.
Finalement, le 11 avril 1800, la Garde quitte Paris pour l’Italie sous le commandement de Bessières, laissant dans la capitale les inaptes à faire campagne. À Marengo, ses 1 200 hommes se couvrent de gloire. Tandis que les cavaliers chargent, son infanterie, formée en carré, procure à Desaix le délai nécessaire pour engager ses troupes et transformer la défaite en victoire.
De retour en France, à Paris puis à Boulogne, et jusqu’à la campagne d’Allemagne en 1805, la Garde poursuit son expansion, gagnant sans cesse en homogénéité, discipline et efficacité. Elle continue à intégrer des combattants éprouvés revenus d’Égypte (dont le reste des guides) ou tirés des armées du Rhin et d’Italie (à l’image de Jean-Roch Coignet). Les conditions d’admission dans le corps d’élite sont très strictes (même si elles sont appelées à évoluer au fil des années au gré des circonstances et des besoins) : il faut être militaire en activité, compter au moins trois campagnes, des actions d’éclat ou des blessures et avoir fait preuve d’une conduite irréprochable.
Les effectifs croissent régulièrement : 2 089 hommes en 1800, 7 266 en 1802, 9 798 en 1804, ce qui équivaut concrètement à une petite division interarmes. L’infanterie est désormais structurée en deux corps parallèles, les grenadiers, qui puisent leur filiation dans la garde du Directoire, et les chasseurs, héritiers des guides à pied. La cavalerie comporte les deux spécialités habituelles. La légère est représentée par le régiment de chasseurs à cheval formé initialement par les guides mais qui intègre aussi une compagnie de mamelouks, vivant rappel de l’aventure égyptienne. La lourde est composée des grenadiers à cheval, issus de la garde du Directoire, mêlés aux militaires expérimentés tirés des cuirassiers, carabiniers et dragons de la Ligne. Fort logiquement, l’artillerie fait quant à elle l’objet d’une augmentation proportionnelle. Le projet de descente en Angleterre, enfin, suscite la création, en 1803, d’un bataillon de marins. Deux innovations renforcent encore l’autonomie de la Garde par rapport au reste de l’armée. Une compagnie particulière de vétérans est mise sur pied ; intégrée au corps des grenadiers à pied, elle accueille les soldats devenus inaptes à faire campagne mais dont l’admission aux Invalides serait injustifiée. Parallèlement, un soutien sanitaire spécifique est organisé. L’hôpital du Gros Caillou, rue Saint-Dominique, est réservé au corps d’élite. Géré par un conseil d’administration composé d’officiers et de sous-officiers des différents corps, il dispose d’un personnel médical très compétent. La journée de soins y revient à 2 francs, l’enterrement dans un « cercueil avec linceul » à 7,5 francs, que le malade, prévoyant ou pessimiste, peut verser d’avance. Prévu pour accueillir initialement 450 patients sur les 7 500 hommes composant alors la Garde (soit un taux prévisionnel normal de 6% de malades), il est complété par des infirmeries régimentaires puis, plus tard, par des hôpitaux secondaires afin de répondre à l’expansion des effectifs.
En marge de la Garde s’organise, dès 1802, une légion de gendarmerie d’élite. Forte de 2 escadrons et de 2 compagnies à pied, recrutée parmi les meilleurs éléments de l’armée, elle est commandée par un fidèle de Napoléon, son aide de camp Savary, spécialiste des missions secrètes, futur chef du renseignement militaire lors des campagnes de 1805 à 1809 puis successeur de Fouché à la tête du ministère de la Police. Cette unité a pour fonction de veiller en permanence sur le chef de l’État pendant ses voyages et aux armées, tout en contribuant au maintien de l’ordre à Paris et dans les divers lieux de résidence du gouvernement. Ne recevant ses ordres que de Bonaparte, elle fait en réalité double emploi avec la Garde, à laquelle elle est finalement intégrée le 29 juillet 1804, avant d’être spécialement attachée au Grand Quartier Général impérial en 1805.
La question du commandement est clarifiée durant cette période. Après Marengo et jusqu’en 1801, Lannes a eu autorité sur toute la Garde. Puis les responsabilités sont réparties entre trois généraux Davout (infanterie), Bessières (cavalerie) et Songis (artillerie), le Premier consul conservant la haute main sur l’ensemble. Le principe est finalement institutionnalisé par l’instauration de quatre colonels-généraux chargés chacun d’une arme et qui cumulent cette fonction (ainsi que la solde afférente) avec celles qu’ils exercent en tant que généraux (puis plus tard maréchaux). Les titulaires sont fort logiquement choisis parmi les militaires les plus célèbres de l’époque napoléonienne : Davout pour les grenadiers à pied (1804-1814), Soult pour les chasseurs à pied (1804-1814), Bessières (1804-1813) et Suchet (1813-1814) pour la cavalerie, Mortier enfin pour l’artillerie, le génie et les marins (1804-1814). Se défiant des intrigues de palais, songeant peut-être au pouvoir détenu par les prétoriens dans la Rome antique, Napoléon écrira même à son frère Joseph, le 31 mai 1806 : « N’organisez pas votre Garde de manière à ne nommer qu’un commandant. Rien n’est plus dangereux. » Dans les faits, elle demeure par ce biais entièrement dans les mains de Napoléon qui s’appuie plus particulièrement, pour le fonctionnement et la gestion au quotidien, sur Bessières, personnification de la Garde aux yeux de la Grande Armée.
Au bout du compte, en mai 1804, la Garde des consuls devient impériale sans faire l’objet à cette occasion de transformations fondamentales. L’ordre du jour du 20 floréal an XII (10 mai 1804) s’avère sans ambiguïté : « La Garde est prévenue que le Sénat a proclamé aujourd’hui Napoléon Bonaparte Empereur des Français, et a fixé l’hérédité du pouvoir dans sa Famille. Vive l’Empereur ! Dévouement sans bornes et fidélité à toute épreuve à Napoléon Ier, Empereur des Français. Aujourd’hui, la Garde prend le titre de Garde impériale. Les officiers seront rendus à Saint-Cloud demain à 1 heure et demie, pour être présentés à l’Empereur. La Garde prendra les armes demain et sera rendue au Champ-de-Mars à 4 heures et demie, pour prêter le serment de fidélité à l’Empereur exigé par le sénatus-consulte ». Signé : « Le Général de la Garde de service auprès de l’Empereur, Bessières. ».
Phalange d’élite, dont on veut récompenser la qualité et garantir la fidélité, la Garde bénéficie d’avantages matériels tangibles. Par ailleurs, le grade détenu est réputé correspondre au grade supérieur dans la Ligne tandis que la solde se révèle plus élevée :
Solde annuelle (Vieille Garde) | Solde annuelle (Ligne) | |
Colonel
Major (lieutenant-colonel) Chef de bataillon Capitaine Lieutenant en premier Lieutenant en second |
9 000 francs
6 200 francs 5 400 francs 3 600 francs 2 400 francs 2 100 francs |
6 000 francs
5 000 francs 4 000 francs 2 800 francs 1 800 francs 1 500 francs |
Solde journalière (Vieille Garde) | Solde journalière (Ligne) | |
Adjudant sous-officier
Sergent major Sergent Caporal Soldat |
2,97 francs
2,66 francs 2,22 francs 1,66 franc 1,16 franc |
2,10 francs
1,20 franc 1,00 franc 0,75 franc 0,55 franc |
Bref, à la veille de la campagne de 1805, la Garde se définit comme une armée en réduction, totalement autonome, parfaitement entraînée, susceptible d’effectuer un service d’honneur ou de guerre. Les campagnes ultérieures entraînent cependant une complexification de sa structure, parallèlement à l’expansion de ses effectifs. Le poids géopolitique croissant de la France en Europe se traduit en effet, concrètement, par une augmentation globale des forces impériales, qui intègrent des contingents alliés toujours plus nombreux (à l’exception des Cent Jours, qui constituent un épisode particulier). De nationale en 1805, la Grande Armée devient parfaitement multinationale en 1812. La Garde suit bien évidemment ce mouvement et ne cesse de prendre de l’importance dans l’appareil militaire napoléonien. Deux récapitulations suffisent à asseoir le propos. En termes absolus, tout d’abord :
Effectif total de la
Garde impériale |
|
1799-1801 | 2 089 hommes |
1802-1803 | 7 266 hommes |
1804 | 9 798 hommes |
1805 | 12 187 hommes |
1806 | 15 656 hommes |
1807 | 15 361 hommes |
1808 | 15 392 hommes |
1809 | 31 203 hommes |
1810 | 32 150 hommes |
1811 | 51 960 hommes |
1812 | 56 169 hommes |
1813 | 92 472 hommes |
1814 | 112 482 hommes |
1815 | 25 870 hommes |
Néanmoins, le plus intéressant demeure sa place en termes relatifs au sein des armées françaises :
Proportion des effectifs de la Garde par rapport aux effectifs totaux | |
1799-1801 | 0,28% |
1804 | 1,57% |
1809 | 3,40% |
1812 | 4,01% |
1813 | 7,52% |
1815 | 9,33% |
Compte tenu de la qualité des hommes et des possibilités offertes par la gestion particulière, Napoléon multiplie les missions dévolues à sa Garde. Aux services d’honneur et de guerre s’ajoutent ainsi, au fil des ans, une mission d’instruction, une dimension d’intégration qui touche au champ diplomatique et enfin, à la marge, un espace d’innovation dans le domaine logistique. En même temps, l’Empereur la transforme progressivement en une armée parallèle, matériellement mieux dotée que la Ligne, et globalement plus performante grâce à son encadrement expérimenté auquel s’ajoute un recrutement choisi, fondé notamment sur l’intégration de conscrits sélectionnés sur des critères physiques plus stricts ou des niveaux d’instruction plus élevés.
Reprenons les choses dans l’ordre, en commençant par la mission d’instruction. Le souverain l’aborde initialement à très petite échelle, par le biais des vélites. Créés le 21 janvier 1804, ces derniers sont des conscrits de la réserve ou des engagés volontaires âgés de 18 ans révolus. Payant une pension annuelle de 200 francs (pour les troupes à pied) ou de 300 (pour les troupes à cheval), encadrés par des instructeurs tirés de la Vieille Garde, disposant de maîtres de lecture, d’écriture, d’arithmétique, de gymnastique militaire, de mathématiques et de dessin, ils sont théoriquement destinés à entrer dans la Garde, à devenir sous-officiers dans la Ligne ou encore à intégrer comme élèves l’école spéciale militaire de Saint-Cyr. Groupés dans des bataillons ou escadrons à part en temps de paix, les vélites sont en revanche mêlés à la Vieille Garde en campagne, ce qui permet à cette dernière d’étoffer ses unités de guerre et d’en abaisser la moyenne d’âge (à Austerlitz, chaque compagnie d’infanterie comptera par exemple 75 grenadiers ou chasseurs à pied et 45 vélites). Un certain nombre d’entre eux reçoit bientôt l’épaulette de sous-lieutenant dans la Ligne, tandis que les autres constituent le noyau initial des deux régiments de fusiliers (appelés à fournir de nombreux cadres à la Ligne au cours des années suivantes). Les chiffres révèlent l’importance de ce mode de recrutement : 6 000 places de vélites sont ouvertes par décret entre 1804 et 1806 (dont 800 dans les troupes à cheval), alors qu’une promotion de Saint-Cyr compte au maximum 250 officiers. Puis ils disparaissent, dès 1807 dans l’infanterie, en 1811 dans la cavalerie (les enrôlements volontaires dans les fusiliers devenant impossibles à partir de cette même année). Il apparaît cependant évident que Napoléon, s’inspirant des cadets gentilshommes de la Maison du roi, a cherché à attirer par ce biais les fils de la petite bourgeoisie, comme le confirme explicitement l’un d’eux, Thomas Bugeaud, dans une lettre à sa sœur : « il y a un grand nombre de jeunes gens qui ne sont pas de bonne famille, fils de paysans, d’artisans. Il y en a aussi de très distingués, mais en général, ce corps n’est pas ce qu’on croit. ». Lui-même demeure l’un des vélites ayant mené une belle carrière militaire : né en 1784, incorporé à vingt ans dans les rangs des grenadiers à pied, caporal à Austerlitz, sous-lieutenant dans l’infanterie de Ligne en 1806, il est colonel en 1815. Opposant au régime et demi-solde sous la Restauration, réintégré dans les rangs par la monarchie de Juillet, il participe à la conquête de l’Algérie et reçoit finalement le bâton de maréchal.
Parallèlement, de phalange réduite d’hommes sélectionnés, la Garde acquiert progressivement le statut de seconde armée, bien plus petite mais de meilleure qualité que la Ligne. Le tournant intervient avec l’introduction massive, à partir de 1809, de conscrits sélectionnés, destinés à former la Jeune Garde. Dès ce moment, la Garde équivaut, en termes de volume, à un, puis deux corps d’armée particuliers. Surdotée en cavalerie et en artillerie, elle est composée d’une infanterie à deux vitesses. Les régiments de Vieille Garde conservent leur finalité de ressource ultime, même si la dureté des combats nécessite généralement leur engagement à partir de la retraite de Russie. Ceux de Jeune Garde, en revanche, sont employés au même titre que la Ligne, voire davantage compte tenu de leur plus grande solidité. Par ailleurs, comme à l’accoutumée, la cavalerie intervient constamment sur le champ de bataille tandis que l’artillerie constitue désormais une réserve tactique de pièces, destinée à préparer et appuyer l’assaut qui fera basculer le sort de la bataille. Finalement, le projet du 16 novembre 1813 envisage de la transformer en une véritable armée parallèle, forte de quatre petits corps d’armée, d’une réserve de cavalerie et d’une réserve d’artillerie, bref une Grande Armée en réduction. Le raccourcissement des délais dû à l’invasion empêche la réalisation de ce plan mais, durant la campagne de France, la désorganisation des troupes impériales et leur épuisement conduit en pratique la Garde à supporter l’essentiel des combats. Ainsi, au 5 mars 1814, les forces commandées par Napoléon représentent 39 307 hommes, dont 27 323 (69,5 %) de la Garde, sachant de plus qu’un certain nombre de bataillons de garde nationale sont encadrés par des officiers et sous-officiers de Jeune Garde.
À cet égard, plutôt que de développer de longues explications, potentiellement génératrices de confusion ou de redites, il a paru plus pertinent de présenter ici la structure du corps d’élite, arme par arme, en exposant aussi clairement que possible l’organisation de plus en plus complexe qui résulte de son évolution.
I – Infanterie
L’infanterie de la Garde conserve sa répartition en deux « branches historiques », les grenadiers et les chasseurs. À partir de 1810 néanmoins, l’on relève une simplification des appellations, les régiments de Jeune Garde devenant régiments de tirailleurs pour ceux rattachés aux grenadiers, régiments de voltigeurs pour ceux intégrés au corps des chasseurs.
Corps des grenadiers à pied | Corps des chasseurs à pied |
1er régiment de grenadiers à pied (1804-1814) (A)
2e régiment de grenadiers à pied (1806-1808 puis 1811-1814) 3e régiment de grenadiers à pied (1810-1813) (B) Régiment de fusiliers grenadiers (1806-1814) 1er régiment de tirailleurs grenadiers (1809-1810) (C) 2e régiment de tirailleurs grenadiers (1809-1810) (C) 1er régiment de conscrits grenadiers (1809-1810) (D) 2e régiment de conscrits grenadiers (1809-1810) (D) Régiment de flanqueurs grenadiers (1813-1814) Régiments de tirailleurs de la Garde 1er au 4e régiments (1810-1814) 5e et 6e régiments (1811-1814) 7e au 13e régiments (1813-1814) 14e au 19e régiments (1814) (E) Vélites de Turin (1 bataillon) (1809-1814) (F) |
1er régiment de chasseurs à pied (1804-1814) (A)
2e régiment de chasseurs à pied (1806-1808 puis 1811-1814) Régiment de fusiliers chasseurs (1806-1814) 1er régiment de tirailleurs chasseurs (1809-1810) (G) 2e régiment de tirailleurs chasseurs (1809-1810) (G) 1er régiment de conscrits chasseurs (1809-1810) (H) 2e régiment de conscrits chasseurs (1809-1810) (H) Régiment de flanqueurs chasseurs (1811-1814) Régiments de voltigeurs de la Garde 1er au 4e régiments (1810-1814) 5e et 6e régiments (1811-1814) 7e au 13e régiments (1813-1814) 14e au 19e régiments (1814) (E) Régiment des gardes nationales de la Garde impériale (1810-1813) (I) Vélites de Florence (1 bataillon) (1809-1814) (F) |
Unités diverses
Régiment des pupilles de la Garde impériale (1811-1814) (J) Bataillon d’instruction de Fontainebleau (1811-1814) |
|
Vétérans
1re compagnie (1804-1814) (A) 2e compagnie (hollandaise) (1810-1814) |
(A) Provenant de la Garde des consuls.
(B) Unique régiment d’infanterie de la Garde hollandaise, intégré à la Garde impériale lors de l’annexion du royaume.
(C) Devenus respectivement 1er et 2e régiments de tirailleurs le 30 décembre 1810.
(D) Devenus respectivement 3e et 4e régiments de tirailleurs le 30 décembre 1810.
(E) Les 14e et 15e régiments sont formés à partir des 6 bataillons de la Garde royale espagnole. De leur côté, les 17e, 18e et 19e régiments n’ont pu s’organiser faute de temps.
(F) Traités comme les régiments de fusiliers.
(G) Devenus respectivement 1er et 2e régiments de voltigeurs le 30 décembre 1810.
(H) Devenus respectivement 3e et 4e régiments de voltigeurs le 30 décembre 1810.
(I) Ses deux bataillons forment le 7e voltigeurs le 15 février 1813.
(J) Une partie du régiment formera les deux bataillons du 7e tirailleurs le 15 février 1813.
II – Cavalerie
Cavalerie légère | Grosse cavalerie |
Régiment de chasseurs à cheval (1804-1814)
1804 : 4 escadrons de Vieille Garde (A) 1805 : 4 escadrons de Vieille Garde et 1 escadron de vélites 1811 : 5 escadrons de Vieille Garde 1813 : 5 escadrons de Vieille Garde, 4 escadrons de Jeune Garde Mamelouks (1804-1814) 1804 : 1 compagnie (A) 1813 : 1 escadron Gendarmes d’ordonnance (1806-1807) 4 compagnies (septembre 1806-avril 1807) Chevau-légers lanciers (1807-1814) 1er régiment (polonais) 1807 : 4 escadrons 1812 : 5 escadrons 1813 : 7 escadrons (3 de Vieille Garde, 3 de Moyenne Garde, 1 de Jeune Garde) 2e régiment (hollandais) (B) 1810 : 4 escadrons 1812 : 5 escadrons 1813 : 10 escadrons (5 de Vieille Garde, 5 de Jeune Garde) 3e régiment (polonais) 1812 : 2 escadrons (C) Tartares lituaniens 1812-1813 : 1 compagnie (D) Lanciers de Berg 1809-1814 : 2 escadrons initialement, 6 en 1813 Éclaireurs (décembre 1813-1814) (E) 1er régiment (2 escadrons de Vieille Garde, 2 de Jeune Garde) 2e régiment (2 escadrons de Vieille Garde, 2 de Jeune Garde) 3e régiment (4 escadrons polonais de Jeune Garde) |
Grenadiers à cheval (1804-1814)
1804 : 4 escadrons de Vieille Garde (A) 1805 : 4 escadrons de Vieille Garde et 2 escadrons de vélites 1811 : 5 escadrons de Vieille Garde 1813 : 4 escadrons de Vieille Garde, 2 escadrons de Jeune Garde Gendarmerie d’élite (1804-1814) 1804 : 2 escadrons et 2 compagnies à pied de Vieille Garde 1806 : 2 escadrons de Vieille Garde 1813 : 2 escadrons de Vieille Garde et 2,5 de Jeune Garde Dragons (1806-1814) 1806 : 4 escadrons de Vieille Garde, 1 escadron de vélites 1807 : 3 escadrons de Vieille Garde, 1 escadron de vélites 1811 : 5 escadrons de Vieille Garde 1813 : 4 escadrons de Vieille Garde, 2 de Jeune Garde |
Gardes d’honneur (F)
Garde d’honneur du grand-duché de Toscane : 1809-1813 (1 compagnie) Garde d’honneur du prince Borghèse : 1809-1814 (1 compagnie) |
(A) Provenant de la Garde des consuls.
(B) Ex-régiment de hussards de la Garde hollandaise.
(C) Les survivants forment le 7e escadron du 1er régiment en mars 1813.
(D) Les survivants sont intégrés au 3e régiment d’éclaireurs en 1813.
(E) Le 1er régiment est attaché aux grenadiers à cheval, le 2e aux dragons, le 3e au 1er chevau-légers lanciers.
(F) Destinés théoriquement à devenir sous-lieutenants après deux ans de service.
III. Artillerie
Artillerie à cheval de Vieille Garde (1804-1814)
1804 : 2 compagnies (A) 1806 : 1 régiment (6 compagnies) 1808-1814 : 1 régiment (4 compagnies) Train d’artillerie (1804-1814) 1806 : 6 compagnies (A) 1807 : 12 compagnies 1809 : 15 compagnies 1811 : 12 compagnies 1813 : 16 compagnies |
Artillerie à pied de Vieille Garde (1808-1814)
1 régiment (6 compagnies, 1 compagnie d’ouvriers pontonniers) Artillerie à pied de Jeune Garde (1809-1814) 1809 : 3 compagnies 1811 : 4 compagnies 1813 : 16 compagnies |
Compagnie de vétérans (1812-1814) |
(A) Provenant de la Garde des consuls.
IV. Génie et marins
Génie (1810-1814)
1810 : 1 compagnie de sapeurs-pompiers de Vieille Garde 1813 : 1 compagnie (représentant en réalité l’effectif de 2 compagnies, moitié Vieille Garde, moitié Jeune Garde) 1814 : 1 bataillon (1 compagnie de Vieille Garde, 3 de Jeune Garde) |
Marins de la Garde impériale (1804-1814) (A)
1804 : 1 bataillon (5 équipages) (B) 1809 : 1 bataillon (4 équipages) 1810 : 1 bataillon (8 compagnies) |
(A) Provenant de la Garde des consuls.
(B) L’équipage équivaut à une compagnie d’infanterie.
V. Unités logistiques
Compagnies d’ouvriers d’administration (1806-1814)
1806 : 1 bataillon (5 compagnies) 1810 : 1 bataillon (3 compagnies) |
Train des Équipages (1811-1814)
1811 : 1 bataillon (6 compagnies) 1813 : 1 bataillon (12 compagnies) |
Ambulances (1804-1814) (A) |
(A) Provenant de la Garde des consuls.
Ces récapitulations posent la question du classement à adopter. Certains textes d’époque distinguent Vieille et Jeune Garde. D’autres parlent de Vieille, Moyenne et Jeune Garde. Or, il n’existe entre eux aucune contradiction car les documents concernés se réfèrent en réalité à deux niveaux interprétatifs différents. La distinction Vieille et Jeune Garde naît de l’emploi opérationnel des unités. La Vieille Garde (en l’occurrence grenadiers et chasseurs à pied) représente l’ultime réserve d’infanterie et intègre en son sein, lors des dernières campagnes, les régiments de fusiliers. C’est seulement en 1815 qu’apparaîtront explicitement une division de Vieille Garde (1er et 2e grenadiers et chasseurs), une de Moyenne Garde (3e et 4e grenadiers et chasseurs) et une de Jeune Garde (1er et 3e tirailleurs et voltigeurs).
La triple partition obéit quant à elle essentiellement à une logique administrative. Les régiments de la Garde sont classés en fonction de leur date de création, les plus anciens accueillant les soldats qui comptent le plus grand nombre d’années de service ou le plus d’actions d’éclat. Cette hiérarchie fonde la logique du passage d’un corps à un autre (par exemple des tirailleurs aux fusiliers, des fusiliers au 2e grenadiers, du 2e grenadiers au 1er). Ce classement se concrétise par une différence dans les taux de solde et les indemnités perçues. La Vieille Garde s’avère à cet égard, on l’a dit, particulièrement favorisée, la Moyenne un peu moins (le simple grenadier reçoit quotidiennement 23 sous au 1er régiment, 18 au 2e), la Jeune se voit généralement assimilée à la Ligne. Une récapitulation établie en 1812 illustre la complexité des diverses situations (que les créations de 1813 accroîtront encore) :
Vieille Garde | Moyenne Garde | Jeune Garde |
Infanterie
1er régiments de grenadiers et de chasseurs à pied Officiers et sous-officiers des 2e grenadiers et chasseurs à pied Officiers et sous-officiers des fusiliers Officiers du 3e grenadiers à pied Majors, chefs de bataillons et capitaines de tirailleurs, voltigeurs et flanqueurs Major du régiment des gardes nationales de la Garde Vétérans |
Infanterie
Caporaux et soldats des 2e grenadiers et chasseurs à pied Caporaux et soldats des fusiliers 3e régiment de grenadiers à pied Vélites de Turin et de Florence Compagnie de vétérans d’Amsterdam |
Infanterie
Régiments de voltigeurs Régiments de tirailleurs Régiment de flanqueurs Régiment des gardes nationales de la Garde Régiment des pupilles |
Cavalerie
Régiment de grenadiers à cheval Gendarmerie d’élite Régiment de dragons Régiment de chasseurs à cheval Mamelouks 1er régiment de chevau-légers lanciers Officiers du 2e chevau-légers lanciers |
Cavalerie
2e régiment de chevau-légers lanciers |
Cavalerie |
Artillerie
Artillerie à pied et à cheval Officiers et sous-officiers de l’artillerie à pied de Jeune Garde Pontonniers Officiers du train d’artillerie |
Artillerie
Train d’artillerie |
Artillerie
Caporaux et soldats d’artillerie à pied de Jeune Garde |
Autres
Sapeurs |
Autres
Ouvriers d’administration |
Autres
Bataillon de train des équipages |
Il convient pour finir d’évoquer la question des équivalences de grades, précédemment mentionnée et définitivement fixée le 19 mars 1813 sur les bases suivantes. Les simples soldats de la Vieille Garde sont assimilés à des caporaux (ou brigadiers) dans la Ligne, les caporaux et brigadiers à des sergents ou maréchaux des logis, les fourriers, sergents ou maréchaux des logis à des adjudants-sous-officiers, les sergents-majors ou maréchaux des logis-chefs à des sous-lieutenants, les lieutenants en 2e à des lieutenants, les lieutenants en 1er à des capitaines, les capitaines à des chefs de bataillon ou d’escadron(s), les chefs de bataillon ou d’escadron(s) à des majors (lieutenants-colonels), les majors à des colonels. Toutefois, alors que les régiments de tirailleurs et de voltigeurs sont tout à fait normalement commandés par un major qui a rang de colonel dans la Ligne (d’où son titre de colonel-major), les majors placés à la tête des régiments de Vieille Garde sont en fait des généraux de brigade.
Au terme de cette approche des structures de la Garde, de leur évolution et de leur complexification, restent à exposer les missions du corps d’élite puis sa disparition aux Cent Jours, tous sujets qui seront abordés dans les présentations ultérieures.
Jean-François Brun, maître de conférences HDR à l’université de Saint-Étienne, auteur de La Grande Armée. Analyse d’une machine de guerre, Grand Prix de la Fondation Napoléon en 2023 (mise en ligne : avril 2025)