La Garde impériale : l’orgueil du bonnet à poil (4/5)

Auteur(s) : BRUN Jean-François
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La Garde impériale : l’orgueil du bonnet à poil (4/5)
Edouard Detaille, Artilleur à cheval de la Garde impériale, huile sur toile,
collection particulière, 1870 © Wikipédia

Un symbole aisément reconnaissable

L’aspect extérieur de la Garde joue un rôle essentiel. Mais le dénominateur commun à toutes ses composantes, le bouton timbré d’une aigle couronnée, ne se remarque pas d’emblée au sein de la bigarrure des uniformes. Sous le Consulat et au début de l’Empire d’autre part, l’aspect général de l’habit d’infanterie demeure identique dans la Garde ou la ligne (hormis pour la première, lorsque l’on y regarde de plus près, les pattes de parement, les poches en long, ou le galon d’or des chevrons d’ancienneté de sous-officiers). Progressivement toutefois, face au reste de l’armée dont les tenues évoluent, la Vieille Garde (fusiliers compris) acquiert un aspect légèrement désuet avec ses guêtres blanches (qu’elle est seule à utiliser) et longues (au moment où l’on commence à les porter courtes), contrairement d’ailleurs à l’infanterie de Jeune Garde, en habit-veste et guêtrée de noir. Epaulettes et plumet de bonnet permettent cependant de distinguer les grenadiers (rouge) des chasseurs (rouge et vert), cette différence se retrouvant tout à fait logiquement dans les épaulettes et pompons de shakos des régiments de Jeune Garde issus de l’un et l’autre corps.
En revanche, tandis qu’artillerie, train d’artillerie ou génie demeurent assez semblables à la ligne, la cavalerie offre davantage de complexité. Aux grenadiers, gendarmes et dragons, à l’uniforme strict, répond la luxueuse tenue à la hussarde des chasseurs ou la coupe polonaise, élégante et très moderne, des chevau-légers (à dominante bleue pour le 1er régiment, rouge pour le 2e). La palme de l’exotisme revient sans conteste aux mamelouks, équipés et armés à l’orientale, précédés de leur musique si particulière et dont l’étendard est entouré de quatre porte-queues.
Il convenait donc de munir la Vieille Garde, pour la parade et le combat, d’un signe distinctif aisément reconnaissable, en l’occurrence le bonnet à poil, hérité des grenadiers de la Révolution. Avec quelques variantes (présence ou absence de plaque frontale, de calotte au sommet ou de visière), il équipe l’infanterie et l’artillerie de Vieille Garde, de même que les grenadiers à cheval et la gendarmerie d’élite. Chasseurs et artilleurs à cheval, quant à eux, utilisent son équivalent, le colback en peau d’ours (introduit en 1800 dans l’armée française). Seuls dragons, lanciers et mamelouks, dotés des coiffures propres à leur subdivision d’armes, ne portent pas l’emblème distinctif, pas davantage d’ailleurs que les marins (en shakos !) ou les sapeurs équipés d’un casque de fer poli orné d’une brosse d’ours noir.

Au-delà de l’anecdote, ces détails revêtent une réelle importance. Le bonnet à poil ou le colback sont en effet progressivement abandonnés par les compagnies d’élite de la ligne (le premier n’apparaissant plus dans l’ordonnance de 1812 réglementant l’habillement). De leur côté, les unités de Jeune Garde utilisent exclusivement le shako, les vétérans le chapeau. Si bien que, sur le champ de bataille, l’apparition des bonnets à poil est attendue ou redoutée. C’est si vrai que, lorsque le 3e chasseurs recule à Waterloo, l’armée lâche pied. On touche ici à l’un des aspects-clefs de la bataille, le caedes, propre aux époques ne disposant pas encore d’armes à feu capables de saturer le terrain. Ardant du Picq le définit comme un point de rupture psychologique, une désintégration du lien moral qui unit les combattants. Face à un assaut apparemment irrésistible, il transforme une troupe organisée en une foule d’individus gagnés par la panique. Bref, au mythe du bonnet à poil répondra, au XXe siècle, celui du béret rouge.

Parallèlement, armes et drapeaux demeurent semblables à ceux de la ligne. Seule diffère peut-être la qualité. Le général Gassendi, dans son manuel, est formel : « les armes à feu de la Garde sont les mêmes que celles des autres troupes ; on les polit seulement avec plus de soin, ce qui coûte dix francs de plus ». Une étude de la manufacture de Versailles, seule à fournir la Garde, confirme cette appréciation. La livraison de modèles spéciaux de fusils n’intervient réellement que sous le Consulat. L’armement spécifique des mamelouks, que Versailles est seule à produire, constitue de ce point de vue une exception économiquement logique. Cette uniformité réglementaire n’empêche pas les officiers de Vieille Garde de posséder sabres et épées de parade aux sculptures et décors particulièrement raffinés, mais l’on touche ici au domaine du privé.

Orgueil et morgue

Outre le comportement fait de discipline, de mesure et d’obéissance absolue, voire d’un maintien sévère dans la gendarmerie d’élite, la Garde s’est dotée d’un certain nombre de signes distinctifs, nés de la volonté (sociologiquement tout à fait explicable) de se différencier du reste de l’armée. Ainsi, les régiments de Vieille Garde (dont les soldats portent des boucles d’oreille en or) sont les seuls théoriquement autorisés à conserver les cheveux longs, poudrés et liés en queue. Ils prennent leur repas dans des gamelles individuelles et non dans des marmites d’escouade. Leurs tambours sont doublés de fifres, tandis que des batteries particulières, la « grenadière » (ou la « carabinière » pour les chasseurs) remplacent la « générale » de la ligne. Plus globalement, certains grades font l’objet d’une appellation différente (colonel-major, adjudant-supérieur, adjudant d’administration…). Le souci de la tenue est permanent. À Paris, le soldat de Vieille Garde se promène en chapeau de feutre noir, habit, culotte, bas blancs et souliers à boucles. Un matin de bataille, il revêt l’uniforme de parade (même si les chasseurs à cheval, pour s’alléger, effectuent leurs cinq dernières campagnes en dolman) et, au minimum, se rase, y compris à Eylau.

Mais cette volonté de différenciation, appuyée sur la certitude d’appartenir à une élite dont il convient de se montrer digne, génère quelques comportements moins glorieux. Le vélite Barrès se souvient de la rudesse de l’accueil : « encadrés dans les rangs de ces vieilles moustaches, qui avaient tous un chevron au moins, nous avions l’air de jeunes filles, auprès de ces figures basanées, la plupart dures, envieuses, mécontentes de ce qu’on leur donnait des compagnons aussi jeunes. » Et l’attitude des anciens sera encore plus glaciale pour les gendarmes d’ordonnance.
L’orgueil de la Garde crée même un véritable fossé avec le reste de l’armée, comme le révèle Wolfe-Tone dans ses Mémoires : « les troupes de ligne n’aimaient pas la Garde impériale. Elle ne partageait ordinairement pas ses misères, et ses privilèges la rendaient hautaine et arrogante. C’est à peine si un militaire de ce corps aurait salué un officier appartenant à tout autre, à moins qu’il ne fût de service. » De fait, partout où elle arrive, la Garde s’empare des meilleurs cantonnements, passe la première aux distributions de vivres (ce qui pose des problèmes lors de la retraite de Russie par exemple), voire refuse d’obéir à d’autres qu’à ses propres cadres, ce qui alimente encore les rancœurs à son égard, déjà nourries par les différences de solde et de traitement. Mais n’est-ce pas là l’inévitable rançon d’une armée à deux vitesses ?

Le bonnet à poil

Dit aussi « ourson » ou « bonnet d’oursin », il équipe à partir de la Révolution les grenadiers et les carabiniers de l’infanterie légère. Puis le décret de 1812 le retire aux unités de ligne, arguant notamment de son coût. Théoriquement en poil d’ourson, il est parfois réalisé en poil de chèvre à la fin de l’Empire.

L’ourson pour toujours !

Initialement, en habits de route et en petit uniforme, l’infanterie de Vieille Garde portait le chapeau. Le bonnet, placé dans un étui au sommet du sac, était revêtu seulement pour les revues ou le combat. Coignet raconte dans quelles circonstances le chapeau disparaît définitivement en mai 1809 : « l’Empereur nous fit partir dès le matin de Schönbrunn pour nous porter sur le Danube, toute l’infanterie de sa Garde et lui à la tête, et à onze heures, il nous donna l’ordre de passer et de mettre nos bonnets à poils, et comme ça pressait en passant sur trois rangs ce grand pont, nous nous défaisions de nos bonnets à poils les uns [les] autres en marchant. Et cette opération fut faite dans la traversée du grand pont et tous nos chapeaux furent jetés dans le Danube et jamais nous n’en avons reporté depuis. » Désormais, grenadiers et chasseurs utiliseront en campagne l’ourson, y ajoutant, pour la grande tenue, cordon et plumet.

Quelles armes ?

D’après les états de Nicolas Boutet et du baron Cotty, la manufacture d’armes de Versailles a livré à la Garde, de l’an IX à 1814, 8 926 fusils d’infanterie de la Garde et 2 138 mousquetons de cavalerie. De leur côté, les mamelouks ont reçu 80 carabines, 113 tromblons, 504 pistolets d’arçon et 224 pistolets de ceinture.

Jean-François Brun, maître de conférences à l’université de Saint-Étienne, auteur de La Grande Armée. Analyse d’une machine de guerre, Grand Prix de la Fondation Napoléon en 2023 (mise en ligne : avril 2025)

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