La naissance des sapeurs-pompiers de Paris

Auteur(s) : NÉDOT DE L'AULNOY Marc
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Par le décret du 18 septembre 1811, l'Empereur créa le bataillon des sapeurs-pompiers de Paris, qui veillent aujourd'hui encore sur la capitale et sa proche banlieue.

De l’antiquité à la Révolution

Dès le début de la civilisation, les hommes, bâtissant des cités de bois, se rendent compte du danger et mettent sur pied des organismes pour lutter contre les incendies. Déjà en Asie mineure, on parle de lutte contre le feu ; plus tard en Italie, les Romains créent sous l'empereur Auguste les « vigiles du feu ». D'ailleurs, à l'heure actuelle, nos amis pompiers italiens s'appellent toujours les « vigili del fuoco ».

En France, dès le Moyen Âge, ces structures apparaissent, mais ces embryons de service incendie ne sont alors basés que sur le volontariat. On utilise alors nombre de personnes travaillant dans le bâtiment, charpentiers, couvreurs, etc. À la Renaissance et sous Henri IV, des moines d'ordres mineurs font le service (recollets ou capucins) : avec leurs robes de bure, ils n'étaient pas très à l'aise, et lors des incendies plus d'un dut avoir sa robe brûlée. À ces époques, le guet incendie est réalisé par les personnes travaillant à domicile, tels les taverniers et prostituées.
Il faut donc attendre Louis XIV pour qu'un corps de gardes pompes soit organisé à Paris. Le prévôt des marchands, qui doit veiller sur la capitale, organise déjà en 1670 un premier service incendie, mais il est incomplet et ne dispose pas encore de pompe à bras, mais de seaux, d'outils de démolition (pics et crocs).
En octobre 1699, le roi signe trois ordonnances sur l'organisation de pompiers professionnels à Paris, ancêtres de la BSPP actuelle. L'emploi de pompes et de personnel professionnel va complètement modifier la lutte contre l'incendie. Ces pompes viennent de Hollande et d'Allemagne (où elles sont connues depuis le XVIIe siècle) et c'est la ville de Douai qui, la première, en a fait usage en France, dès 1693. Le roi achète alors en première dotation, pour sa bonne ville de Paris, douze pompes de ce modèle. C'est le sieur Du Périer qui les construit, sur les conseils de François Dumouriez (ancêtre du général), qui les avait vues en Allemagne. L'année suivante, Du Périer est chargé par ordonnance de l'entretien de ces pompes.

Le 12 janvier 1705, une grande loterie est organisée afin de financer l'achat de douze nouvelles pompes (les billets de loterie coûtent vingt sols).

Les pompes sont stockées dans les couvents des vingt quartiers du vieux Paris : elles sont placées sous la garde des religieux, lesquels ne sont toutefois pas chargés de leur entretien ni de leur maniement. Toutefois, celles-ci sont utilisées par les ouvriers de Du Périer et également manoeuvrées par toutes sortes de volontaires (où l'on re-trouve certains ordres religieux comme les capucins).
Au XVIIIe siècle, plusieurs grands sinistres ont lieu. Pour ne citer qu'un des plus célèbres, il convient de rappeler l'incendie en 1718 du Petit Pont (futur Pont Neuf), près de l'Hôtel Dieu, qui brûla avec toutes les maisons qui étaient construites dessus : désormais, aucune habitation ne sera plus accolée à un pont parisien. Le 22 août 1719, Du Périer perçoit alors, pour entretenir les pompes, un nouveau privilège de huit milles livres de rente annuelle. Et le 7 septembre suivant, afin d'assurer la survie de la direction des gardes pompes, son fils reçoit un brevet de lieutenant : il n'a alors que quatorze ans.

Trois ans plus tard, le 10 mars 1722, le conseil d'État crée un corps de gardes pompes de soixante hommes, logés aux abords des emplacements où sont lesdites pompes. L'uniforme est, dès le début, calqué sur celui du génie, alors qu'ils ne sont pas militaires mais dépendent de la ville de Paris.

Premières évolutions

Le système des gardes pompes se transforme peu à peu par la loi du 24 août 1790, qui donne au corps « le soin de prévenir convenablement les accidents et fléaux calamiteux comme les incendies, par une meilleurs distribution des moyens de secours nécessaires ». La Convention nationale, en 1793, donne aux gardes pompes leur premier drapeau. Dès cette année-là, l'appellation change : ils prennent le nom de « compagnie des pompes publiques »

Le chef de corps, le sieur Picard-Ledoux, est depuis le 21 avril 1793 nommé « commandant en premier ». L'état-major est installé rue de la Jussienne ; il existe quarante et un postes de secours, mais seuls dix-sept possèdent des pompes, les autres n'ayant que des tonneaux à eaux, sorte de citernes roulantes.
Malheureusement à cette époque, les gardes pompes n'ont pas encore de chevaux, ni d'écuries, et doivent donc réquisitionner les chevaux du voisinage pour la traction de leurs matériels, en échange d'indemnités variables. L'équipage le plus rapide peut avoir une prime supplémentaire de 12 francs.

C'est à cette période que le corps des gardes pompes passe du système de volontariat à un personnel permanent et rémunéré. Et à partir de 1794, la discipline devient plus militaire grâce à l'adoption d'un « code de discipline » (bien  qu'il ne soit pas encore vraiment militaire mais proche de la Garde nationale).
En 1793, l'effectif du corps est de huit officiers et de deux cent soixante-dix sapeurs, formant trois compagnies. Par la loi du 9 ventôse an III, ces trois compagnies passent à l'effectif suivant : 1 capitaine (dit inspecteur dans les textes), 1 lieutenant (sous-inspecteur), 1 sergent, 40 caporaux chefs de poste, 80 pompiers et 1 tambour, soit 124 gardes. Et à l'état-major : 1 chef de corps, 1 commandant en second, 1 sous-officier quartier maître et 1 chirurgien. Soit un effectif total, avec la troupe, de trois cent soixante-seize personnels.

Le service se fait par tiers, dans les différents postes de secours. La solde, pour un garde pompe, est de deux cent quatre-vingt livres par an, avec une prime d'habillement de cent vingt livres.

En février 1795, le quartier général est transféré rue Saint-Louis, au Palais de Justice. Particularité de cette époque révolutionnaire, les grades sont donnés pour moitié à l'ancienneté et pour l'autre par élection, seul le chef de corps étant nommé par l'État. Même si le système n'est pas parfait, le dévouement, le courage des gardes pompes dans leur service auprès de la population est sans faille. Mais avec le temps, la mauvaise paie, les locaux d'instruction trop petits et le manque de matériels, le service va décliner.
Surtout, les fils de riches bourgeois, af
in d'échapper aux guerres de l'Empire, s'engagent dans ce corps. Mais très vite certains n'hésitent pas à laisser faire leurs services de garde incendie par des gardes pompes de conditions plus modestes contre argent comptant.

Les officiers, nommés en 1793 et ayant vieilli, la discipline souffre beaucoup, sans que de nouvelles mesures soient prises. Il faut donc attendre la catastrophe de l'incendie de l'ambassade d'Autriche, le 1er juillet 1810, pour que l'Empereur prenne les mesures qui s'imposent [1]. Il est vrai que l'ingénieur en charge du bataillon, à l'époque, n'avait alors pas mis les pieds dans la caserne… depuis plus de trois ans.

Les pompiers du génie de la Garde

Mais avant ce terrible drame, au début de l'année 1810, un autre sinistre s'était déroulé au palais de Saint-Cloud.

La nuit était déjà bien avancée en cette fin d'hiver, tout le monde dormait. Le froid étant important, les grognards du poste de garde [2] firent un feu d'enfer dans un modeste poêle en tôle qui leur servait de chauffage. Malheureusement, le poêle ne fut pas à la hauteur de leurs espérances et bientôt le métal devint rouge, transmettant le feu par convection. Or, le point d'auto-inflammation du bois étant supérieur à 400°C, la chaleur dut être très importante car un fauteuil, qui se trouvait devant une bouche de chauffage, prit feu. Malgré tous les efforts pour éteindre l'incendie, au bout de quelques minutes la pièce s'embrasa et l'ensemble des meubles se mit à brûler. Les soldats de garde, se rendant enfin compte du danger, informèrent alors l'officier de garde, qui le répéta au concierge du château, lequel alla rapidement avertir le grand-maréchal du palais. Afin ne pas réveiller l'Empereur, Duroc ainsi que les officiers de service organisèrent la lutte contre l'incendie, en faisant une chaîne de porteurs de seaux entre le bassin de la cour d'honneur et le lieu de l'incendie. Et en moins d'une heure, le feu était éteint.

L'Empereur n'apprendra l'événement qu'à son réveil et prendra alors de nouvelles mesures pour que cela ne se reproduise pas, faisant notamment organiser une garde de nuit avec rondes régulières.

À la suite de ces deux événements, et quoiqu'à l'état-major il existe déjà des officiers du génie, l'Empereur crée le 10 juillet 1810 la 3e compagnie du Génie de la Garde impériale, véritables pompiers des palais et résidences impériales (Fontainebleau, les Tuileries, Saint-Cloud, Meudon, Rambouillet…). L'Empereur organise ainsi la lutte incendie de Paris en deux entités : le génie pour les résidences et bâtiments officiels, et les gardes pompes (puis sapeurs-pompiers) pour la ville.

La création ne sera effective qu'au 1er janvier 1811 et l'unité sera placée sous les ordres du général Kirgener de Planta, qui commande le génie de la Garde impériale (Vieille et Jeune Garde).

La compagnie est alors formée de 139 hommes et comprend : 1 capitaine, 1 lieutenant en premier, 1 lieutenant en second, 1 sergent major, 4 sergents, 1 fourrier, 8 caporaux, 6 ouvriers (maître-tailleurs, cordonnier et 4 ouvriers pour l'entretien des pompes), 32 sapeurs de 1re classe, 72 sapeurs de deuxième classe et 2 tambours.

La taille des sapeurs est réglementée, comme d'ailleurs pour toute la Garde, soit 5 pieds 5 pouces (1,75 m).

L'uniforme est proche du génie de la ligne, avec les revers en velours noir, mais pour le génie de la Vieille Garde, l'Empereur fournira un casque à cimier, de couleur argentée, l'insigne étant une aigle sur des foudres de couleur noire. Le génie de la Jeune Garde portera le shako.

La compagnie est équipée de huit pompes, attelées par deux chevaux chacune (au contraire des gardes pompes de Paris). Un caisson d'outillage complète l'ensemble, avec quatre chevaux (vu le poids du caisson). Deux de ces pompes seront d'ailleurs emmenées pendant la campagne de Russie : elles iront jusqu'à Moscou mais, en nombre insuffisant, elles n'auront évidemment aucune efficacité et, surtout, ne reviendront pas en France.

En 1812, trois nouvelles compagnies sont créées de la Jeune Garde. Et à la Restauration, le génie de la Garde impériale sera dissous.

La création des pompiers de Paris

prend le nom de « Bataillon des Sapeurs-Pompiers de Paris » [3].
L'uniforme est, à quelques détails près, le même que le génie, au règlement Bardin, bien que n'en faisant pas partie au début (il ne deviendra une subdivision de l'arme du génie qu'en 1967) ; en 1811, il appartient à l'infanterie, comme la garde de Paris. À la différence du génie de la Garde, le casque à chenille est en laiton.

L'organisation du corps est revue par le décret du 13 août 1813 : la 1re compagnie est postée à la caserne de la préfecture de police dans l'île de la Cité, la 2e est rue Culture-Sainte-Catherine (aujourd'hui caserne Sévigné)…
Le bataillon est formé :
–          d'un état-major du bataillon qui sera composé ainsi : 1 chef de bataillon, 1 ingénieur ayant grade de capitaine,
1 adjudant-major, 1 quartier-maître, 1 chirurgien-major,
1 garde-magasin et 2 maîtres-ouvriers ;
–          de quatre compagnies organisées ainsi : 1 capitaine,
1 lieutenant, 1 sergent-major, 4 sergents, 1 caporal-fourrier, 10 caporaux, 10 appointés, 112 sapeurs-pompiers et 2 tambours.
Le coût du bataillon s'élève à 314 671,50 francs ; il est entièrement à la charge de la ville de Paris. Militaire, le bataillon sera exercé aux manoeuvres de l'infanterie en plus des manoeuvres contre les incendies. Son commandement est confié au chef de corps Moricet, assisté des ingénieurs Peyre et Desaubliaux pour la surveillance et l'administration. Le 1er janvier 1812, le commandement est transmis au chef d'escadron Lalanne, puis le 1er janvier 1814 à un officier du génie de retour du siège de Saragosse, le commandant Plazannet.
Sous le commandement de ces nouveaux officiers, le service ne va pas tarder à faire ses preuves et la lutte contre l'incendie s'organiser de manière rationnelle. D'ailleurs, les officiers sont désormais directement nommés par l'Empereur.
Ce corps exceptionnel va survivre à la dislocation de l'armée en 1815. De bataillon en 1811, il devient régiment sous le Second Empire, pour devenir brigade en 1967. Pour la petite histoire, c'est aussi de septembre 1810 que datent les premières mutuelles d'assurances contre l'incendie, ancêtres de nos compagnies d'assurances actuelles.

Encadré : L’histoire du BSPP

Quand nous parlons des pompiers de Paris (BSPP), nous nous trouvons devant un cas très particulier. En effet ce corps créé par Napoléon en 1811 concentre beaucoup de particularités.
Il est en effet le seul corps créé par l'Empereur qui persiste et dure encore. Les autres corps, de l'infanterie à la cavalerie en passant par les armes savantes, ont été dissous en 1815 par Louis XVIII. En 1807, Napoléon avait créé l'arme du train, mais c'était une arme et non un corps, et ces unités furent aussi dissoutes en 1815.
La BSPP, qui est militaire, est sous l'autorité du préfet de la Seine, lequel est rattaché au ministère de l'Intérieur.
Ce corps, qui est fait pour sauver, de par son statut initial militaire, a également le droit de faire du service d'ordre.
Il porte l'uniforme du génie depuis ses origines, alors qu'il appartient à l'infanterie jusqu'en 1967, date de son rattachement effectif à l'arme du génie.
En revanche, sa devise « sauver ou périr » n'est pas usurpée. Si en 1814 le bataillon n'a sans doute pas combattu au siège de Paris, il prendra part aux guerres suivantes. En 1870, le régiment aide les Versaillais à la reprise de Paris en aidant les troupes à éteindre les incendies des pétroleuses. D'ailleurs, c'est un pompier qui retire le drapeau rouge de la Commune, pour le remplacer par le drapeau tricolore, en haut de la flèche de la Sainte-Chapelle. En 1914, trois milles étrangers du fort de Vincennes sont encadrés par les officiers, sous-officiers et caporaux des pompiers de Paris pour former des régiments de marche de la Légion étrangère. Dans les tranchées, les pompiers, ayant l'habitude des tuyaux et des pompes, seront les premiers à utiliser les lances-flammes. Et en 1940, un bataillon de marche sera formé.

Au terme de sa longue histoire, le savoir-faire des sapeurs est reconnu dans le monde entier et nombre de délégations étrangères viennent s'instruire à leur contact.

Encadré 2 : Essai de reconstitution des uniformes

Après avoir évoqué l'histoire de ce prodigieux corps que sont les sapeurs-pompiers de Paris, je me devais d'essayer de reconstituer leurs uniformes en cette année du bicentenaire.

J'ai fait un essai sur l'uniforme d'un officier et sur celui de la troupe. Pour cela, je me suis inspiré des gravures de Martinet, qui sont les plus proches. Pour la veste, du génie (au règlement Bardin), les revers sont en velours noir et le fond de l'habit est du bleu réglementaire des armées napoléoniennes. Comme il n'existe pas de nouvelles fabrications des boutons des pompiers de Paris, je me suis donc rapproché du bouton de la Garde impériale qui, avec son aigle couronnée, n'est pas éloigné du bouton originel. Seule manque la mention « Pompiers Paris » : il n'en existe que quelques-uns au musée de la BSPP.

Le pantalon à pont est de couleur blanche en été et bleu en hiver. Pour les officiers, des bottes à la Souvarof, avec gland or, et pour la troupe des chaussures à boucle et demi-guêtres noir festonnées de rouge. L'armement est identique à l'équipement de la ligne : pour les officiers, une épée aux modèles et, pour la troupe, giberne, sabre briquet (porté depuis 1791, par les gardes pompes) et fusil modèle 1777 an XI.

Seul le casque pose vrai ment problème. Les gravures de Martinet donnent un casque à la Minerve mais sans montrer l'insigne. Ces gravures sont pourtant les plus proches de la réalité, Martinet les ayant réalisées au début du XIXe siècle. G. Charmy nous donne, en 1930, comme insigne un « N » qui semble très improbable. Pour ma reconstitution de casque, ne disposant pas d'un casque à la Minerve, j'ai pris un casque de dragon modèle 1848, dont j'ai retiré la peau et mis la queue de cheval en chenil sur le cimier. Pour l'insigne, sans source sûre, je me suis contenté d'une aigle impériale. Était-il couronné ou pas : les sources ne le précisent pas. J'ai conservé le plumet rouge car sur les casques que j'ai pu voir (surtout celui d'un officier de la ville de Valence, vendu aux enchères en 2010), un plumet rouge est monté sur la bombe. Et surtout le casque du génie de la Garde en possède un.

Honneurs et hommage

Je tiens à rendre hommage à tous les acteurs de sécurité incendie (la sûreté étant de l'ordre de la police ou de la gendarmerie) : les sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), les marins pompiers de Marseille, les pompiers départementaux (SDIS), qu'ils soient professionnels ou volontaires, sans oublier les cadets, la protection civile, les pompiers militaires qui opèrent sur base (de l'air, de terre ou de mer), et enfin – trop souvent oubliés – les pompiers en entreprises (professionnels ou volontaires) qui font avant tout de la prévention mais aussi de l'intervention. Et bien sûr le CNPP (Centre national de prévention
et de prévoyance) ainsi que les compagnies d'assurances qui, non seulement font de la prévention, mais font également évoluer les normes APSAD.

Notes

[1]. Christian Fileaux, « Tragique incendie à l'ambassade d'Autriche »,
RSN 484, pp. 20-27.
[2]. L'histoire ne dit pas s'il s'agissait de grenadiers ou de chasseurs à pied.
[3] Le BSPP, aujourd'hui une brigade de 8400 hommes.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
488
Numéro de page :
38-45
Mois de publication :
Juillet-aout-septembre
Année de publication :
2011
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