Le panorama et l’épopée napoléonienne

Auteur(s) : MARINEAU-PELLETIER Amélie
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Les peintures panoramiques ont constitué un genre artistique et architectural particulièrement populaire entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XXe siècle. Le néologisme « panorama » tire son origine des mots grecs « pan » (tout) et « horama » (vue) et désigne à partir des années 1790 ces grandes fresques circulaires qu’on installait dans un bâtiment construit expressément pour leur exposition. C’est un véritable phénomène de société qui transforma durablement le monde des divertissements ! Offrant une vue à 360o, ce format d’œuvre artistique donne une vision large et globale d’une scène, que ce soit un paysage, une bataille ou un évènement. L’illusion visuelle de la vue circulaire et le format gigantesque de l’œuvre permet aux spectateurs de vivre une expérience immersive et d’avoir un sentiment de réalité.

En France, à partir de la fin du Premier Empire, le thème militaire s’empara du genre afin de glorifier l’armée française, devenant un outil de diffusion de la légende napoléonienne en France comme à l’étranger. Sur les centaines de panoramas dont nous connaissons la trace, il existe de nos jours encore 29 panoramas entièrement conservés, dont 18 se trouvent en Europe.

Le panorama et l’épopée napoléonienne
Fantassins dans un chemin creux, fragment du panorama de la bataille de Champigny
© Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Émilie Cambier

Le panorama, un nouveau genre de divertissement

La peinture panoramique, composée comme une huile sur toile, était installée dans un bâtiment de forme circulaire destiné à son exposition. Par extension, le terme panorama finit par désigner à la fois le tableau et l’édifice qui l’exposait puisqu’il résultait d’une mise en scène à la fois picturale et architecturale. Pour que le spectateur puisse admirer l’œuvre, on construisait une plateforme clôturée d’une balustrade au centre d’une rotonde, à laquelle on accédait par un escalier ou un couloir sombre. Les structures d’accès à l’œuvre (éclairage, architecture, plate-forme, etc.) permettaient au public, placé au cœur de l’action, de s’immerger dans la scène que le panorama illustrait grâce à un jeu d’illusions et d’effets d’optique. Le dispositif, considéré comme une innovation scientifique, fonctionnait grâce à l’interaction entre la peinture, l’architecture et la scénographie.

Les débuts du panorama en France sous le Premier Empire

Le genre artistique du panorama apparut en Europe dans les dernières années du XVIIIe siècle et s’insérait dans un nouveau rapport entre le spectateur et l’œuvre face à l’engouement du public pour les divertissements et les spectacles de l’illusion (c’est tous les composés de -rama : diorama, néorama, cosmorama, polyorama, etc.). C’est un véritable phénomène de société qui attisa la curiosité de centaines de milliers de spectateurs venus des quatre coins du monde !

Son invention est attribuée au peintre et portraitiste irlandais Robert Barker (1739-1806) qui désignait ce type de peinture comme une « nature at a glance » (« nature en un coup d’œil »). Après avoir fait breveter son invention en 1787, il présenta avec son fils Henry Aston Barker (1774-1856) un panorama de Londres du haut d’Albion Mills en 1792 . Le genre du panorama fut par la suite importé en France par l’ingénieur Robert Fulton (1765-1815) qui le fit breveter en 1799. Jusqu’en 1870, Paris s’imposa sur le continent comme le lieu d’exposition par excellence de ces grandes fresques circulaires.

London from the Roof of Albion Mills, par Robert Barker et Henry Aston Barker, 1787 © Governement Art Collection, Royaume-Uni
London from the Roof of Albion Mills, par Robert Barker et Henry Aston Barker, 1787
© Governement Art Collection, Royaume-Uni

Au début du XIXe siècle, les thèmes des panoramas étaient essentiellement réservés aux paysages urbains qui représentaient la ville dans laquelle ils étaient exposés, créant l’image idéalisée d’une ville, face aux changements dus aux mouvements révolutionnaires ou à la modernité. La production de panoramas – tant l’œuvre, l’édifice qui l’exposait que les structures de son accès – demandait des investissements significatifs. Il fallait donc que l’exposition réalise des profits pour exister, en s’assurant, par exemple, d’attirer un public suffisant auquel on imposait un tarif à l’entrée de l’exposition. En France, se développa entre 1799 et 1815 un véritable monopole du marché national du panorama autour d’un même homme : le peintre Pierre Prévost (1764-1823) qui réalisa de nombreux panoramas de Paris, mais également d’autres villes comme Constantinople, Amsterdam, Jérusalem ou Athènes.

Panorama de Paris pris du toit du Pavillon de Flore au Palais des Tuileries, par Pierre Prévost (ca.1833) © Musée Carnavalet, Paris
Panorama de Paris pris du toit du Pavillon de Flore au Palais des Tuileries, par Pierre Prévost (ca.1833)
© Musée Carnavalet, Paris

Napoléon Bonaparte fut un grand admirateur de ces peintures panoramiques et il saisit pleinement le potentiel qu’offrait ce dispositif pour la diffusion de l’idéal impérial. Entre 1800 et 1803, trois rotondes furent construites sur le boulevard Montmartre à cet effet. Ayant une vision de grande envergure, l’Empereur commanda à l’architecte Jacques Cellerier (1742-1814) de concevoir 7 autres rotondes qui devaient être érigées sur les Champs-Élysées dans le but de glorifier les évènements de la Révolution française et de la grandeur de l’Empire. Le projet ne se concrétisa malheureusement pas avec les difficultés connues par l’Empire à cette période.

L’essor du panorama militaire sous le Second Empire : un outil de propagande

Après une période moins populaire après la chute du Premier Empire, le genre artistique du panorama connut un regain d’intérêt sous la Monarchie de juillet, lequel perdura jusqu’aux premières années du XXe siècle. Cette fois, on y observe une prédilection pour les scènes militaires, en constituant un véritable outil de propagande et de promotion d’une politique nationale et dans laquelle la représentation de Napoléon Ier avait bien conquis sa place.

L’essor de la peinture panoramique s’insère à cette époque dans un plus vaste élan de la peinture militaire. Les représentations de champs de batailles se multiplièrent dans ce contexte en mettant en valeur l’armée française et la figure de Napoléon, qui commandait l’armée au cœur des combats. Des peintres, comme le colonel Jean-Charles Langlois (1799-1870), illustrèrent les victoires militaires de l’armée impériale. L‘Incendie de Moscou (1839), la Bataille d’Eylau (1843) et la Bataille des Pyramides (1853) furent des panoramas notamment installés dans la rotonde conçue par l’architecte Jacques Hittorff sur les Champs-Élysées, inaugurée en 1839 (il s’agit de l’actuel théâtre du Rond-Point). Ces panoramas constituent d’excellents exemples de la prolifération de scènes qui participaient à l’imaginaire de l’épopée napoléonienne et à sa diffusion dans l’espace public. Les deux derniers panoramas de Langlois s’intéressèrent plutôt à la glorification du Second Empire et de Napoléon III en représentant des scènes des batailles de Sébastopol (1860) et de Solferino (1865).

Après la chute du Second Empire, la peinture militaire se renouvela en mettant en avant le réalisme des bataille, mais aussi le sentiment patriotique des Français. Le centre de production se déplaça cependant de Paris vers la Belgique, en recherchant à attirer un public international. C’est à cette génération de peintres qu’appartiennent notamment Édouard Detaille (1848-1912) et Alfonse de Neuville (1835-1885), artistes prolifiques de scènes militaires et de renommée internationale. Le thème de l’épopée napoléonienne, dont le souvenir des batailles était encore vif dans l’esprit des contemporains, s’avère particulièrement présent dans la peinture militaire de cette époque.

Voir la présentation d’un fragment du panorama de la bataille de Champigny, peint par Édouard Detaille et Alfonse de Neuville (1880-1882)

Des dizaines de panoramas commémorant les batailles menées sous le Premier Empire produits dans ce contexte, seuls trois subsistent de nos jours dans leur format original.

►Le panorama de la bataille de Bergisel (1896)  au Tirol Panorama mit Kaiserjägermuseum, à Innsbruck (Autriche).
►Le panorama de la bataille de Waterloo (1912), toujours installé dans son bâtiment d’origine dans la commune de Braine-l’Alleud (Belgique).
►Le panorama de la bataille de Borodino (1912) au Musée-panorama de la Bataille de Borodino à Moscou (Russie).

Ci-dessous, une vidéo de présentation du panorama de Waterloo peinte par Louis-Jules Dumoulin en 1912, exposée au Mémorial de Waterloo :

Pour exposer les peintures panoramiques préservées aujourd’hui, de nouvelles structures modernes ont été aménagées. C’est le cas notamment du Musée-panorama de la bataille de Borodino à Moscou, construit en 1962 à l’occasion du 150e anniversaire des évènements de 1812. Le panorama, d’une longueur de 115 m et d’une hauteur de 15 m, avait été produit en 1912 par le peintre Franz Alexeïevitch Roubaud (1856-1928) selon une commande du tsar Nicolas II pour commémorer le centenaire de la bataille de Borodino. Pendant la Première Guerre mondiale, puis la Révolution russe, le bâtiment fut laissé à l’abandon. La toile du panorama fut alors entreposée jusqu’en 1949, moment où l’on décida de la restaurer en vue de l’exposer de nouveau. 

Au tournant du XXe siècle, l’engouement pour le panorama s’épuisa progressivement avec l’arrivée d’un autre médium plus immersif pour le spectateur : le cinéma. La peinture panoramique, en raison de son réalisme et de son caractère immersif, reste néanmoins considérée comme un des grands précurseurs des vues animées.

Transport de blessés, fragment du panorama de La bataille de Rezonville, 16 août 1870 (1881-1883)
© Musée des Beaux-Arts de Montréal

Avec le déclin de l’intérêt du public pour les panoramas, de nombreuses œuvres furent détruites ou découpées en divers fragments pour être vendus aux enchères. En réalité, ce phénomène témoigne du peu de valeur artistique accordé au panorama à la fin du XIXe siècle, expliquant pourquoi si peu de panoramas ont été conservés dans leur format d’original, bien que l’on retrouve de nos jours de nombreux fragments dispersés dans les collections privées et publiques des musées à travers le monde.

Amélie Marineau-Pelletier, août 2021
Amélie Marineau-Pelletier est historienne et web-éditrice à la Fondation Napoléon (août-novembre 2021)

►Pour en savoir davantage

Jean-Charles Langlois, photographe normand et le Panorama de la bataille de Solferino (catalogue d’exposition présentée par les Archives départementales du Calvados), Caen, Ardiphot, 2000.
Un peintre de l’épopée napoléonienne. Le colonel Langlois 1789-1870, collections du Musée Langlois, Bernard Giovanangeli Éditeur, 2000.
GRIFFITHS, Alison, « Le panorama et les origines de la reconstitution cinématographique », Cinémas, vol. 14, no. 1 (automne 2003), p. 35-65 : à consulter en ligne ici.
– LEROY, Isabelle, Le panorama de la bataille de Waterloo. Témoin exceptionnel de la saga des panoramas, Paris, La Renaissance du Livre, 2009.
ORTHOLAN, Henri, « La représentation de l’armée du Second Empire par la peinture », Cahiers de la Méditerranée, vol. 83 (2011), p. 201-206 : à consulter en ligne ici.
– ROBICHON, François, « Le panorama, spectacle de l’histoire », Le mouvement social, no. 131 (Apr.-Jun., 1985), p. 65-86 : à consulter en ligne ici (accès réservé).

Titre de revue :
inédit
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