Le tombeau de Napoléon aux Invalides, un lieu de pèlerinage symbolique et politique

Auteur(s) : DE BRUCHARD Marie
Partager

Avant même l’inauguration aux Invalides de la crypte qui abrite la dépouille de Napoléon Ier, l’hommage rendu à l’Empereur devient une étape importante des visites officielles de souverains et d’hommes d’État étrangers.

Le tombeau de Napoléon aux Invalides, un lieu de pèlerinage symbolique et politique
Tombeau de Napoléon Ier dans l'église du Dôme des Invalides, réalisé entre 1842 et 1853
par Louis Tullius Joachim Visconti (1791-1853). Détail
© Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Émilie Cambier

La plus célèbre des visites officielles au Tombeau se déroule en août 1855. La reine Victoria de Grande-Bretagne, sa fille Victoria et le prince de Galles, futur Édouard VII, profitent de leur passage à l’Exposition universelle de Paris pour se recueillir devant la dépouille de Napoléon en compagnie de Napoléon III. L’hommage est rendu dans la chapelle Saint-Jérôme de l’église Saint-Louis : la crypte est encore en construction (elle ne sera achevée qu’en 1861).
Ce geste conjoint est à l’évidence fait pour souligner l’entente qui règne alors entre les deux pays sous les règnes des successeurs de Georges III et Napoléon Ier, adversaires absolus durant le Premier Empire.

"Edward
Edward Matthew Ward, La Reine Victoria et Napoléon III devant le tombeau de Napoléon Ier © RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) – Stéphane Maréchalle

 

S’ils restent emblématiques, ils ne sont pas les seuls souverain et futur souverain que le tombeau accueille au cours de la seconde moité du XIXe s.
Rien qu’entre 1848 et 1862, la duchesse de Bade, la reine douairière d’Espagne, la duchesse de Brabant, le roi de Sardaigne, le grand-duc Constantin Nikolaïévitch de Russie, le roi de Bavière ou encore la reine des Pays-Bas se rendent à l’hôtel des Invalides et s’inclinent devant le tombeau de Napoléon, à la chapelle Saint-Jérôme puis dans la crypte. Par ce déplacement calculé, ces têtes couronnées expriment une reconnaissance explicite de l’importance historique de Napoléon Ier. Elles manifestent également (du moins en public) leur appui à la légitimité de Napoléon III. Certaines font parfois même un acte de revendication et de piété familial, du fait du sang bonaparte qui coule dans leurs veines…

Malgré la fin du Second Empire et l’ambiguïté du rapport entre la IIIe République et la figure de Napoléon, son tombeau n’en reste pas moins un symbole puissant. En 1896, le tsar Nicolas II s’y recueille ainsi également, comme l’immortalise le peintre Louis Beroud l’année suivante.
À cette époque, le tsar renouvelle la démarche entreprise par la reine Victoria quarante ans plus tôt : honorer l’un des plus grands ennemis de son Empire – le seul ayant réussi à pénétrer dans la capitale de toutes les Russies – peut servir sa politique extérieure du moment. La France, même républicaine, est en effet le principal allié du grand empire slave au tournant du XXe s.

Louis Beroud, Nicolas II au tombeau de Napoléon Ier, aux Invalides 1897 © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais Emilie Cambier
Louis Beroud, Nicolas II au Tombeau de Napoléon Ier, aux Invalides, 1897 © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais Emilie Cambier

 

À ce moment, loin d’être seulement un lieu de recueillement évident pour les bonapartistes, le personnage historique de Napoléon – et partant son tombeau – devient une figure nationale forte que les Français se réapproprient en particulier pendant et après la Première Guerre mondiale.
Le centenaire de la mort de Napoléon Ier en 1921 sera ainsi l’occasion d’une cérémonie dans la capitale, de l’Arc de triomphe, en passant par Notre-Dame jusqu’à l’hôtel des Invalides, où le maréchal Foch  s’empare de l’épée de l’Empereur et prononce, devant le ministre de la Guerre Barthou (représentant le président de la République Millerand), son célèbre « Éloge de l’Empereur ». Une salve de 21 coups de canon tirée en bord de Seine s’en suit, le 5 mai 1921, à 17h49 précises.
La procession au Tombeau est alors un processus de guérison pour une nation meurtrie par la Grande Guerre qui voit en sa victoire contre l’Allemagne le prolongement des grands moments de l’épopée napoléonienne et une rectification de l’Histoire, à rebours de la défaite de la guerre de 1870.

Centenaire de Napoléon aux Invalides l'intérieur pendant la cérémonie au tombeau de Napoléon [photographie de presse] - Agence Meurisse © BnF
Centenaire de Napoléon aux Invalides l’intérieur pendant la cérémonie au tombeau de Napoléon [photographie de presse] – Agence Meurisse © BnF

Vidéo de la sortie de Saint-Louis-des-Invalides après la cérémonie officielle pour le centenaire de la mort de Napoléon, le 5 mai 1921 (à partir de 1 min 57)

Lors de sa visite de Paris le 28 juin 1940, après la défaite de la France, Hitler ne manquera pas de visiter le tombeau de Napoléon. Sa présence aux Invalides a pour but de renverser le cours des événements découlant de la défaite allemande en 1918. Les Invalides abritent en effet depuis l’Entre-deux-guerres les dépouilles de célèbres adversaires auxquels l’Allemagne s’est confrontée durant le conflit : celles des généraux Roques, Mangin, Nivelle, des amiraux Boué de Lapeyrère et Gauchet… et celle de l’emblématique maréchal Foch.
Mais la visite du Führer au tombeau de Napoléon revêt un caractère autre, plus puissant encore : en faisant pendant de la visite de Napoléon au tombeau de Frédéric II, juste après la sévère défaite d’Iéna infligée par les Français aux Prussiens le 14 octobre 1806, ce « pèlerinage » est une manière pour Hitler de se positionner comme successeur des grands souverains conquérants européens à une échelle plus vaste que le XXe s. et de contribuer à son propre mythe.

Visite d'Hitler aux Invalides en 1940 © D. R.
Visite d’Hitler aux Invalides en 1940 © D. R.

 

C’est après cette visite qu’il ordonnera d’ailleurs le retour des Cendres de l’Aiglon qui pénétreront dans les Invalides le 15 décembre 1940, cent ans jour pour jour après l’épisode final du retour des Cendres, et seront placées dans la cella du Tombeau en décembre 1969.

Le souvenir de la triste visite hitlérienne contribue probablement à faire quasiment disparaître le tombeau de l’Empereur des visites officielles. Restent toutefois des visites privées, en marge du programme officiel, comme celle de Fidel Castro en 1995 (Lors de sa visite, le « Lider Maximo » était notamment accompagné par le vice-présidentdu conseil d’administration du musée de l’Armée, Victor-André Masséna, aujourd’hui président de la Fondation Napoléon). Ceci n’a rendu que plus marquante celle proposée par le président Macron au président Trump, venu assister le lendemain au défilé du 14 juillet 2017.

Septembre 2019

Source 

Les Invalides. grandes éphémérides de l’hôtel impérial des Invalides depuis sa fondation jusqu’à nos jours : description du monument et du tombeau de Napoléon Ier, Colonel Gérard, Plon, 1862

Partager