Les compagnons de Napoléon à Brienne

Auteur(s) : DAMIEN André
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Les années de formation sont toujours importantes pour un jeune garçon et elles manifestent dès l’enfance des caractères qui demeureront fondamentaux pendant l’adolescence et l’âge mûr.
Ce qui frappe dans la vie de l’Empereur c’est l’importance, la constance et l’étendue des liens de famille, des liens d’amitié ou des liens de camaraderie qu’il noue au cours de sa vie.
Nul plus que lui ne s’encombre d’une famille parfois difficile, mais l’Histoire nous apprend que dès qu’un membre de la famille accepte l’allégeance à laquelle l’Empereur veut le soumettre, avec une inlassable patience il pardonne les frasques les plus graves et les oppositions les plus tenaces.
Jérôme bénéficiera tout particulièrement de ses faveurs et Lucien ne sera écarté qu’à partir du moment où il refusera de se soumettre à sa volonté et à l’allégeance qu’il réclame.
Les compagnons de guerre ne sont pas traités autrement. La patience de l’Empereur vis-à-vis de Junot, de Murat, de Marmont, est connue et constitue parfois une énigme pour celui qui étudie le caractère de Napoléon.
Un de ses officiers d’ordonnance Muiron ayant été tué en le défendant, il lui gardera toute sa vie une sorte de reconnaissance posthume aussi touchante qu’indéfectible et lorsqu’à Sainte-Hélène, pour échapper aux tracasseries d’Hudson Lowe, il songera un instant à prendre un nom d’emprunt sous lequel il serait connu dans ses rapports avec les Anglais, c’est tout naturellement celui de Muiron qui viendra sur ses lèvres.
Enfin ses amis d’enfance, qu’ils soient de Corse ou de Brienne, ou même de l’École militaire un peu plus tard, bénéficieront de la même complaisance exceptionnelle de l’Empereur. Bourrienne dont nous reparlerons plus tard, dont l’Empereur connaît les vices et les tares (il parlait lui-même de cet « oeil de pie » que faisait Bourrienne chaque fois qu’il était question d’argent), bénéficiera d’une indulgence qui peut paraître excessive quand on connaît le caractère intéressé et sordide du personnage, ainsi que ses revirements serviles après la chute de l’Empire.
Talleyrand, qui était une mauvaise langue animée d’une psychologie un peu courte, en était allé jusqu’à imaginer je ne sais quelles relations entre Bourrienne et Napoléon du temps de leur enfance pour expliquer la constance de la faveur qu’il lui conférait. Or, l’explication psychologique est à la fois plus simple et plus complexe.

Napoléon est l’homme d’une île étroite et fermée. La vie de société de plus en plus étriquée, telle qu’elle existe dans un grand pays comme la France à la fin du XVIIIe siècle, dissout les liens sociétaires, hier peut-être moins qu’aujourd’hui, mais néanmoins une courtoise indifférence remplace la notion de clan, de clientèle au sens romain du mot, ou de parti qui existait naguère dans la France du Moyen Âge ou de la Renaissance.
La vie de village au contraire, la vie campagnarde, est tissée de liens sociaux étroits et indestructibles. Or Napoléon, élevé dans son île, est bien l’homme d’une vie sociale étroite, resserrée, groupée où les liens sont durables autant que le sont les haines.
Finalement le jeune élève corse de Brienne reste attaché à ses compagnons, comme aucun autre jeune noble de l’époque, venant des grandes villes ou de la région parisienne, n’aurait pu l’être.
Et ces liens subsisteront jusqu’à Sainte-Hélène où Napoléon retrouve le souvenir de ses compagnons obscurs et ignorés dont il fait confidence à Las Cases jusque dans l’expression finale du testament dicté quelques jours avant sa mort et dans lequel il comprend au nombre de ses légataires la ville de Brienne, la ville de son enfance.

  Un autre aspect qu’il faut noter lorsqu’on se préoccupe de rechercher les compagnons d’enfance de Napoléon est le fait qu’il est le premier souverain régnant sur la France depuis les Capétiens qui ait eu des compagnons avec lesquels il a été élevé sur un pied d’égalité.
Certes les dauphins ou les princes avaient des compagnons de jeux ou des compagnons de travail, mais les liens qui existaient entre le jeune prince promis à la couronne et ses camarades, étaient totalement différents du lien égalitaire qui unissait Bonaparte à ses compagnons d’enfance.
Le jeune prince sait, dès l’origine et tout le cérémonial de la Cour le lui rappelle qu’il est promis à un destin fabuleux, celui de régner sur le royaume de France. Au contraire, rien ne distingue le jeune Napoléon de ses camarades lorsqu’il arrive à Brienne, si ce n’est une pauvreté plus grande encore que la leur et un caractère original du fait de sa méconnaissance de la langue française et de son ignorance de la vie des Cours.
Enfin, une dernière constatation. Sur la cinquantaine de camarades dont l’histoire nous a conservé les noms par les statistiques qui étaient tenues à l’École de Brienne ou par des anecdotes relevées chez les historiens, très peu ont surnagé et la plupart sans grand éclat.

La leçon qu’il faut tirer de cette obscurité de la plupart des compagnons de Napoléon est que la classe dirigeante de la fin du XVIIIe siècle n’était plus en mesure de fournir à l’État les cadres sociaux qui lui manquaient.
Préoccupée à la fois de recruter des officiers plus instruits et plus savants, préoccupée également de trouver un débouché à la pauvre noblesse, la monarchie finissant avait créé ces Écoles militaires. Monsieur, frère du Roi, le comte de Provence, Grand Maître de l’Ordre de Saint-Lazare, avait consacré les immenses richesses de cet Ordre à créer l’École militaire dans laquelle les jeunes officiers seraient élevés. Il avait conçu un plan d’éducation destiné à créer avant la lettre une sorte d’école militaire exceptionnelle ; tous ses plans étaient fort judicieux et pourtant, des cinquante compagnons de Napoléon, pas un seul n’arrive à faire figure dans l’Histoire au milieu des immenses bouleversements de la Révolution.
C’est de la bourgeoisie et du peuple que sortiront la plupart des grands militaires de l’époque, et non de ces élèves qui étaient formés dès l’enfance à servir dans l’armée et qui auraient dû au lendemain de la Révolution, y occuper les places exceptionnelles.

Destin des compagnons de Brienne

  On peut classer ses camarades en trois groupes distincts :
– ceux qui s’accrocheront à lui, se réclameront de leur camaraderie d’enfant pour obtenir quelque marque de bienveillance ou pour asseoir leur carrière sur sa gloire.
– ceux qui, ayant émigré dès l’origine, font partie de l’armée de Condé, voire d’armées étrangères et sont des adversaires résolus. On sait en effet que nombre d’officiers de l’ancien régime émigrèrent et refuseront de servir sous la Révolution. Si on a longtemps exagéré la disparition des cadres de l’ancienne armée oubliant les Montesquiou, libérateur de la Savoie, les Kellermann, les Dumouriez, on aurait actuellement tendance à oublier l’immense hémorragie que la Révolution amena dans les rangs de l’ancienne armée dont les transfuges ne réapparaîtront que vieillis sous la Restauration.
– enfin un petit groupe qui semble étranger à tout, qui a passé à côté de Bonaparte et de la Révolution, sans que le moindre changement n’ait été apporté à leur vie médiocre en dehors des grands tourments et des grandes espérances.
Essayons de passer en revue ces élèves, compagnons de Bonaparte à Brienne, dont nous connaissons d’ailleurs le nombre à peu près exact : 155.
En effet les registres et papiers de Brienne ont disparu en 1820, le gouvernement les a fait rechercher en vain, à Troyes et à Paris, mais Chuquet a reconstitué la liste avec une certaine chance d’exactitude. Tentons d’étudier les plus importants et les plus significatifs d’entre eux.

Les civils nantis

  Nombre d’entre eux garderont le souvenir de leur condisciple de Brienne et chercheront, le moment venu, à utiliser sa puissance à leur profit. Le 21 août 1800 les anciens élèves de Brienne rendent à leur condisciple un témoignage éclatant : ils se réunissent dans un établissement « Les Quatre Marronniers », le buste de Bonaparte couronné de lauriers est placé sur un socle en forme de forteresse et des toasts sont portés à son adresse.
Le nom des élèves de Brienne qui participèrent à cet hommage a été conservé : Fauvelet, Comminges, La Colombière, Avia, Deshayes (Chuquet op. cit. 146).
Bonaparte, il est vrai, n’assistait pas à cet hommage ; mais il restait attaché à ses souvenirs d’enfance puisque, dans son testament fait à Sainte-Hélène, il lègue à la ville de Brienne un million de francs.
Parmi les camarades comblés plus tard de faveurs, citons tout d’abord :
MAILLY, fils du bailli de Brienne : il était prêtre et desservait une obscure paroisse avec un revenu de 500 F. En 1805, il fit appel au souvenir de l’Empereur et celui-ci le nomma curé, c’est-à-dire desservant d’une paroisse de chef-lieu d’un canton dûment rémunéré.
CALVET de MADAILLAN : fut élu député de l’Ariège et questeur du corps législatif, Chevalier puis Baron de l’Empire le 12 avril 1813.
BOURGEOIS de JESSAINT : fils d’un petit noble des environs de Brienne ; les élèves allaient de temps à autre faire promenade dans une ferme que son père possédait dans la région ; il avait été fourrier à l’École, c’est-à-dire qu’il portait des galons comme dans les Écoles d’Enfants de Troupes modernes. Il était maire de Bar-sur-Aube quand l’Empereur le nomma préfet de la Marne, poste qu’il occupa de 1808 à 1838, ce qui est certainement le record de la longévité préfectorale. Il avait été créé Baron de l’Empire.
BRUNETEAU de SAINTE-SUZANNE : se destinait après Brienne à être ecclésiastique ; la Révolution fit de lui un soldat, puis un chirurgien. Bonaparte en fit un sous-préfet puis un préfet de l’Ardèche, de la Sarthe puis du Tarn. Baron de l’Empire il servit Napoléon aux Cent-Jours.
BOURRIENNE : est le plus célèbre des compagnons de Bonaparte à Brienne mais s’il fut effectivement son compagnon il enjoliva ses récits d’enfance et de jeunesse, la trame historique n’est toutefois pas discutable. Bonaparte semble avoir apprécié son intelligence souple : il lui sauva la vie tout d’abord lorsqu’il fut arrêté comme émigré, puis en fit son secrétaire particulier. Mais comme il était cupide et malhonnête (Napoléon à Sainte-Hélène parlait de « l’oeil de pie » que faisait Bourrienne lorsqu’on parlait d’argent devant lui) il fut obligé de s’en séparer. Il en fit néanmoins un conseiller d’État, puis un chargé d’affaires à Hambourg ; il le rappela en 1812. Bourrienne s’est déshonoré par des Mémoires suspects et partiaux où il essaye de négocier ses souvenirs sous la Restauration pour obtenir des avantages sordides.

Les militaires arrivés

  Nombre de compagnons de Brienne ne se contentèrent pas d’une paisible existence de fonctionnaire civil mais, fidèles à leur vocation de jeunesse, devinrent des militaires auxquels l’Empire ouvrit un champ d’action privilégié.
NANSOUTY : le plus célèbre d’entre eux est certainement Champion de Nansouty, qui élève de l’École militaire après Brienne et tout comme Bonaparte fut distingué et décoré par Monsieur, comte de Provence, de la Croix de minorité de Notre-Dame du Mont-Carmel, décoration dépendant de l’Ordre de Saint-Lazare de Jérusalem dont Monsieur était Grand Maître et qui était destinée à récompenser les trois élèves les plus méritants, ayant passé trois ans à l’École militaire régie, à l’époque, par l’Ordre de Saint-Lazare.
Capitaine en 1786 il n’émigra point, Bonaparte le retrouva général de brigade, en fit un général de division, premier Ecuyer de sa Maison, Chambellan de l’Impératrice, colonel-général des Dragons, commandant les cavaliers de la Garde.
Sa fin fut moins belle que son ancienne camaraderie avec Napoléon laissait supposer ; en 1814 il quitta l’Empereur en pleine bataille de Laon et se rallia un des tous premiers au gouvernement provisoire.
GUDIN : élève de Brienne en 1780-1781 devient général de division, comte de l’Empire, gouverneur de Fontainebleau. Il mourut à Smolensk les deux jambes brisées. L’Empereur s’occupa de sa veuve, prit un de ses fils comme page et ce fils fut un de ceux qui, sur le champ de bataille de Ligny, secoururent ou veillèrent les blessés prussiens « Le jeune Gudin, dit Napoléon, se distingua par sa pitié ». (Chuquet op. cit. page 160).
LAPLANCHE-MORTIERES : servit à Saint-Domingue et sur mer durant les premières années de la Révolution, fut nommé alors qu’il avait le commandement d’une demi-brigade, adjudant supérieur du Palais des Consuls ; on voit donc combien ce camarade de jeunesse trouvait place parmi les collaborateurs les plus proches du pouvoir.
Il prit une brillante part aux divertissements de Malmaison et jouait dans la troupe des amateurs recrutés par Joséphine.
Il mourut de maladie, général de brigade en 1803. Sa femme obtint de l’Empereur un capital et une pension ainsi que sa mère.
BALATHIER de BRAGELONNE : ce fut un mauvais élève et l’Inspecteur de l’École militaire, Reynaud de Monts, pria ses parents de le retirer discrètement du collège. Il s’engagea alors dans le régiment provincial Corse – son père était en effet lieutenant du Roi à Bastia – et grâce à la Révolution réussit une forte brillante carrière comme capitaine des Armées de la République cisalpine ; il finit général et chef d’État-Major des troupes italiennes de la Grande Armée. Blessé à Bautzen et capturé par les Russes, il fut nommé par Napoléon pendant les Cent-Jours commandant du département de l’Yonne ; il réussit ensuite à obtenir après la défaite des attestations témoignant de son « patriotisme » qui avait réussi à paralyser les mesures de rigueur prescrites par « l’usurpateur ». Il commandait la place d’Anvers en 1828 lorsqu’il devint fou et dut être relevé de son commandement.
BONNAY de BREUILLE : sorti après Brienne à l’École militaire, fut blessé grièvement à Jemmapes en 1792. En 1801, malade et en inactivité il se rappela à Bonaparte et demanda deux choses : avancement et tranquillité. Le 11 octobre 1801 il était nommé chef de brigade et commandant d’Armes de 3e classe et fut affecté à la place de Thionville puis à celle de Maestricht.
Les Bourbon auxquels il avait rappelé qu’il était un ancien Cadet Gentilhomme le nommèrent de nouveau à Thionville. Sous les Cent-Jours il se rallia à l’Empereur qui ne devait pas, dit-il, douter de l’entier dévouement d’un de ses collaborateurs de l’École militaire. Après Waterloo il rappela que sa naissance et l’éducation qu’il avait reçue à l’École militaire l’engageaient à ne reconnaître que Louis XVIII comme souverain légitime.
D’HAUTPOUL : ancien de Brienne, ancien Chevalier de Malte, fut rayé des cadres pour cette raison et devint menuisier. Réintégré dans l’armée, il accompagne Napoléon en Égypte. Il est nommé par Kléber chef de Brigade et s’il ne put être général c’est que dans son arme, le génie, le nombre en était très limité. Malade et souffrant des suites de ses blessures il prend sa retraite en 1816.
PICOT de MORAS Jean-Louis : ancien Chevalier de Malte ; après avoir fait le tour de la Méditerranée, comme le voulait l’usage dans l’Ordre, ce que Bonaparte appelait « une ridicule promenade et qui n’avait d’autre but que de donner des fêtes dans la péninsule », il se rallia à Bonaparte qui le prit avec lui comme capitaine, il l’a accompagné à Malte et mourut à Aboukir. Il était chef de bataillon.
Son frère Henri se rappela au souvenir de Bonaparte et évoqua « l’amitié qu’il eut pour son ancien camarade, le chef de bataillon Picot, qui partagea ses périls et mourut glorieusement sous ses yeux à Aboukir ». Il fut nommé capitaine à titre extraordinaire.
CAULET de VAUQUELIN : compagnon lointain de Bonaparte à Brienne – il n’était pas de la même classe – il fit plusieurs des Campagnes impériales et trouva la mort comme chef de bataillon adjoint à l’État-Major de Gérard à la bataille de Ligny.
LEPÈRE : les 4 frères Lepère avaient fait leurs études avec l’Empereur à Brienne. Trois le suivirent en Égypte où l’un d’entre eux, Jacques, retrouva les traces du canal qui unissait la Méditerranée à la Mer Rouge et qui devait devenir le canal de Suez. Il signale par rapport du 19 Nivose an IX cette découverte à Bonaparte en disant qu’un nouveau canal unirait le commerce de l’Europe à celui de l’Asie. Il fut ensuite chargé des travaux du Camp de Boulogne et fut nommé Inspecteur divisionnaire des Ponts-et-Chaussées à Paris.
On voit dans l’ensemble que Napoléon a bien traité ses camarades de Brienne tant civils que militaires qui ont eu recours à lui.

Les émigrés

  Mais le plus grand nombre, fidèles au serment qu’ils avaient prêté à la défense de la personne du Roi, se retirèrent de la vie publique ou mieux combattirent la France dans l’armée des émigrés et dans l’armée de Condé et ne réapparurent qu’au début de la Restauration.
Il est évident que beaucoup de jeunes officiers suivirent les princes en émigration dès le début de la Révolution. Pour eux le ralliement à la monarchie constitutionnelle et au Roi prisonnier était une trahison ; bien entendu une fois la fiction monarchique disparue et le comte de Provence devenu Régent du Royaume puis souverain, aucun doute n’était permis.
Les armées de la jeune république naissante se trouvent donc diminuées de cadres de valeur par cette hémorragie d’officiers nobles, d’où avancement fabuleux de certains. Ceux qui, comme Anne-Pierre de Montesquiou, Dumouriez ou Bonaparte acceptent de servir la république ne sont pas légion, certes ils demeurent en nombre relativement important et l’on a pu dire avec raison que les batailles de la Révolution française furent gagnées par des officiers de l’ancien régime mais on doit prendre conscience de ce vide relatif créé par l’émigration qui va obliger de se servir d’officiers de fortune ou même d’officiers étrangers, tel Miranda le futur libertador.
Plusieurs des camarades de Bonaparte à Brienne furent condamnés à mort et exécutés en France pendant la Révolution : La Personne, Deu de Montigny, Villelongue de Novion, d’autres émigrèrent.
MONTARBY de DAMPIERRE : rejoignit l’armée de Condé, ne reprit du service qu’en 1813 et devint capitaine du 4e Régiment des Gardes d’honneur, combattit à Leipzig. La Restauration l’envoya à l’île Bourbon où il mourut de la fièvre jaune.
CASTRES de VAUX : servit au Corps du duc de Bourbon puis au régiment autrichien de Murray enfin à l’armée de Condé. Il reprit plus tard du service comme aide de camp de Davoust, son ancien camarade de l’École militaire. Il refusa de se réclamer auprès de Napoléon de son ancienne camaraderie ; sous la Restauration on lui reprochera d’avoir servi l’Usurpateur ; il répondit comme beaucoup auraient pu le faire qu’il n’avait défendu que la Patrie lorsqu’il ne pouvait plus défendre le Roi et il fut nommé maréchal de Camp en 1823.
LAUGIER de BELLECOUR : émigra et fit les Campagnes de l’armée de Condé. On ne sait s’il revint en France. Il ne se rappela jamais au souvenir de l’Empereur. Pourtant selon Chuquet (op. cit. page 144) les deux jeunes gens s’étaient aimés, le Corse grave, sérieux, austère finit par rompre avec le Lorrain d’humeur légère et de moeurs équivoques.
BOISJOLLY : se battit pour défendre le Roi aux Tuileries ; incarcéré sous la Terreur il vécut dans la retraite sous le Consultat et l’Empire « appelé plusieurs fois, écrit-il, à servir sous un gouvernement qui ne me convenait pas, j’ai constamment refusé ».
GALLOIS d’HAUTECOURT : fit la Campagne de 1792 à l’armée du duc de Bourbon, mais ne rentra pas en France après sa dissolution. En effet, certains des émigrés servirent dans des armées étrangères alors que d’autres vinrent en France mais beaucoup ne demandèrent rien à l’ancien camarade de collège devenu tout puissant, tels : COLLINET de LA SALLE, capitaine au régiment de Languedoc, breveté chef de bataillon à la Restauration ; LA BOULAYE ; LA ROCHE-PONCIF ; LAVAL ; LE DUCHAT décoré de Saint-Louis à Mittau par Louis XVIII en exil ; LOR ; RIGOLLOT ; VILLELONGUE ; MARGUENAT qui avait servi 20 ans en Angleterre après avoir gouverné Trinidad et ne revint en France qu’en 1815 ; SIGNIER qui refusa de signer la nouvelle constitution et l’adresse de la ville de Laon où il résidait à l’Empereur et ne fut promu chef de bataillon que sous la Restauration ; LABRETESCHE qui s’engagea comme simple soldat dans les troupes autrichiennes et ne devint capitaine et Chevalier de Saint-Louis que sous la Restauration ; TRESSEMANES de BRUNES chevalier de Malte ne revint en France qu’après la capitulation de Malte et devint maire de Grasse sous la Restauration ; MONTROND rentré en 1797 quitta à nouveau la France pour n’y revenir qu’en 1801 ; il renonça à tous les emplois malgré les occasions, dit-il, qui lui furent offertes sous le gouvernement de l’usurpateur Bonaparte : dont il avait été le condisciple. Devenu capitaine et chevalier de Saint-Louis à la Restauration, il intrigua par l’intermédiaire de Bourrienne pour avoir mieux, n’obtint rien et en fut fort dépité ; d’ORCONTE refusa le serment à Napoléon en 1815 fit, sous le duc d’Angoulême la Campagne de Pont Saint-Esprit et devint Inspecteur général des Gardes nationales du Gard.
Quelques émigrés doivent leur rentrée en faveur à leur ancien condisciple de Brienne, RAY fut nommé Inspecteur des Vivres, CHAMPMILON devint chef de bataillon, BERAUD de COURVILLE chef de bureau à l’Administration des Contributions Indirectes, LE LIEUR sous-inspecteur aux Revues et reçut lors de son mariage une dotation de 4.000 F, BALAY de LA CHASNÉE quartier-maître du Palais dans la Cour du roi Jérôme de Westphalie.
Mais certains sont restés en dehors des bienfaits comme des refus et le fait d’avoir été condisciples du futur Empereur ne semble constituer dans leur vie qu’un souvenir purement anecdotique dont ils ne tirent aucun avantage et qui ne les contraint, ni à un reniement de leurs opinions passées, ni à un regret de leur ancien camarade.
Tel est par exemple BETOUS : sous-lieutenant aux chasseurs Cantabres il se retire en 1791 pour vivre de son bien. Il avait durant son séjour à Brienne un petit lopin de jardin contigu de celui de Bonaparte et un jour qu’ils plantaient tous deux une palissade pour séparer leur domaine, Bonaparte blessa Bétous. Désolé de sa maladresse il consolait Bétous en lui criant : « Pardonne-moi petit gascon, pardonne-moi ». Devenu vieux, Bétous montrait sa cicatrice au doigt en disant : « Napoléon pendant vingt ans de guerre n’a fait qu’une seule blessure et c’est moi qui l’ai reçue ». Il n’a jamais demandé de faveur et n’a, sans doute, jamais revu l’Empereur.

Fidélité de Napoléon

  Une chose demeure acquise à la suite de cette étude, c’est l’attachement de Bonaparte pour Brienne, maîtres, condisciples ne se réclamèrent jamais en vain de lui. Il pardonna à ses anciens camarades des incartades qu’il n’eût pas pardonnées aux autres, il leur assura à tous une situation chaque fois qu’il les sut dans le besoin. Il n’a donc pas eu honte de ses jeunes années et n’a pas cherché à en dissimuler la modestie sous l’apparence de l’oubli des souvenirs d’antan.
Une anecdote qui ne concerne pas des élèves, mais un illustre guerrier, manifeste ce souci de Bonaparte de ne jamais renier ses origines scolaires et militaires. C’est le maréchal de Ségur qui, le 22 octobre 1784, avait signé son brevet de Cadet-Gentilhomme. Bonaparte apprit, sous le Consulat nous rapporte Chuquet (op. cit. page 180) que l’ancien ministre vivait dans la misère ; il lui accorda aussitôt une rente d’un montant égal aux appointements d’un général de division et comme le maréchal lui rendait visite pour le remercier, il le raccompagna au bas des marches de l’escalier et lui fit rendre les honneurs anciens dus aux maréchaux, honneurs supprimés depuis la Révolution et que la Garde Consulaire, qui formait la haie sut rendre. Les tambours battirent aux champs tandis que les gardes présentaient les armes.
Ce geste est le symbole de l’attitude de Bonaparte puis de Napoléon vis-à-vis de ce passé de jeune noble qu’il avait mené jusqu’au siège de Toulon.

Cet article fait également partie du dossier thématique « 1769-1793 : la jeunesse de Napoléon Bonaparte »

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
265
Numéro de page :
17-22
Mois de publication :
août
Année de publication :
1972
Année début :
1779
Année fin :
1784
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