Les papyrus de Bonaparte, souvenirs de Pompéi et Herculanum

Auteur(s) : HOUDECEK François
Partager

En 1803, arrivait à Paris un don somptueux de la part des souverains napolitains : une collection d’une centaine d’objets antiques provenant des fouilles de Pompéi et Herculanum. Parmi cette collection, les objets considérés comme les plus précieux étaient six rouleaux de papyrus découverts dans la villa dite des Pison à Herculanum.

Les papyrus de Bonaparte, souvenirs de Pompéi et Herculanum
Papyrus, cadre, détail © Fondation Napoléon - Chantal Prévot

Une fabuleuse découverte

En 1711, le comte d’Elbeuf faisant creuser un puits sur sa propriété de campagne de Portici ne pensait pas trouver une cité antique. Herculanum, disparue dans l’éruption de 79 en même temps que Pompéi, refaisait surface. Après ces premières découvertes, Charles III réquisitionna les terrains et fit commencer les fouilles pour son compte à partir de 1738. Ces explorations tenaient plus de l’activité minière et de la chasse au trésor que de la fouille archéologique à proprement parler. Mais, très vite publiés (1), les résultats des explorations révolutionnèrent l’art de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Fiertés du royaume, les découvertes accrurent la renommée de Naples auprès des voyageurs et des érudits et devinrent une étape obligée du Grand Tour.
C’est en 1750 que fut découvert ce que l’on a très rapidement baptisé la « villa des papyrus ». La demeure patricienne fut explorée de manière discontinue plus de dix années avant l’interruption définitive des excavations en 1765. Ces recherches permirent de lever un plan assez précis de la villa qui s’étendait sur 253 m le long du rivage antique (2). Elle était décorée de mosaïques en marbres polychromes, de fresques finement exécutées et enrichie d’un décor statuaire somptueux (3). En outre, la villa était agrémentée d’une fabuleuse bibliothèque. Restait à identifier le propriétaire de ce palais de bord de mer. Depuis 1810, l’hypothèse la plus communément admise est que cette villa aurait appartenu à Lucius Calpurnius Pison (4), beau-père de César, puis à sa famille.

Parmi toutes les découvertes, la plus spectaculaire fut sans conteste celle réalisée entre 1752 et 1754 de centaines de rouleaux de papyrus carbonisés. Dans un premier temps, on crut avoir découvert des morceaux de bois calcinés et les premières trouvailles furent jetées au rebut.

Rouleau de papyrus, PHERC Paris 4 © Fondation Napoléon – Chantal Prévot

 

Mais une fois identifiés, ce furent entre 600 et 700 volumina qui furent découverts dans cinq pièces différentes de la villa et remontés à la surface. Cette incroyable conservation avait été rendue possible par l’éruption même du Vésuve. Si, à Pompéi, les pluies de cendres avaient embrasé la ville dans un gigantesque incendie tandis que les gaz toxiques avaient asphyxié la population restée sur place, à Herculanum, en revanche, les événements furent tout autres. La cité fut épargnée par le nuage de feu, mais elle fut ensevelie sous une large coulée de boue volcanique bouillante, qui durcit rapidement en atteignant la mer. Les parties organiques (bois, papyrus, cordes…) furent carbonisées (entre 310 et 330 degrés) mais privées d’oxygène : elles ne se consumèrent pas rendant ainsi leur conservation possible.

Dès les premières découvertes, les papyrus excitèrent la curiosité des philologues. L’enjeu principal était évident : il fallait pouvoir les ouvrir afin d’en découvrir les secrets. Nombre de papyrus furent détruits lors des premières tentatives. Les membres de la famille royale en avaient même fait un jeu de société, accélérant les destructions. Il fallut attendre le père Antonio Piaggio pour commencer à obtenir des résultats satisfaisants. Cet abbé, spécialiste des miniatures du Vatican, avait été appelé à Naples en 1754 et avait inventé une machine capable de dérouler d’abord les fins de rouleaux, puis les écorces. Il s’agissait de faire une incision sur les parties externes du papyrus, puis en détacher les « écorces » et ainsi de procéder jusqu’à atteindre les parties les moins altérées du rouleau. Une fois au cœur du papyrus, on pouvait, au prix de beaucoup de patience, dérouler ce qui restait du précieux livre. Sur les 10 m de long d’un volumen, on pouvait ainsi espérer en obtenir jusqu’à plus de 3 m. En une vingtaine d’années, Piaggio avait réussi à dérouler selon cette méthode près de 16 cœurs de rouleaux dont certains ont été publiés dès 1793 (5). On redécouvrait ainsi les œuvres d’un philosophe épicurien du 1er siècle avant notre ère : Philodème de Gadara. Protégé de Pison, la redécouverte de ses œuvres avait en partie permis d’identifier le propriétaire de la villa. Ni la mort de Piaggio en 1796, ni les aléas politiques du royaume de Naples entre 1798 et 1815 ne stoppèrent complètement les opérations de déroulement qui continuèrent selon cette méthode durant tout le XIXe siècle.

Naples et la Révolution : une hostilité assumée

Dès le début de la Révolution, le royaume de Naples avait marqué son hostilité à la France. En juillet 1793, Ferdinand IV, frère de Charles IV d’Espagne, marié à Marie- Caroline, sœur de Marie-Antoinette de France, avait signé avec l’Angleterre un traité d’alliance contre la France. Les troupes napolitaines participèrent immédiatement à la prise de Toulon. Elles eurent par la suite un rôle effacé lors de la campagne d’Italie de 1796, à l’issue de laquelle fut signée une première paix entre Naples et la France. Le gouvernement napolitain, qui avait signé la paix faute de mieux, s’employa à rompre le traité. Ce qui fut fait au moment de la bataille d’Aboukir (1er – 2 août 1798).
Ferdinand IV avait autorisé Nelson à relâcher avant la bataille dans le port de Syracuse. L’amiral anglais avait alors promis aux souverains napolitains assistance et subsides de la part de son gouvernement. Peu après, Naples entrait dans la coalition et les troupes napolitaines envahissaient Rome. Elles en furent promptement chassées par les troupes de Championnet qui, aidé par les patriotes napolitains, fit son entrée dans Naples le 23 janvier 1799.

Devant l’avancée française, Ferdinand IV fut contraint de fuir à Palerme, laissant la main aux jacobins qui s’empressèrent de proclamer une république dans sa capitale. L’occupation fut de courte durée. Les défaites au nord de la péninsule forcèrent les troupes françaises à quitter Naples, entraînant le retour des Bourbons qui menèrent une féroce répression contre les républicains.

À la proclamation du Consulat, Bonaparte avait devant lui un royaume de Naples toujours aussi haineux envers la France. Profitant du repli français, les troupes napolitaines, sous les ordres du comte de Damas, avaient une nouvelle fois investi Rome le 30 septembre 1799 et avaient même pris pied en Toscane. Murat, après Marengo, reprit l’avantage et les chassa vers le sud, pénétrant dans le royaume. Poussé à la modération par Bonaparte qui voulait ménager le tsar Paul Ier, allié de Naples, Murat signa le 6 février 1801 l’armistice de Foligno qui suspendait les hostilités.

Un cadeau diplomatique

C’est dans ce contexte que le diplomate Charles Jean Marie Alquier fut nommé, le 1er mars 1801, ministre plénipotentiaire pour négocier la paix entre la République française et le roi des Deux-Siciles. Il se rendit à Florence, lieu des négociations, avec des instructions précises et un projet de traité qu’il fallut négocier point à point avec son homologue napolitain Antoine de Micheroux. La paix fut finalement signée le 29 mars 1801 et ratifiée par Bonaparte le 8 avril, par Ferdinand le 14. Naples promettait l’amnistie des jacobins, l’indemnisation des citoyens français spoliés, la cession à la France des présides de Toscane, de l’île d’Elbe et des principautés de Lucques et de Piombino. Les ports napolitains devaient également rester fermés aux commerces anglais et turc jusqu’à la conclusion de la paix avec ces puissances. Par articles secrets, le roi s’engageait enfin à fournir des troupes en cas d’invasion de la péninsule et accepta la présence sur son sol de troupes françaises dans les places de Brindes, Otrante et Pescara.

Un point n’avait pu être négocié par Alquier. L’article 7 du projet de traité remis par Talleyrand prévoyait que « S.M. le roi des Deux-Siciles s’engage à faire restituer à la République française les statues, tableaux et objets d’art qui ont été enlevés à Rome par les troupes napolitaines, ainsi que tous les objets qui avaient été recueillis à Herculanum et Pompéi par les commissaires français qui étaient déjà disposés pour être envoyés en France ». En fuyant Naples en 1798, Ferdinand IV avait transporté avec lui les objets les plus prestigieux provenant des fouilles d’Herculanum et de Pompéi (dont les papyrus). Il restait néanmoins au musée de Portici de nombreux trésors archéologiques que les Français commencèrent à transporter vers la France. La campagne de 1799 mit fin à ce transfert et les Napolitains reprirent leurs biens et même un peu plus. Dans la négociation, si Ferdinand IV acceptait de « restituer à la République française les statues, tableaux et objets d’art qui ont été enlevés à Rome par les troupes napolitaines » (article 8 du traité de Florence), en revanche il était intraitable sur les objets provenant des cités vésuviennes. Alquier écrivit le 29 mars 1801 à Talleyrand que, s’il avait cédé, c’était sur l’assurance formelle prise par écrit par Micheroux « de déterminer le roi à offrir une collection assez considérable d’antiquités. Il est expressément convenu qu’on y joindra un assez grand nombre des nouveaux manuscrits qui ont été retrouvés dans les fouilles ». Sous forme de cadeau, la remise à la France d’objets provenant de ce qui faisait la fierté du royaume était plus honorable que par traité de paix et Ferdinand IV s’y résigna.

Après cette négociation, Alquier, qui connaissait désormais le dossier napolitain, fut nommé ambassadeur à Naples où il arriva le 5 mai 1801. Il devait y rester cinq ans. Sa première mission fut, en liaison avec le ministre John Acton, de contrôler l’exécution des clauses du traité de Florence. Les parties militaires et financières reçurent une exécution sans réelle difficulté. En revanche, l’article 8 concernant les œuvres d’art fut plus complexe à mettre en application. Si les premières furent restituées dès 1801, il fallut attendre l’automne 1802 pour que soient rendues certaines œuvres à l’image de la Pallas de Velletri (6). Afin que cela aboutisse, il fallut que la France rende les planches « gravées de cuivre faisant partie de la superbe collection des antiquités d’Herculanum », lesquelles avaient été emmenées à Marseille en 1799. Ce geste, suggéré à Alquier par Ferdinand IV, avait également permis de faciliter les négociations entourant le don des antiquités. Cette tractation donna lieu, sur fond de paix d’Amiens, à une petite passe d’armes entre les ambassadeurs français et anglais, chacun jouant de son influence. Depuis leur découverte, les villes vésuviennes et les papyrus avaient soulevé la curiosité et l’intérêt de tous les souverains européens.

Le prince de Galles (futur George IV), particulièrement féru d’archéologie, se passionnait pour les précieux manuscrits jusqu’à vouloir financer les travaux de déroulement. Depuis 1800, il s’en était ouvert à Ferdinand IV, qui avait poliment rejeté la proposition. S’il accordait des papyrus à Bonaparte, il fallait ménager l’allié du royaume. Ferdinand IV accepta donc l’envoi à Naples du révérend John Hayter, chapelain du prince de Galles. Arrivé en janvier 1802, ce dernier devait être chargé jusqu’en 1806 d’étudier les rouleaux et de relancer les opérations de déroulement. À l’arrivée des troupes françaises, Hayter suivit à Palerme la cour de Ferdinand IV, puis en 1809 retourna en Angleterre. Avec la permission du roi et sur promesse de publication, il emporta avec lui le fruit de ses recherches mais également la totalité des dessins des papyrus réalisés depuis le début des opérations de déroulement ainsi que huit rouleaux non déroulés (7).

Mais revenons en 1802. Le 16 septembre, Alquier était finalement en mesure d’écrire à Talleyrand que les antiques choisis en partie par Ferdinand IV et Marie-Caroline dans les palais de Caserte et de Portici allaient partir pour Toulon. Parmi la longue énumération des vases, bronzes, mosaïques et fresques, Alquier écrivait : « Les manuscrits d’Herculanum sont certainement l’objet le plus précieux qu’on ait pu offrir. Le roi m’a beaucoup fait valoir ce cadeau, en m’assurant qu’il avait refusé de faire présent de ces manuscrits à plusieurs souverains de l’Europe, qui les lui avaient demandés, mais il est tout simple, ajouta-t-il, qu’une chose aussi précieuse soit offerte au Premier consul, puisqu’il paraît la désirer. » On ne sait si Bonaparte avait demandé expressément les manuscrits, mais force est de constater l’importance qu’ils revêtaient aux yeux de Ferdinand IV.

Bonaparte fit transmettre par Talleyrand « qu’il attachait un grand prix à cette marque de bonne intelligence et d’amitié ». Cependant devant l’importance du don napolitain, Alquier suggéra de faire un cadeau émanant de l’industrie française au roi et à la reine de Naples : ce fut un fusil pour Ferdinand et de la porcelaine pour Marie- Caroline.

La frégate la Sibille, chargée des antiques, quitta finalement Naples en octobre 1802. Escortée par le capitaine de La Vega, neveu du directeur du musée de Portici, la fragile cargaison arriva à Malmaison début mai 1803. Les objets furent aussitôt déballés et exposés au seul profit du couple consulaire et de ses proches. Peu après, fut organisée une réception plus protocolaire en présence de l’ambassadeur de Naples, le marquis de Gallo, et de nombreux invités de marque. Les antiques furent par la suite mis en exposition dans la grande galerie de Malmaison où ils formèrent le fond de la collection archéologique de Joséphine. Quant aux six rouleaux de papyrus, Bonaparte les confia aux sages de l’Institut à qui il donna mission de les dérouler.

Une équipe de spécialistes… pour une mission impossible

Ferdinand IV, lors du choix des papyrus, « ordonna qu’il en fut choisi six des mieux conservés […]. On a préféré de les envoyer dans leur état antique […] parce qu’il pouvait se faire que le Premier Consul eut lui-même le plaisir d’trouver le premier quelques-uns des historiens perdus ou quelques traités inconnus de la philosophie ancienne, ou quelques morceaux de poésie qui ajoute un nouvel ornement à la littérature grecque ou latine. Ces six pièces, conservées avec soin, sont arrivées intactes à Paris, et l’on espère que le Premier consul en ordonnera le dépouillement.» Cette description montre que l’on percevait alors les papyrus d’Herculanum comme bien plus que de simples objets de curiosité et que leur déroulement faisait beaucoup espérer quant aux textes qu’ils pouvaient cacher.

Lors des négociations, Alquier avait ainsi assuré au roi qu’« on s’occuperait en France de déchiffrer ces manuscrits précieux et que si nous faisions quelques découvertes utiles on s’empresserait de la communiquer à S.M. afin qu’on pût tirer parti pour la science du nombre immense de papyrus que renferme le musée de Portici. »

Pour respecter la promesse faite à Ferdinand IV, le ministre de l’Intérieur Chaptal envoya, le 23 mai 1803, un message « de la part du Premier consul » aux classes des sciences, arts, littérature et histoire de l’Institut. Il demandait à chaque classe de nommer « un de ses membres pour faire partie de la commission de quatre classes, qui sera chargée de délibérer sur les moyens de dérouler les manuscrits d’Herculanum donné au Premier consul par le roi de Naples ».

Bonaparte suggéra à ses collègues (8) de nommer deux membres en particulier. Il s’agissait de Monge pour l’Académie des sciences et Denon pour les beaux-arts. Ces nominations ne sont pas fortuites : ce faisant la commission se dotait de deux fins connaisseurs des techniques de déroulement des papyrus et des fouilles d’Herculanum.

Depuis la campagne d’Égypte, Gaspard Monge s’était beaucoup intéressé aux papyrus ramenés de la terre des pharaons. Il avait lui-même déroulé certains rouleaux et avait même inventé une méthode pour ouvrir les précieux documents. Bonaparte connaissait ce « passe-temps », Monge lui ayant montré le produit de ces expériences sur le papyrus ramené d’Égypte par l’archéologue Hamelin (9). Même si les papyrus d’Égypte n’étaient pas carbonisés comme les volumina d’Herculanum, Monge devait pouvoir, dans l’esprit de Bonaparte, les dérouler d’autant qu’il connaissait les fouilles pour les avoir parcourues à l’été 1797.

Vivant Denon, quant à lui, s’était rendu dans le royaume de Naples en 1778 et avait visité les fouilles de Pompéi et d’Herculanum ainsi que le musée de Portici. Ce faisant, il avait eu l’opportunité de rencontrer l’abbé Piaggio et obtenu l’autorisation d’assister aux opérations de déroulement des rouleaux. On espérait donc que Denon serait capable de reproduire la méthode de Piaggio sur les six papyrus désormais parisiens.

Une fois les volumina déroulés, il fallait lire et pourquoi pas publier ce que l’on était persuadé être des trésors de la culture antique. La classe d’histoire et de littérature antique désigna pour ce faire le célèbre helléniste Jean- Baptiste Gaspard d’Ansse de Villoison qui devait être considéré comme le plus apte à lire et transcrire les textes compte tenu de son travail sur l’Iliade et l’Odyssée. Par ailleurs, on savait, par la publication de 1793, que les premiers rouleaux étaient des traités de philosophie. La classe de langue et littérature françaises désigna en conséquence le philosophe et disciple de Diderot, Jacques André Naigeon. Enfin, la classe des beaux-arts mandata l’archéologue romain Ennio Quirino Visconti qui avait rejoint l’Institut en janvier 1803.
Cette commission chargée de délibérer sur le déroulement des manuscrits d’Herculanum était en définitive formée des savants considérés comme les plus aptes à mener à bien la mission qui leur avait été confiée par Bonaparte.

Signe de l’enthousiasme des savants, la première réunion eut lieu peu de temps après sa convocation. Le 10 juin 1803, Ansse de Villoison rendait un compte verbal aux classes de littérature et des beaux-arts sur les hésitations de la commission. Il fut alors désigné pour assister à toutes les expériences de déroulement qui pourraient être faites et de vérifier « qu’il n’en soit point fait qui puissent détruire ces monuments ». Villoison mourut en 1805 apparemment sans rien avoir réellement tenté. En remplacement fut nommé l’archéologue Quatremère de Quincy qui ne semble pas avoir été plus efficace. Monge et Denon, quant à eux, aspirés par d’autres tâches, ne semblent pas avoir joué un grand rôle dans cette commission qui devait être paralysée par l’état des rouleaux. Comment dérouler sans détruire ce qui ressemblait plus à du charbon de bois qu’à des trésors de la culture antique ? Par la suite, il y eut probablement plusieurs réunions de la commission des papyrus mais qui statuèrent toutes qu’il était urgent d’attendre. Rien ne fut donc tenté pour dérouler les précieux volumina (10).

Les papyrus après l’Empire

C’est seulement en 1816 que reprirent les opérations de déroulement avec la venue à Paris du révérend John Hayter et de sir Tyrwhitt, tous deux mandatés par le prince de Galles (alors George IV). Pour l’occasion, la commission fut élargie à l’archéologue Raoul Rochette et au mathématicien Pierre Claude Mollard. Hayter et Tyrwhitt transportèrent à Paris une copie de la machine mise au point par Piaggio, espérant obtenir d’aussi bons résultats que ce dernier. Après plusieurs tentatives destructrices, les opérations furent stoppées. Raoul Rochette rendit compte le 31 janvier 1817 de l’échec des tentatives et annonça qu’un « rouleau presque tout entier [avait] disparu sans qu’on ait pu entrevoir le sujet de l’ouvrage et le nom de l’auteur ». Ne furent recueillis que « des caractères le plus souvent sans suite et sans rapport entre eux, pas une seule phrase dans son intégrité, à peine quelques mots intacts ». Après ce constat désastreux, Rochette espérait l’intervention d’un chimiste allemand, Sickler, qui faisait des expériences à Londres sur les papyrus.

Le chimiste, pour tout résultat, fit disparaître plusieurs rouleaux britanniques et n’intervint jamais sur les rouleaux parisiens (11). Une nouvelle série d’expériences fut lancée en 1879 par le laboratoire du Louvre. Les papyrus traversèrent la Seine pour que soit tenté à l’aide d’un « petit moulin » le déroulement. Nouveau constat d’échec : ils regagnèrent la bibliothèque de l’Institut avec simplement quelques dégâts.

Les « papyrus de Bonaparte » restèrent dans la caisse en bois « objets d’art 59 » qui les protégea depuis le XIXe siècle jusqu’en 1985. À cette date, deux d’entre eux furent envoyés à Naples pour être, sous les soins du professeur Gigante, déroulés selon un procédé chimique appelé « méthode d’Oslo ». En 2002, les centaines de fragments des papyrus déroulés ont réintégré les bords de Seine où ils sont en cours d’étude par le professeur Daniel Delattre.

Un rouleau a commencé à livrer ses secrets. Il s’agit, comme pour la plupart des papyrus d’Herculanum, d’un traité de philosophie de l’épicurien Philodeme de Gadara. Le PHerc Paris 2, comme il est désormais appelé, est consacré à l’étude de la calomnie et des calomniateurs. La dernière colonne a livré quant à elle une belle surprise mentionnant le célèbre poète latin Virgile. PHerc Paris 1, en moins bon état, conserve encore ses secrets mais le travail de recomposition des rouleaux ne fait que commencer. Du cadeau diplomatique de Ferdinand IV restent encore deux papyrus intacts et un fragment, probable fruit des multiples tentatives de déroulement. Gageons que les technologies futures permettront d’en connaître les textes sans porter atteinte à ces précieux témoins de la pensée antique (12).

 

En complément, lire l’interview de D. Delattre, spécialiste de papyrologie grecque et directeur de recherche CNRS-IRHT (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes) à l’Université de Paris IV-Sorbonne.

Notes

1. Les premières publications eurent lieu en 1748 : Marcello Venuti, Descrizione delle prime scoperte della antica città d'Ercolano.
2. Les récentes fouilles (1990-1996) ont permis de montrer que cette villa avait été en réalité construite sur trois niveaux s'étageant jusqu'à la plage antique et qu'elle faisait partie du tissu urbain de la cité.
3. La majeure partie des oeuvres sont actuellement conservées au musée archéologique national de Naples.
4. Lucius Calpurnius Pison Caesoninus (mort vers –40), consul en –58, proconsul de Macédoine (–57 à –55). César épousa sa fille Calpurnia en –59.
5. Le premier texte publié fut celui de la Musique IV de Philodème. Depuis, ce même rouleau a été reconstitué et publié par le professeur Daniel Delattre en 2002.
6. Cette statue colossale d'Athéna avait été découverte en 1797 dans les ruines d'une villa romaine sur la localité de Velletri (sud de Rome). Achetée par les commissaires du Directoire, les troupes napolitaines s'en étaient emparé et l'avaient transportée à Naples. La Pallas fut restituée et acheminée au Louvre où elle est exposée depuis décembre 1803.
7. Ces rouleaux rejoignirent les quatre rouleaux que possédait déjà le prince de Galles. Ils furent en 1810 déposés en même temps que les dessins à la Bodleian Library (université d'Oxford). Les dessins sont progressivement mis en ligne.
8. Le Premier consul est membre de l'Institut depuis 1797.
9. Antoine-Romain Hamelin, « Douze ans de ma vie (1796-1808) », Revue de Paris, 1er janvier 1927, pp. 48-49.
10. Si réunions il y eut, elles n'ont a priori pas laissé de traces écrites dans les archives de l'Institut.
11. Quand, à la même époque, le chimiste anglais Humphrey Davy se présenta pour effectuer des expériences similaires, ayant perdu plusieurs rouleaux, George IV lui recommanda d'aller étudier à Naples les rouleaux italiens. Des douze papyrus britanniques, il n'en resterait aujourd'hui plus qu'un seul entier, conservé à la Bodleian Library.
12. L'auteur remercie M. le professeur Daniel Delattre, Mme Mireille Pastoureau, directeur-conservateur de la Bibliothèque de l'Institut de France, Mme Fabienne Queyroux, conservateur en chef chargé des collections de manuscrits de la Bibliothèque de l'Institut de France ainsi que Mme Chantal Prévot, responsable de la bibliothèque de la Fondation Napoléon.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
489
Numéro de page :
36-43
Mois de publication :
oct.-nov.-dec.
Année de publication :
2011
Partager