Napoléon III et Vichy. Quand un choix de villégiature entraîne le destin de la France

Auteur(s) : SCHWEITZER Serge
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Sait-on l’histoire que l’on fait ? En s’installant à Vichy – pourquoi, comment et avec quelles réalisations –, Napoléon III fit de la petite cité la capitale européenne des villes d’eaux avec, à la clé, des installations et infrastructures qui la désigneront, pour son malheur, comme une capitale crédible de la Zone « libre ». Le destin est imprévisible. Si Napoléon III eut choisi Évian…

Article issu de la conférence donnée par l’auteur à la Fondation Napoléon en juin 2019.

Napoléon III et Vichy. Quand un choix de villégiature entraîne le destin de la France
Chalet impérial, vu du parc © Wikipedia/TCY

Première valse. Déjà Napoléon (III) perçait sous Bonaparte. Vichy enfantée

Le césarisme décidément avait rendez-vous avec Vichy puisqu’en 52 avant Jésus-Christ, Jules César franchit l’Allier sur un pont en bois à Vichy. Le Vichy gallo-romain est déjà une petite station thermale, puis rentre dans un profond sommeil jusqu’au XVIIe siècle. C’est Madame de Sevigné qui amorce la renaissance de Vichy en venant prendre pendant deux saisons les eaux en 1676 et 1677. La marquise a 50 ans et vante Vichy dans les salons comme dans ses lettres à Madame de Grignan. Elle a son buste dans le grand parc de Vichy et aurait logé dans un pavillon qui porte désormais son nom et que nous retrouverons plus tard aux heures sombres de Vichy. Un siècle plus tard deux des filles adorées par Louis XV, Mesdames de France, Adélaïde et Victoire viennent deux mois à Vichy Louis XVI étant sur le trône puisque nous sommes en 1785. La première au fort tempérament est surnommée Madame torchon et fait une cure à l’horizontale, l’autre modèle de piété est sans cesse à la cure à tous les sens du terme. Le comte de Provence, le futur Louis XVIII les rejoint quelques jours.
Et la future Madame mère vint.

Vichy sous le Premier Empire

Letizia Bonaparte, Madame Mère, studio of François Gérard, © Musée Fesch

Décidément, Vichy était destiné à se donner au césarisme, fut-ce sous sa livrée napoléonienne. En effet en 1799, mais en août, le 18 brumaire n’a pas eu lieu et son fils n’est donc pas, du moins pas encore, Premier consul, Letizia Bonaparte vient à Vichy dans l’espoir de restaurer une santé détériorée par 12 accouchements, et encore son mari Charles a eu la délicatesse pour ne point la tuer, de bien vouloir mourir 14 années auparavant. Louis, son avant dernier fils, de 9 ans plus jeune que Napoléon et futur roi de Hollande, accompagne sa mère. Louis sera en 1808 le père du futur Napoléon III, il y a quelque chose de l’ordre et la catégorie : « c’était écrit »… Elle quitte Vichy le 28 septembre. Un mois et demi après c’est le 18 Brumaire. L’oncle Fesch vient alors à Vichy en 1800. Demi-frère de Madame Mère, et donc oncle de Napoléon, sa fortune est assurée puisque nommé Cardinal-Archevêque de Lyon en 1802. Grand aumônier de l’Empire, il baptise le futur Napoléon III en 1810. Décidément Napoléon III et Vichy, c’était programmé !

Letizia Bonaparte, lors de son séjour vichyssois, avait été frappée par les terrains en plein centre thermal à l’état de marécages. Elle obtient de son fils un décret réellement capital pour Vichy. Cette décision de 1812, alors que l’Empereur est en route vers Moscou avec La Grande Armée, ordonne la création du Parc des Sources. Le marais est transformé en un parc splendide parsemé de tilleuls et platanes qui constitue aujourd’hui encore le cœur du cœur de Vichy, entre le casino de 1865 – que l’on doit à Napoléon III – et le Hall des sources.
Durant les étés 1813 et 1814, les sœurs Clary sont à Vichy. Désirée, l’ex de Napoléon, était la femme de Bernadotte et l’autre, l’épouse de Joseph Bonaparte, frère aîné de l’Empereur et roi d’Espagne.

Parc des Sources, à Vichy © La Montagne 2019
Parc des Sources, à Vichy © La Montagne 2019

L’entre-deux Empires n’est pas la période la plus faste de la ville thermale même si de nombreuses personnalités s’y rendent : Chateaubriand, Lamartine, Delacroix, Alexandre Dumas, Adolphe Thiers (encore un clin d’œil de l’Histoire puisqu’il est l’initiateur du rapatriement du corps de Napoléon Ier en 1840 aux Invalides) … Il va à Vichy, comme à l’accoutumée, toujours flanqué de ses trois femmes, sa mère, sa femme et sa belle-mère. Eux et bien d’autres donnent du lustre à la ville qui se développe, mais à pas très lents : 3000 habitants, 50 hôtels plutôt modestes, 70 meublés.
Rien ne présageait que Vichy va devenir pour 70 ans la capitale mondiale de l’élégance, du raffinement, de la classe, de la beauté et la reine incontestée des villes d’Eaux.
C’était sans compter sur Napoléon III.

Deuxième valse. Et l’Empereur vint : Veni, Vidi… Vichy. Vichy magnifiée

Pourquoi Vichy ? L’Empereur  Napoléon III, on le sait, souffre de divers maux. Les cures à Plombières furent sans effet. Le docteur Alquié pense que l’eau de Vichy est indiquée. Le docteur Alquié s’est totalement trompé puisque la minéralisation extrême des eaux de Vichy va aggraver le mal de l’Empereur qui souffre d’énormes calculs. Il y a fort à parier que dans ce choix médicinal pesa l’influence de deux élus du Puy de Dôme tout sauf anodins : le demi-frère de l’Empereur, le duc de Morny, propriétaire d’un château à Nades (incendié et disparu depuis), à 50 km de Vichy, et Rouher, son ministre de l’Économie, propriétaire d’un château à 15 kilomètres de la ville. En outre, l’Empereur – depuis ses séjours à Plombières – veut une station française capable de rivaliser, voire dépasser Baden-Baden, Spa et… Ems.

Louis Moullin, La Villa d'Isaac Strauss à Vichy, 1862 © RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) - René-Gabriel Ojéda
Louis Moullin, La Villa d’Isaac Strauss à Vichy, 1862 © RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) – René-Gabriel Ojéda

Le Moniteur de 1861 annonce que l’Empereur va faire une saison à Vichy en juillet 1861 dans « le plus strict incognito ». Napoléon III va s’installer dans la Villa Strauss. Isaac Strauss, sans aucun lien de parenté avec Richard Strauss mais compositeur lui aussi, est chef de l’orchestre permanent de Vichy ; il prêtre aimablement la villa qu’il vient de se faire construire.

Napoléon III rentre en majesté le 4 juillet 1861 a 18 heures. La ville est en délire. Il y vient pour un mois et va y revenir quatre autres fois : en 1862, dans la villa Strauss à nouveau ; en 1863, dans la villa Marie-Louise ; en 1864 et 1866, dans le chalet de l’Empereur.

Au fil de ces séjours, il va métamorphoser la ville et en faire la reine des villes d’eaux en Europe pour exactement un siècle et un an.
Dès son premier séjour à Vichy l’Empereur « fait du Haussman » et fait publier un décret le 27 juillet 1861 (à lire en ligne dans le Bulletin des lois de l’Empire français, Volume 18), véritable plan d’urbanisme, qui va façonner Vichy jusqu’à nos jours.

Le Monde illustré, L'Empereur sur la terrasse de la villa Strauss à Vichy, gravure anonyme de 1861 ou 1862 © mahJ
Le Monde illustré, L’Empereur sur la terrasse de la villa Strauss à Vichy, gravure anonyme de 1861 ou 1862 © mahJ

La gare

Photo de la gare de Vichy © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais - image Beaux-arts de Paris
Photo de la gare de Vichy © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais – image Beaux-arts de Paris

Une nouvelle gare sera construite, puisque le train ne va alors que jusqu’à Saint Germain-des-Fossés et s’arrête à 10 km de Vichy, contraignant les voyageurs à faire la distance restante en calèche. L’Empereur en fait l’expérience et il ne désire pas la renouveler à l’avenir.

Au bout de l’actuel Boulevard de Paris, elle est d’une facture canonique du Second Empire et se présente aujourd’hui rigoureusement dans le même état qu’en 1862 (cette décision impériale sera capitale pour une période ultérieure, celle de Vichy, capitale de l’État français).

Les parcs

Vue de nuit du parc d'Allier se reflétant dans une rivière © Vichy-Destinations.fr
Vue de nuit du parc d’Allier se reflétant dans une rivière © Vichy-Destinations.fr

La deuxième réalisation urbanistique spectaculaire, décidée par l’Empereur lui-même, tient aux splendides parcs à l’anglaise qui vont border un Allier, aux débordements capricieux, désormais dompté par des digues sur ordre de Napoléon III. Aujourd’hui appelés Parcs d’Allier, ils sont composés d’un premier parc, le Parc Napoléon III, qui fait 13 hectares d’un seul tenant, soit à peu près la taille du Parc Montsouris et deux fois la taille du Parc Monceau. Il est prolongé par le Parc Kennedy, puis le Parc des Bourins qui porte l’ensemble d’un seul tenant à 143 hectares.

En 1991, un buste de Napoléon III d’après le sculpteur Jean-Auguste Barre a été inauguré dans le parc Napoléon III, boulevard des États-Unis, avec l’inscription : « Napoléon III EMPEREUR DES FRANÇAIS-1808-1873. Bienfaiteur de Vichy. ».

Buste de Napoléon III à Vichy d'après Jean-Auguste Barre © Culture.Allier.fr/Karen Maignan
Buste de Napoléon III à Vichy d’après Jean-Auguste Barre © Culture.Allier.fr/Karen Maignan

 

La gare, les parcs sont au crédit de l’Empereur mais aussi les fameux chalets, qui sont tous aujourd’hui classés à l’inventaire des monuments historiques et bordent le Boulevard des États-Unis, ex Boulevard Napoléon III (le boulevard a aujourd’hui a retrouvé une double plaque à ses deux noms comme le Boulevard de Russie).

Les chalets

Villa Marie-Louise à Vichy © petit-patrimoine.com
Villa Marie-Louise à Vichy © petit-patrimoine.com

La villa Marie-Louise est la résidence que l’Empereur occupe en 1863. Il s’est fait construire ce chalet en bordure de son nouveau parc et du Boulevard déjà appelé Boulevard Napoléon. Le chalet est avec jardin. Le tout pour une superficie de 1041 m2. Sa façade de briques rouges sur boiseries ocres est impressionnante. L’Empereur y installe aussi son bureau de travail.

En dehors de ces premiers « chalets impériaux », d’autres demeures sont construites pour les officiers de la Garde impériale d’inspiration anglo-normande rue Alquié. Dès 1863 s’est d’ailleurs ajouté un second chalet, le chalet Clermont-Tonnerre.

Villa Clermont-Tonnerre à Vichy © monumentum.fr
Villa Clermont-Tonnerre à Vichy © monumentum.fr

Il est la propriété du comte de Clermont-Tonnerre, officier d’ordonnance de Napoléon III, futur général sous la IIIe République. Le roi des Belges, Léopold Ier (père de Charlotte, la malheureuse et éphémère impératrice du Mexique), séjourne dans ce chalet en 1864 pendant la 4e cure de l’Empereur, avant de s’éteindre un an plus tard. Un charmant ajout de pierre de style néo-gothique, encore visible aujourd’hui, fut ajouté en 1905 pour servir de garçonnière au fils du docteur de Labaudie, propriétaire depuis 1887 du chalet (aujourd’hui encore dans la même famille).

Il faut également un chalet à l’Impératrice. Achevé en 1864, le chalet qui lui est destiné côtoie, comme il sied, celui de l’Empereur. De même qu’à Paris ils font chambre à part, il est prévu à Vichy  un « chalet à part ». Il porte le nom de chalet Eugénie.

Villa Eugénie à Vichy © Petit-Patrimoine.com
Villa Eugénie à Vichy © Petit-Patrimoine.com

Le portail extérieur est encadré, comme celui de l’Empereur, de deux lampadaires surmontés d’une couronne impériale. La ferronnerie de l’entrée comporte le E stylisé d’Eugénie. Mais la splendeur du lieu ne parvient pas à contenter l’épouse bafouée par les infidélités de son époux l’année précédente (L’année précédente, le 23 juillet 1863, l’Impératrice descend du train à 17h25 à Vichy, la ligne de chemin de fer désormais achevée. L’Empereur lui-même l’accueille. Eugénie, rayonnante, a 37 ans. Une magnifique chaise à porteur lui a été confectionné par la compagnie fermière. Les quatre premiers jours se passent parfaitement jusqu’au « drame » de Marguerite Bellanger. Le 27 juillet 1863, un incident va précipiter son départ immédiat de la ville et pour toujours…L’Empereur est doté d’une sensualité d’ampleur qui l’amène en ce domaine également à faire preuve d’une activité intense et d’un esprit d’entreprise incontestable. D’un autre côté, l’impératrice Eugénie ne le comble guère de peur d’une nouvelle grossesse après le difficile accouchement le 16 mars 1856 du Prince impérial, « Loulou ». Marguerite Bellanger, artiste de théâtre ratée, est d’un naturel enjoué. On la surnomme Margot la rigoleuse. Elle rencontre l’Empereur au début de l’été 1863. Napoléon III se plaît avec elle car elle ne parle pas politique comme La Castiglione, et ne réclame pas de prébendes… comme toutes les autres. À 25 ans elle amuse l’Empereur qu’elle appelle « Mon cher Seigneur ». L’Empereur finit par accepter sa présence à Vichy pour la saison 1863 à la condition qu’elle se fasse discrète puisque l’impératrice y est attendue. Ravie, Marguerite part pour Vichy, mais avec son petit chien Grenadier. L’après-midi du 27 juillet, l’Empereur et l’Impératrice arrivent place Rosalie en promenade. Grenadier échappe à sa maîtresse et manifeste suffisamment de signes d’affection ostensibles à l’Empereur pour qu’Eugenie déduise ce qu’il faut comprendre. Indubitablement la maîtresse du chien est aussi celle de l’Empereur. Elle laisse sur place l’Empereur et s’en va préparer ses bagages. L’Empereur la rejoint, la supplie, mais rien n’y fait. Eugénie part le soir même de Vichy et n’y reviendra jamais. Marguerite restera la maîtresse de Napoléon III jusqu’en novembre 1864, publiera ses confessions en 1882 et mourra à 48 ans en 1887.) ; elle préférera réserver son auguste prénom à Eugénie-les-Bains et ne mettra pas les pieds dans le chalet qui lui a été construit à Vichy.

Si, en 1863, Napoléon III séjourne au chalet Marie Louise construit pour lui, les galeries de la villa donnent sur la rue et l’Empereur se plaint d’être interpellé par les passants. En outre, ce chalet est le théâtre de la scène de La Bellanger (cf. note précédente.). Aussi demande-t-il à l’architecte Lefaure de lui construire deux autres chalets. L’un destiné, mais en vain, à l’impératrice pour faire oublier ses amours hors hymen, c’est le chalet Eugénie, l’autre pour lui-même et donnant largement sur jardin pour sa tranquillité. C’est le chalet de l’Empereur.

Chalet de l'Empereur à Vichy © Routard.com/marynale
Villa de l’Empereur à Vichy © Routard.com/marynale

 

D’autres constructions suivront : le chalet des Roses, par exemple, édifié par le ministre des finances de Napoléon III Achille Fould. Ce dernier profita peu de son chalet puisqu’il mourut en 1867. Occupé par la sœur du tsar ou le Khédive d’Egypte, il appartient à la famille Bignon depuis 1885. Le chalet Le Saint-Sauveur est quant à lui construit par le célèbre architecte vichyssois Percilly. Hors-période Second Empire, puisqu’il date de 1905,  il témoigne de l’excellence dont continue à bénéficier l’architecture de la ville après le règne de Napoléon III.

La gare, les immenses parcs, les chalets… il reste enfin à découvrir d’abord le splendide casino, puis l’église Saint-Louis. L’Empereur sauta après quatre venues l’année 1865 avant de revenir en 1866. C’est en cette année 1865 que sont simultanément inaugurés sans lui deux des grands projets décidés par l’Empereur lui-même jusqu’en les détails. Le Casino, puis l’église Saint-Louis.

Le Casino

Casino de Vichy, extérieur © Vichy-Destinations.fr
Casino de Vichy, extérieur © Vichy-Destinations.fr

C’est aujourd’hui encore avec l’extraordinaire opéra de style Art nouveau de Vichy (achevé en 1903 il est sans lien avec le Second Empire), un des symboles incontournables de Vichy. L’extérieur n’en a pas changé, à la marquise et le fronton, ajouté en 1903, près. De magnifiques cariatides d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse l’ornent.

Auditorium Eugénie, Casino de Vichy © Destination-Vichy.fr.jpg
Auditorium Eugénie, Casino de Vichy © Destination-Vichy.fr

À l’intérieur un théâtre : le théâtre impérial, de 820 places, devenu salle de jeux et, aujourd’hui, salle de conférences sous le nom d’auditorium Eugénie.
C’est à l’occasion de cette réhabilitation que Castelbajac découvre les lustres abandonnés dans un local technique et mets à jour des pilastres en lapis-lazuli rehaussés de sources dorées.

Salles des fêtes et splendides salons complètent le tout ; ces pièces existent encore actuellement. Seules les destinations ont changé. Mais partout l’Empereur et son épouse sont évoqués, nommés, relatés.

L’église Saint-Louis

Église Saint-Louis, à Vichy © Wikipedia/Tabl-trai
Église Saint-Louis, à Vichy © Wikipedia/Tabl-trai

Malgré son absence en 1865, les consignes de l’Empereur sont explicites : « Qu’on livre sans délai le nouvel édifice au culte ». Dès le premier dimanche de son premier séjour, l’Empereur se rend à l’office dans la petite église Saint-Blaise (aujourd’hui chef d’œuvre de l’Art déco).
Sollicité par le curé de Saint-Blaise, l’abbé Louis Dupeyrat, Napoléon III inclut dans son projet urbanistique du décret du 27 juillet 1861, en son article 3 (à lire en ligne dans le Bulletin des lois de l’Empire français, Volume 18), la construction d’une nouvelle église, presqu’immédiatement après cette entrevue. Il invite également le prélat à sa table et lui remet la légion d’Honneur.
La pose de la première pierre intervient le 21 septembre 1862 ; le 2 juillet 1865 a lieu l’inauguration de l’église Saint-Louis. C’est aux frais personnels de l’Empereur que l’église aura été édifiée, comme l’indique en latin le tympan du porche d’entrée.
L’extérieur de l’église est quelconque et assez lourd. Elle est de style roman composite,ce qui est fréquent au XIXe s. avec adjonctions de gothique comme la rosace en façade. L’abside est plus réussie que la façade.

Il y aurait peu de choses à dire de l’intérieur s’il n’y avait ces étonnants vitraux et leur symbolique. Le chœur est en effet éclairé de 9 vitraux, œuvre du maître verrier parisien Antoine Lusson, et fabriqués en 1865. À la droite du Christ, en Salvator mundi, Sanctus Napoléon sous les traits de Napoléon Ier (En réalité, le martyr – un certain Neopolis légionnaire supplicié à Alexandrie – d’où l’étrange tenue de légionnaire romain de Napoléon et le bouclier timbré d’une croix – n’aura jamais été canonisé → En savoir +) .

Vitraux de Saint-Louis de Vichy : saint Napoléon, sainte Hortense et sainte Eugénie, sous les traits de la famille de Napoléon III © Vincent Petit (pour saint Napoléon)/Dominique Laurent
Vitraux de Saint-Louis de Vichy : saint Napoléon, sainte Hortense et sainte Eugénie, sous les traits de la famille de Napoléon III © Vincent Petit (pour saint Napoléon)/Dominique Laurent

 

D’autres vitraux ne sont pas sans rappeler certaines personnalités : sainte Eugénie (sous les traits de l’épouse de l’Empereur), sainte Hortense (sous les traits de sa mère).
Il en va de même pour la présence de saint Eugène (l’oncle maternel de Napoléon III), saint Louis (son père), saint Charles (son grand-père) et saint Joseph (son oncle paternel) dans l’église, même si leurs traits ne sont pas ceux des membres masculins des membres de la famille de Napoléon III.

Le dernier séjour de 1866

L’Empereur se réjouit du résultat et écrit à l’Impératrice, en date du 29 juillet 1866, durant son dernier séjour à Vichy : « Le vitrail qui te représente en sainte m’a donné distraction. Je ne t’avais jamais vue dans un tel costume, avec une crosse à la main ».
Cette année du dernier séjour à Vichy voit aussi passer Plon-Plon, Émile Olivier ou le maréchal de Mac Mahon, futur Président de la République (Mac Mahon, dont il était décidément écrit que la vie serait dictée par les eaux. À son interjection : « Que d’eau ! Que d’eau ! » alors qu’il rend visite aux sinistrés des inondations en Haute-Garonne, le préfet, lui aussi en verve, répondit « et encore, Monsieur le Président, vous n’en voyez que le dessus ! ». Au moins était-ce un préfet qui se mouillait…).
Le Prince impérial séjourne quatre jours durant la saison 1866. Le 7 août 1866, c’est l’adieu définitif à Vichy de son bienfaiteur. Napoléon III aura aimé Vichy. Il déclare à Alfred Maury le 21 juillet 1864 : « Je me plais à Vichy plus que nulle part ailleurs, car tout cela est ma création ».
L’actuelle Vichy n’est pas ingrate. Elle reste la cité Napoléon III par excellence. Elle est en effet lancée par « l’effet Napoléon III ». Le bicentenaire de la naissance de Napoléon III (2 avril 1808) y a été fêté avec faste le dimanche 18 mai 2008 et la ville continue de célébrer l’Empereur et l’Impératrice tous les ans au mois de mai avec sa manifestation Vichy fête Napoléon III.
Les somptueuses villas et les palaces construits entre 1870 et 1939 continuent de porter Vichy au sommet pour sa gloire et son malheur.

Troisième valse. Quel malheur d’être célèbre, belle et opulente : Vichy ostracisée

Vichy, une capitale improbable

Tel est le titre du chapitre 1 de l’excellent ouvrage de Bénédicte Vergez-Chaignon Les secrets de Vichy (Perrin, 2015).
Incontestablement, si Vichy donne son nom au régime de l’État français qui s’y installe à partir de juillet 1940, c’est à cause du lustre extraordinaire que possède la ville et que lui a accordé Napoléon III. Elle est en effet alors une ville dotée d’atouts qui vont évincer Lyon, Nice ou Marseille, ou Clermont-Ferrand, un temps sérieusement envisagée. D’abord, et avant tout, grâce à sa capacité hôtelière extraordinaire : sept palaces dont plusieurs de facture exceptionnelle. Le maréchal pétain s’installera à l’hôtel du Parc, au troisième étage.

Albert Victor Eugène Brenet Hôtel du Parc à Vichy, siège du gouvernement 1942 © ADAGP - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais - image musée de l'Armée
Albert Victor Eugène Brenet, Hôtel du Parc à Vichy, siège du gouvernement, 1942 © ADAGP – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais – image musée de l’Armée

 

Son chemin de fer, sa poste, son central téléphonique – un des plus modernes d’Europe, inauguré en 1935 – sont d’autres atouts indéniables.
Enfin Pierre Laval est le propriétaire du château de Chateldon, gros bourg qui possède l’immense avantage aux yeux du futur président du Conseil, d’être distant de 12 kilomètres de Vichy.

Quatrième valse. On ne sait jamais l’histoire que l’on fait : Vichy ressuscitée

Napoléon III et l’UNESCO

De toute cette histoire des Napoléon et Vichy, on pourrait dire encore bien des choses mais il semble que la leçon, banale mais exemplaire, tient en peu de mots mais qui pèsent lourds : on ne sait pas l’histoire que l’on fait. Si le docteur Alquié avait été compétent, il aurait conseillé à l’Empereur de persister à Plombières. Vichy serait actuellement une grosse bourgade ou une petite ville de l’Allier, vivant d’un thermalisme médiocre.
Aujourd’hui, elle accueille moins de 20 000 curistes par an, chiffre constamment en baisse. Mais parce que Napoléon III a été le Haussmann de Vichy, il a créé les circonstances, conditions et attributs pour en faire une potentielle capitale, y compris de l’État français, pour son malheur.  Cette malédiction est même passée dans la lange courante : « être un vichyssois » est devenue une expression commune pour signifier qu’on a une dimension collaboratrice…
En même temps, en faisant de Vichy la reine mondiale des villes d’eaux, à l’architecture unique et aux parcs gigantesques, l’Empereur est à l’origine d’un choix qui s’est imposé à la France en 2019 : mettre en avant Vichy, au détriment d’Évian, pour candidater à l’obtention du label Patrimoine mondial de l’UNESCO au titre du circuits des villes thermales mythiques qui représentent la quintessence absolue au XIX siècle de la grâce, l’élégance, l’aristocratie, l’esthétique,la féminité.


Les villes industrielles sont viriles ; les villes thermales, féminines dans leur recherche systématique de la beauté. La beauté, voilà un mot qui caractérise bien la ville pensée, voulue, construite, transformée par Napoléon le Grand, l’Empereur Napoléon III.
Cet article, sans prétention aucune, doit son existence, pour la meilleure partie, aux innombrables ouvrages savants, documentés, bien écrits, faciles à lire malgré leur érudition, d’Alain Carteret et Thierry Wirth qui inlassablement cherchent, trouvent et publient des ouvrages sur Vichy d’excellente facture qui ont l’érudition digne de l’université, mais sans la pesanteur de trop d’ouvrages de l’« Alma Mater ». Ajoutons que dans ce court texte illustré il ne nous a pas semblé nécessaire d’être obscur pour paraître savant.

Serge SCHWEITZER, 18 juin 2019

Serge Schweitzer a enseigné pendant de nombreuses années l’économie à l’Université d’Aix- Marseille, où il présidait le département d’Économie, Sciences Humaines et Sociales. Il enseigne désormais à l’Institut catholique de Vendée (ICES).

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