Une chronique de Peter Hicks : Napoléon, le buste de son fils, le « capitaine de Storeship » et ses « célèbres » lettres

Auteur(s) : HICKS Peter
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En mai 1817, trois « bâtiments employés à l’approvisionnement » de l’île de Sainte-Hélène jetèrent l’ancre au large de Jamestown. Le premier à arriver le 22 mai fut l’Ocean (sous les ordres du capitaine Johnson), puis ce fut l’Experiment (commandé par le capitaine Dacre) et enfin le Baring (dont le skipper était le capitaine Lamb). En raison de la lenteur des installations portuaires de Jamestown, il était prévu que le déchargement prendrait plusieurs semaines (voire des mois). Ainsi, les capitaines Johnson, Dacre et Lamb rejoignirent la communauté insulaire pour la durée de leur mouillage. Cet événement aurait été relativement banal, ne fut-ce l’arrivée d’un buste du fils de Napoléon, le roi de Rome.

Une chronique de Peter Hicks : Napoléon, le buste de son fils, le « capitaine de Storeship » et ses « célèbres » lettres
© Fondation Napoléon/ R. Young

L’épisode fut raconté de mémoire par Barry O’Meara lorsque ses écrits abordèrent cette période. Il raconta qu’un certain canonnier du navire du capitaine Lamb, Radowitz, avait fait fabriquer un buste du fils de Napoléon à Livourne avec son propre argent. Le but de Radowitz était de livrer cet œuvre à Napoléon contre rétribution si le résultat lui convenait. Dans une étrange combinaison de circonstances, Radowitz tomba malade et en vint à délirer obligeant son capitaine, Lamb, à confesser au chef de la police de l’île que le canonnier avait un buste pour Napoléon. Le chef de la police, Thomas Reade, aurait suggéré au capitaine de briser le buste en morceaux et de le jeter à la mer. Bien que Reade l’ait nié plus tard, O’Meara était convaincu qu’il avait effectivement suggéré cette destruction. Quoi qu’il en soit, le buste fut livré par ses soins à Plantation House où Hudson Lowe le détint pendant un certain temps, se demandant probablement s’il contenait des messages cachés. Concluant que le buste n’étant pas creux, il ne devait rien contenir, le gouverneur de Sainte-Hélène écrivit à Bertrand pour lui demander si Napoléon le voulait. Naturellement, Bertrand répondit par l’affirmative et le buste fut donc livré à Longwood.

Selon les mémoires de l’un ou de l’autre, Gourgaud ou Bertrand le déballèrent et Napoléon se rendit chez Bertrand pour y jeter un œil. Il en fut profondément ému. Cependant, l’occasion d’attaquer le gouverneur et le maladroit chef de la police pour la rétention (et menace de destruction) du précieux souvenir d’un père était trop belle pour être manquée. D’autant plus que le 29 juin, le capitaine de l’Ocean, le capitaine Johnson, avait été reçu par Napoléon, assis sur les marches de la véranda de Longwood. Après une longue conversation avec l’Empereur, Johnson avait déclaré qu’il allait écrire aux journaux britanniques pour raconter l’histoire honteuse du buste et la façon dont il était finalement parvenu jusqu’à Napoléon. O’Meara le narra dans une lettre à sa relation auprès de l’amirauté, John Finlaison, en date du 18 août 1817 : Johnson « à son retour en ville, avait déclaré à plusieurs personnes qu’il avait vu Bonaparte et qu’il l’avait fait connaître toutes les circonstances relatives à la destruction proposée du buste et qu’il lui avait également dit qu’il avait écrit un compte rendu à Londres pour être inséré dans les journaux. » (Benhamou, Inside Longwood, O’Meara à Finlaison, 18 août 1817, p. 129.). À peine deux semaines et demie plus tard, en juillet, Bertrand notait dans son journal : « l’Empereur dicte la première Lettre d’un Capitaine de Storeship » (Bertrand, Mémoires, vol. 1, 17 juillet 1817, p. 247.).

Jusqu’ici tout concorde.

En octobre 1818 (Une notice sur la brochure (désormais attribuée à Las Cases) a été publiée en novembre concernant la sortie des publications d’octobre dans le Monthly Review en 1818. Il comprend une version française de la célèbre lettre de Napoléon à Las Cases, écrite en décembre 1816, voir l’article ici), une brochure de 150 pages comprenant dix lettres fut publiée en anglais sous le titre Lettres de l’île de Sainte-Hélène exposant la sévérité inutile exercée à l’égard de Napoléon : avec annexe de documents officiels importants. Cet écrit paraissait environ un mois après l’arrivée le 10 septembre à Plymouth directement depuis Longwood de Barry O’Meara, récemment expulsé de l’île. Une traduction française devait paraître sous le titre Lettres écrites par un officier anglais en 1822. Ce n’est cependant pas le texte français d’origine mais une traduction de l’édition anglaise de 1818 (Il existe plusieurs erreurs dans la version française, dont une provoquée par une faute typographique dans la version anglaise : cela démontre clairement que le français est issu de l’original anglais.). Ce texte est remarquable en raison des anecdotes racontées à O’Meara ; il les publiera de son côté la même année que la traduction française. Elles se retrouveront par ailleurs chez Las Cases dans le Mémorial en 1823 (L’anecdote du marin de Boulogne et de sa petite embarcation est racontée par O’Meara, A voice, vol. 2, 17 août. Cette dernière et les autres anecdotes de Verdun sont reprises par Las Cases du 5 novembre 1816 dans le Mémorial 1823 publié (absentes du manuscrit) – Las Cases fait référence aux lettres comme si son texte et celui des lettres étaient deux sources différentes.).

Contrairement aux Lettres du Cap et au « Livre IX » des mémoires de Napoléon, sur Waterloo, qui ont toutes deux été publiées en anglais et en français, c’est le seul exemple de texte de Napoléon dont l’original n’existe qu’en anglais. Et le texte anglais est très convaincant, apparemment écrit de manière très professionnelle. Était-ce une traduction ? Si tel est le cas, O’Meara s’en serait-il chargé pendant les quelque deux mois qu’il a mis à rentrer chez lui ?

Les dix lettres « exposant la sévérité inutile » du traitement de Napoléon sont écrites comme si elles étaient de la main du capitaine d’un Storeship, c’est-à-dire d’un navire de ravitaillement. Elles ont toutes pour provenance indiquée « Jamestown bay ». Les premières lettres racontent en détail l’histoire du buste et les dernières rapportent des anecdotes montrant la magnanimité de Napoléon envers les prisonniers de guerre britanniques en France pendant les années de pouvoir. Il est assez étrange que, pour l’ensemble du récit d’O’Meara publié en 1822, ce soient les seuls jours pendant lesquels le chirurgien irlandais ait perdu ses notes : ont-elles fini dans le livre de 1818 ? En outre, le fait que le capitaine Johnson ait été si indigné du traitement de Napoléon qu’il fût prêt à écrire aux journaux britanniques est également surprenant. Peut-être que ce que nous avons dans ces lettres est un texte à trois mains, en partie inspiré par Johnson, dicté par Napoléon et transmis (et en partie écrit ?) par O’Meara.

Le texte ne semble cependant pas avoir fait beaucoup de vagues. Contrairement au Facts Illustrative de Hook, un texte en partie inspiré par Hudson Lowe et Sir Thomas Reade, ces lettres ne sont pas mentionnées par l’aide-de-camp de Hudson Lowe, Gideon Gorrequer : elles n’ont probablement jamais atteint Longwood.

Peter Hicks, juillet 2020

Peter Hicks est chargé d’Affaires internationales à la Fondation Napoléon.

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