Une chronique d’Aurélien Lignereux – Le général Travot : l’ombre bleue de Charette

Auteur(s) : LIGNEREUX Aurélien
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« Rien ne se perd jamais ». C’est l’une des réparties fameuses prêtées à Charette que Vaincre ou mourir, le film de Paul Mignot et de Vincent Mottez, n’a pas manqué d’inscrire à son script. Acculé dans le bois de la Chabotterie le 23 mars 1796, épuisé et blessé, Charette a remis son sabre à Travot, le général républicain qui l’a traqué sans relâche mais en qui le chef vendéen reconnaît la qualité d’« officier français ». À ce dernier déplorant tant d’héroïsme perdu, Charette aurait répondu : « Non, Monsieur, rien ne se perd. Jamais. » Si l’on en croit le Mémorial de Sainte-Hélène, cela n’est pas perdu en tout cas pour Napoléon. Ruminant sa défaite, il voit en Charette un « grand caractère ». Même les malheurs d’un désastre sont porteurs de gloire pourvu que l’on ait fait preuve d’audace et d’énergie, pourvu aussi que les vaincus ne perdent pas une seconde fois et sachent voler au vainqueur le droit d’écrire l’histoire.

Une chronique d’Aurélien Lignereux – Le général Travot : l’ombre bleue de Charette
A. Lignereux ©IHEMI.fr.jpg

N’est-ce pas ce qui se joue dans l’actuelle polémique autour de ce film produit par Le Puy-du-Fou ?  Rien ne se perd, tout se transforme : après le parc à thème et son spectacle Le Dernier Panache, le cinéma a donc le mérite de poursuivre toute une lignée d’œuvres, celle des chansonniers du XIXe, des romanciers et des dessinateurs du XXe siècle, qui ont transmis et transfiguré la mémoire du chef vendéen. Cela n’a en rien permis à la contre-révolution de triompher. Pourquoi donc la République tremblerait-elle aujourd’hui ? Précisément parce qu’elle n’aurait plus que des censeurs et des procureurs auto-proclamés pour la défendre. Que les petites phrases des derniers jours sont loin de la générosité d’un Victor Hugo ! Pourquoi rapetisser de la sorte ce conflit que Napoléon a eu le sens politique de qualifier de « guerre des géants » !  Il fut un temps où la République aimait ses héros, et se faisait aimer par eux : face à Bonchamps, à La Rochejaquelin ou à Charette, elle pouvait aligner Marceau, Hoche, Kléber ou Bonaparte. Eux aussi ont eu leur part d’ombre mais qu’importe : leurs images dans les livres d’école donnaient à la République l’éclat du courage et de la valeur. Finalement, Charette a peut-être tort : tant d’héroïsme est bel et bien perdu à l’heure d’une République qui ne redoute rien tant que les figures qui l’ont servie autrefois avec l’esprit de mission.

Vaincre ou mourir 2023 © Studiocanal 2023
Vaincre ou mourir, 2023 © Studiocanal 2023

Dans ces conditions, c’est laisser à d’autres le soin de choisir ses meilleurs ennemis. Travot a ce rôle dans Vaincre ou mourir : il n’y a pas de honte à avoir été capturé par cet officier inflexible et infatigable, « vertueux » selon Napoléon, mais cet homme taillé d’un bloc ne fait guère rêver en comparaison du flamboyant Charette. Et pourtant, ses statues de La Roche-sur-Yon et de Poligny l’avaient campé en fougueux officier, dont le plumet tricolore ne cédait en rien au panache blanc de Charette. Admettons que ce légendaire ne soit plus de saison, mais alors plutôt que des jugements mesquins sur un film qui a le mérite d’oser et plutôt que de surjouer le péril royaliste, c’est sur le terrain de l’Histoire, complexe et déroutante, qu’il faut se placer. Dans l’horreur du plus important massacre commis en France, ce furent des chasseurs de la Vendée, autrement dit des patriotes du cru, qui traquèrent Charrette. Travot qui était à leur tête en mars 1796, est resté le champion des Patauds, devenant d’ailleurs un gros acquéreur de biens nationaux (château compris). Il se rallie pourtant à la Restauration en 1814 et allait en recevoir la croix de Saint-Louis quand les Cent-Jours lui font reprendre ses bottes de 1796. Sa victoire nocturne à Aizenay (20-21 mai 1815), marquée par la mort d’un autre Charette – Ludovic – son neveu, disloque les royalistes qui se lançaient dans une quatrième guerre de Vendée. Rien ne se perd, et en tout cas pas la haine : Waterloo ayant fait de lui un vaincu, Travot subit la Terreur blanche. Un conseil de guerre le condamne à mort en 1816, peine commuée en 20 ans de détention, mais son état mental s’est délabré et il finit ses jours dans la maison du docteur Blanche à Montmartre. Rise and Fall : Travot méritait son Stanley Kubrick plutôt que de n’être que le faire-valoir de Charette. Républicains, encore un effort pour nous refaire rêver !

 

Aurélien Lignereux
Février 2023

Aurélien Lignereux est professeur d’Histoire contemporaine à Sciences Po Grenoble. Ses travaux portent sur l’empire napoléonien, tant dans son armature policière que dans le projet idéologique qui l’anime ou les hommes qui l’administrent, sans oublier les résistances qu’il suscite. Il est l’auteur de nombreux livres faisant autorité dont le dernier a été consacré par le Prix Premier Empire de la Fondation Napoléon : Les Impériaux : administrer et habiter l’Europe de Napoléon (2019). Il vient de publier L’Empire de la paix. De la Révolution à Napoléon : quand la France réunissait l’Europe (Passés/Composés, 2023).

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