Une chronique de Chantal Prévot : « Sur le point d’entreprendre un voyage important et scientifique… La découverte du testament du docteur Antommarchi »

Auteur(s) : PRÉVOT Chantal
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On le recherchait depuis longtemps. L’émotion est grande à sa découverte. Le carton, posé sur la table, ouvert, laisse échapper des effluves d’autrefois, un parfum un peu âcre et de minuscules grains de poussière.  La quête arrive enfin à son terme : la chemise, joliment reliée par un lacet rouge brun, porte en titre les mots recherchés : « Testament de M. Antommarchi, 19 septembre 1834″.

À la veille de quitter la France, le « médecin de l’empereur Napoléon à Sainte-Hélène, sur le point d’entreprendre un voyage important et scientifique dans plusieurs parties du Nouveau Monde » y exprimait ses dernières volontés. Il quittait alors Paris et une décevante souscription pour la reproduction du masque mortuaire de Napoléon qui avait à peine intéressé cent acheteurs. Il renonçait à la vieille Europe et aux chimériques legs en sa faveur qu’il avait espéré recevoir de l’héritage de Napoléon. Ses pérégrinations américaines l’amenèrent tout d’abord en Louisiane, puis dans l’île de Cuba, chez un cousin, planteur de café. C’est là, à Santiago que la fièvre jaune le rattrapât. Il s’éteignit le 3 avril 1838.

Une chronique de Chantal Prévot : « <i>Sur le point d’entreprendre un voyage important et scientifique…</i> La découverte du testament du docteur Antommarchi »
Chantal Prévot © Fondation Napoléon / Rebecca Young

Aujourd’hui nous ignorons toujours ce qu’est devenu l’empreinte mortuaire réalisée sur le visage de Napoléon 1er aux lendemains de sa mort à Sainte-Hélène en mai 1821 par les docteurs Antommarchi et Burton, laquelle empreinte a été dupliquée dès le retour d’Antommarchi à Londres en août de la même année. Une indication insérée dans un acte sur papier timbré, aujourd’hui disparu mais relevée par un commissaire-priseur, nous avait mis sur la piste du testament du dernier médecin de l’empereur, ainsi qu’un conseil avisé d’un fin connaisseur des archives. Ainsi, le testament de celui qui s’était arrogé la paternité entière du masque mortuaire de Napoléon, au détriment de son confrère, le plus habile mais trop britannique docteur Burton, pourrait peut-être fournir de précieuses informations sur l’exemplaire ou sur les exemplaires en sa possession.

À l’intérieur de la chemise cartonnée, le pli est bien là. L’enveloppe, avec son cachet de cire rouge, est jointe. Un compte-rendu notarié indique que le document, scellé, fut porté à son frère Dominique en Corse et conservé par ce dernier jusqu’au décès. Le modeste feuillet est couvert d’une écriture fine et très lisible : « Je soussigné François Antommarchi … déclare par la présente que j’institue Dominique Antommarchi, mon frère, demeurant à Morsiglia [Morsiglio], en Corse, pour mon légataire à titre universel… » Suivent des considérations sur sa maison « achetée et réparée » près de Bastia qui doit rester dans le giron familial, et des parts sur son argent à donner à ses frères et sœurs. Malheureusement, rien sur une effigie mortuaire.

Passée la déception, une question s’impose : pourquoi faire enregistrer un testament portant uniquement sur des biens insulaires auprès du tribunal de première instance de la Seine puis dans une étude parisienne ? Sans doute parce que des choses appartenant au médecin étaient demeurées dans la capitale, et que Dominique devait y confirmer son statut d’héritier universel.

Feuilletant l’un après l’autre, tous les dossiers de 1838 voici, quelques jours après, un acte de notoriété établissant qu’il n’a été fait aucun inventaire (hélas) et qu’Antommarchi ne laissait aucun enfant. Dominique se positionnait comme le seul héritier à Morsiglia comme à Paris. Parmi les documents rassemblés, la mention d’un coffre conservé dans la capitale fait son apparition un mois plus tard, le 15 décembre. Un procès-verbal retrace son existence, « confié par le docteur Antommarchi, entre les mains de M Jacob Lazare, ancien négociant« . En revanche, « les clefs ont été confiées, également par le docteur, à M. Dominique Pasqualini« .

Excès de prudence ? Manie du secret ? Quoiqu’il en soit, assigné par le successeur universel, le notaire se rendit chez l’ancien négociant, place des Victoires, et y convia également le détenteur des clés. M. Lazare ne fit aucune difficulté pour mettre à la disposition de la loi le mystérieux coffre fermé par une serrure et un cadenas. M. Pasqualini sortit les clefs. Un cachet avec le sceau du docteur, apposé par lui-même, fut décollé. La première clef tourna dans un cadenas, les têtes s’inclinèrent, la seconde clef dans une serrure, les têtes se penchèrent plus avant, le couvercle fut soulevé … et apparurent « divers bijoux et des papiers pouvant servir de renseignements ou présenter quelques actifs pour la succession« . Parfait pour l’héritier, mais toujours rien sur le masque.

Toutefois, l’un des papiers du coffre nous fait espérer. Tel un petit Poucet semant des cailloux pour qu’on le retrouve, Antommarchi a disséminé ses biens et les indices pour les récupérer, car « l’un de ces papiers indiquait que d’autres objets et mobiliers seraient entre les mains de deux autres dépositaires« . Mais la piste s’arrête là encore brutalement. Malheureusement, les cartons de l’étude n’ont pas apporté d’autres éléments, le papier fut pris par Dominique et les noms des dépositaires restent inconnus. Quels étaient ces biens ? Y avait-il le masque gardé par le médecin, un des plus proches de l’empreinte original ? Étaient-ce les exemplaires en plâtre et en bronze invendus de la souscription, dispersés par l’héritier aux enchères publiques le 2 février 1839 à Paris ? Les mystères du masque Antommarchi demeurent, l’enquête peut donc continuer.

Chantal Prévot, responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon (12 janvier 2024)

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