On retrouve avec ces lettres le souci dont fit preuve l’ancien roi d’Espagne de défendre son propre bilan politique et militaire, mais aussi « de débarrasser la vérité et la mémoire de l’Empereur de ce tas de calomnies dont ne cessent de les encombrer les ennemis des peuples » (lettre à Thibaudeau, 10 mai 1826), que ce soit en témoignant ou en communiquant aux historiens des copies de ses archives. « Je suis beaucoup dans mes vieilles paperasses aujourd’hui, et je perds beaucoup de temps à des travaux préparatoires […], mais j’espère vivre assez pour faire ressortir la vérité des souvenirs et des documents qui me restent » (lettre à Roederer, 8 septembre 1829).
Certaines missives évoquent ainsi les débats qui déchiraient déjà le milieu des anciens serviteurs et des admirateurs de l’Empereur, avec notamment la parution de la très critique Histoire de Napoléon et de la Grande Armée pendant l’année 1812 du comte de Ségur (1824), à laquelle le général Gourgaud répondit avec un Examen critique publié l’année suivante, que Joseph qualifie de « contrepoison » (lettre au général Pelet, 4 mars 1826). En revanche, il ne prend pas de gants avec Mathieu Dumas et son Histoire d’Espagne (1823) : « C’est absolument un ouvrage à refaire » (lettre du 15 mai 1826). Avec le général Pelet, auteur de Mémoires sur la guerre de 1809 en Allemagne (1824-1826), il se montre bien plus enthousiaste : « Pas une ligne qui ait pu me faire froncer le sourcil […]. Si dans le cours de votre travail il vous survenait quelque doute […], je suis entièrement à vos ordres. Je conserve de la mémoire, je puis réciter toutes entières des conversations de l’empereur sur des questions importantes de législation et de politique. S’il eût vécu, à cette heure, la France serait libre et heureuse » (lettre du 3 octobre 1826).
Peut-on prendre pour argent comptant tout ce que Joseph affirme ? Ses déclarations doivent être passées au crible de la critique, mais elles ajoutent des pièces inédites à de nombreux dossiers, par exemple la campagne d’Égypte : « Je puis affirmer que mon frère me dit plusieurs fois : Je suis libre de rester en Orient ou de revenir en Europe. Si l’opinion me rappelle, je reviendrai. Si la République peut véritablement s’affermir, tant mieux. Si nos vieilles habitudes monarchiques, en contradiction avec nos lois actuelles, mettent aux prises l’opinion et le gouvernement républicain et qu’il faille une main unique et forte pour soutenir nos institutions nouvelles jusqu’à ce qu’elles soient soutenues par les mœurs et par elles-mêmes, si l’opinion m’appelle, je reviendrai. Si on peut aller sans moi, tant mieux. Un assez vaste champ de gloire est ouvert devant moi en Égypte. D’un côté Constantinople, de l’autre l’Inde ».
Charles-Éloi Vial (juillet 2025)
Charles-Eloi Vial est conservateur au département des manuscrits de la BnF. Il a reçu le Prix Premier Empire 2017 de la Fondation Napoléon pour sa biographie de Marie-Louise (Perrin, 2017). Il a publié en 2025 Les lieux de Napoléon, et Talleyrand. La puissance de l’équilibre, également chez Perrin.