Il ne tarda pas à solliciter Daru, intendant général de la Couronne, lui parlant de la bibliothèque impériale rarement occupée dont il rêvait de prendre soin : « je suis si fou des livres que je me jetterais, je crois, à travers les flammes ou au milieu des flots pour en sauver un bon (https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/media/FRAN_IR_051115/c-a1xywn74f–a8h0b1pf8xzn/FRAN_0013_043255_L) ». Daru ne pouvait pourtant pas ignorer la teneur de sa principale œuvre, restée célèbre chez les collectionneurs d’ouvrages subversifs, mais qui n’est pas à mettre entre toutes les mains !
Après avoir convaincu Antoine-Alexandre Barbier, le sourcilleux bibliothécaire particulier de Napoléon, il parvint à se faire définitivement engager le 1er janvier 1811, et fut chargé de veiller sur les 30 000 volumes répartis entre le cabinet particulier du maître aménagé en 1808 et l’ancienne chapelle Saint-Saturnin réaménagée en bibliothèque à l’usage de la cour. L’administration n’avait pas fait une bonne affaire, car il était de ces bibliothécaires qui préfèrent lire les livres que les entretenir : les volumes moisis qui s’empilaient dans le cabinet de travail de l’Empereur ne semblaient guère l’émouvoir, et les catalogues n’étaient pas souvent mis à jour. Ravi d’avoir des livres à feuilleter et un logement de fonction, il ne fit pas grand-chose, si ce n’est se chamailler avec le concierge et régenter occasionnellement les employés du palais chargés de battre les livres pour en enlever la poussière. Il eut peu de contacts directs avec Napoléon, mais sa grande affaire à partir de 1812 fut de fournir des livres pour occuper Pie VII, détenu au château. Le pontife eut notamment l’occasion de parcourir une épaisse Histoire de l’Église par Berault-Bercastel.
Du 16 au 18 février 1814, Rémard vit avec effroi arriver les Russes qui occupèrent brièvement Fontainebleau et prélevèrent des cartes dans le cabinet topographique de l’Empereur, mais il parvint à éviter le pillage de la bibliothèque. Deux mois plus tard, après la première abdication, il exécuta sans discuter les ordres de Napoléon en prélevant et en emballant les livres qui partirent à l’île d’Elbe (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10089797r/f60.item).
Dès le retour de Louis XVIII, il inonda de suppliques les proches du roi, cherchant à tout prix à se maintenir en place, prétendant même s’être battu pour défendre Louis XVI le 10 août 1792 aux Tuileries (https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/52303-charles-remard-poete-et-bibliothecaire-1766-1828.pdf). Outre son dévouement envers le Pape, il disposait d’un argument imparable : la place de bibliothécaire de Fontainebleau ayant été supprimée par Louis XIV avant d’être rétablie par Napoléon, il n’avait pris la place d’aucun émigré !
Définitivement guéri de son admiration pour l’Aigle, Rémard se cacha le 20 mars 1815 quand Napoléon repassa à Fontainebleau avant son entrée triomphale à Paris. Il parvint quelques semaines plus tard à limiter les vols lors de l’occupation du château par les Prussiens après Waterloo… Il publia en 1820 un des premiers guides touristiques du château, où l’on aurait de la peine à trouver ne serait-ce qu’une mention de l’Usurpateur, et il servit loyalement les Bourbons jusqu’à sa mort en 1828, n’ayant pas eu l’occasion de retourner sa veste en faveur de Louis-Philippe.
La restauration remarquable de la bibliothèque, achevée juste à temps pour la réouverture des musées, est l’occasion de rendre hommage à ce bibliothécaire peu compétent mais courageux, grâce à qui la quasi-totalité des livres réunis pour Napoléon sont toujours présents, depuis plus de deux siècles, sur les mêmes étagères, où ils forment un témoignage unique de ses goûts littéraires ainsi que de ses habitudes de travail.
Charles-Éloi Vial
Juin 2021
Archiviste paléographe, docteur en histoire, Charles-Éloi Vial est conservateur à la Bibliothèque nationale de France. Il a reçu le Prix Premier Empire 2017 de la Fondation Napoléon pour sa biographie de Marie-Louise (Perrin). Son prochain ouvrage, qui paraîtra le 26 août 2021, portera justement sur Napoléon et les bibliothèques (coéd. Perrin/CNRS Éditions).