Une chronique de Claude Collard : L’île d’Aix en noir et en rose, l’île des Gourgaud

Auteur(s) : COLLARD Claude
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À peine sorti du bateau, une fois franchi les fortifications, le coup de cœur pour l’île d‘Aix est instantané, tout y est charmant, doux et tranquille, les ruelles, les maisons  de pêcheurs, les calèches, la végétation somptueuse et la lumière infinie…Et pourtant….l’île a été marquée par deux « histoires » liées l’une à l’autre et  qu’il m’a plu de symboliser par deux couleurs : le noir et le rose.

Une chronique de Claude Collard : L’île d’Aix en noir et en rose, l’île des Gourgaud

Noir, comme les pensées de l’Empereur, arrivé le 12 juillet 1815, sur la petite île d’Aix située en face de Rochefort après avoir signé son abdication à l’Élysée le 25 juin, puis séjourné à la Malmaison et fait route vers l’ouest devant l’avancée des Prussiens.
Trois journées à Aix entre réflexion et décision face à l’avenir – reprendre le commandement de l’armée, partir pour les États-Unis ou se rendre aux Anglais (Charles-Eloi Vial, Le dernier voyage de l’Empereur : Paris-île d’Aix, 1815, éditions Vendémiaire, 346 p.) -.
On connaît la suite, ce sera Sainte-Hélène.

Rose, comme la couleur préférée d’Eva Gebhard (1886-1959), riche américaine, unique héritière de William Henri Gebhard (1827-1905), banquier américain, qui a réalisé son rêve d’aristocratie en épousant en 1917 le baron Napoléon Gourgaud, dont le bisaïeul Gaspard Gourgaud fut, de 1815 à 1818, l’un des compagnons de Napoléon à Sainte-Hélène (Jacques MacéLe général Gourgaud, Nouveau monde éditions, Paris, 2006.). Eva et son mari vont se passionner pour l’île d’Aix, en faire un lieu de mémoire des derniers instants de l’Empereur en France, et un lieu mondain et charmant pour y accueillir les personnalités de ce monde d’avant-guerre insouciant et brillant.

Napoléon et Eva Gourgaud lors de leur mariage le 25 septembre 1917 © https://societe-amis-iledaix.com/
Napoléon et Eva Gourgaud lors de leur mariage le 25 septembre 1917 © https://societe-amis-iledaix.com/

En avril 1808,  Napoléon, conscient de l’importance stratégique de l’île pour défendre l’arsenal de Rochefort, était venu à Aix inspecter les installations militaires et avait décidé de les renforcer avec la construction du fort Liédot, d’une canonnière et d’une maison pour le commandant de la place.
C’est dans cette maison, qu’il séjourna du 12 au 15 juillet 1815, avant de monter sur le pont du Bellérophon, persuadé que sa retraite aurait pour cadre la campagne anglaise.
Restée lieu de garnison jusque dans les années 1920, l’île se trouva ensuite dans une situation difficile avec l’abandon et l’absence d’entretien des bâtiments par l’armée, la maison de l’Empereur se transforma petit à petit en ruine.

Musée national napoléonien de l'île d'Aix © DR
Musée national napoléonien de l’île d’Aix © DR

L’homme de lettres et journaliste, Pierre Chanlaine (1885-1969), alerta l’opinion le 1er mai 1925 dans Le Matin à travers son article « Les îles qui meurent. L’injustifiable abandon de l’île d’Aix. Il faut classer son château qui fut le dernier asile de Napoléon en France » (Christophe Pincemaille, « La Folie Gourgaud », Paris, éditions RMN, 2009, 133 p.).

Le baron Napoléon Gourgaud (1881-1944), président de la Société Sauvegarde de l’Art français fondée en 1920 et fervent napoléonien à travers le souvenir de son bisaïeul Gaspard Gourgaud (1783-1852), prit les choses en main. Il fit classer la Maison et l’acheta à l’État pour en faire un musée, par l’intermédiaire de la Société des Amis de l’île d’Aix. D’importants travaux furent entrepris grâce à la fortune de sa femme, Eva. Les collections furent constituées en un temps record grâce aux objets de la collection familiale et aux dons de familles descendantes de l’entourage impérial. Édouard Herriot, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, l’inaugura officiellement le 16 septembre 1928.

Dès lors, le couple se consacra passionnément à Aix en s’y installant chaque été dans une maison dénommée « Maison rose »,  sur la place d’Armes.

© La Maison rose de l'île d'Aix, résidence d'été des Gourgaud, de 1927 à 1959 © https://societe-amis-iledaix.com/
La Maison rose de l’île d’Aix, résidence d’été des Gourgaud, de 1927 à 1959 © https://societe-amis-iledaix.com/

En effet, tout était rose par la volonté d’Eva, qui aimait éperdument cette couleur : la façade, les murs, les rideaux, les coussins, les nappes, les draps, les serviettes, les peignoirs, les robes des femmes de chambre,  les fleurs, les papiers à lettre, même le sucre et les tourterelles du colombier. Eva exigeait de son mari de les rosir à nouveau dès que le blanc de leurs plumes réapparaissait !

Aix devint  un lieu mondain avec la fréquentation de leurs amis, les Rohan-Chabot, La Rochefoucauld, les Rothschild… et de personnalités politiques et artistiques. Les Gourgaud ne ménagèrent pas leurs efforts pour faire connaître le musée à travers des guides, développer le tourisme en réhabilitant les deux hôtels de l’île et en initiant une ligne maritime estivale avec le continent.

Un Musée africain fut créé juste en face du Musée napoléonien avec les collections de Napoléon Gourgaud, passionné d’expéditions de chasse en Afrique. Inauguré en 1934, sa présentation est à la fois ethnographique et scientifique avec des dioramas dont l’un présente des oiseaux de Sainte-Hélène où il se rendit lors d’un de ses séjours en Afrique du Sud.  Dans les collections, se trouve un  dromadaire ramené d’Égypte par Bonaparte, donné par le Muséum national d’histoire naturelle au Musée africain en 1932.

Le dromadaire ramené par Bonaparte d'Égypte, don du museum d'Histoire naturel au Musée africain de l'île d'Aix en 1933 © https://www.rochefort-ocean.com/
Le dromadaire ramené par Bonaparte d’Égypte, don du museum d’Histoire naturel au Musée africain de l’île d’Aix en 1933 © https://www.rochefort-ocean.com/

Napoléon Gourgaud s’éteignit en 1944, Eva lui survivra jusqu’en 1959 et continuera de veiller sur Aix.

Aujourd’hui à Aix, la « Maison rose » et  les roses trémières joliment fleuries l’été devant les petites maisons basses rappellent Eva, son amour pour le rose, son attachement pour l’île à travers le souvenir des derniers instants de l’Empereur en France et la manière d’être si romanesque de cette jeune américaine, devenue au hasard de sa destinée, baronne Napoléon Gourgaud.

Portrait d'Eva Gourgaud par Henri Matisse en 1923 © Centre Pompidou
Portrait d’Eva Gourgaud par Henri Matisse en 1923 © Centre Pompidou

Claude Collard
22 mars 2022

Claude Collard est conservatrice générale honoraire des bibliothèques.

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