Une chronique de Franck Favier : pourquoi les traîtres nous fascinent tant !

Auteur(s) : FAVIER Franck
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Où commence et où s’achève un acte de trahison ? L’Histoire est pleine de félons. Certains agissent par idéal, d’autres par intérêt ou encore par vengeance.
Qui trahit-t-on ? Tous et tout, plus clairement ses amis, son maître, son serment, sa patrie ou tout simplement soi-même. Rompant avec les codes sociaux, la trahison fascine même par le mépris qu’elle inspire pour des hommes qui ont manqué à leur parole, préférant le déshonneur à la mort.

Une chronique de Franck Favier : pourquoi les traîtres nous fascinent tant !
Franck Favier, historien © Histoire sans fin

Dans l’Histoire, le sentiment autour de la trahison a beaucoup évolué. Dans la période moderne, la trahison est encore vue comme une rupture de serment de fidélité féodale ou comme un crime de lèse-majesté : les rapports complexes de François 1er avec le connétable de Bourbon ou des Frondeurs avec Louis XIV peuvent être l’illustration contre l’absolutisme royal. Néanmoins d’autres raisons dès le milieu XVIIIème siècle apparaissent pour justifier la trahison, le sentiment national, la défiance envers un nouveau régime comme celui de la révolution française. Que dire par exemple de Dumouriez ou de La Fayette ou encore des Emigrés ? des traîtres ? De fait le crime de lèse-société remplace l’ancien crime de lèse-majesté au crépuscule du siècle des Lumières.
On attribue à Talleyrand, ce célèbre aphorisme : « la trahison est une question de dates. » La trahison est de ce fait aussi une question de sentiment et de point de vue, autant qu’elle est à géométrie variable.

On peut ainsi s’interroger sur le jeu des opportunités et de la préméditation. Les années de 1814-1815 sont significatives. Les critères de la trahison fluctuent au gré des circonstances. Beaucoup de traîtres disent n’avoir pas trahi, répondant à quelque chose de supérieur, un idéal, une patrie, une idée. Deux maréchaux parmi d’autres illustrent ce propos.
Le maréchal Marmont dans sa triste « ragusade » tente pendant près de quarante ans de se justifier, rappelant soit l’état de la France en 1814, soit l’erreur de ses subordonnés mais jamais la trahison d’une amitié vieille de trente années avec l’Empereur. L’opportunisme n’a pas ici pas payé.
Bernadotte, de son coté, justifie ses actions après 1810 par son élection comme prince royal de Suède faisant de lui en quelque sorte un Suédois. Napoléon taxe alors son ancien maréchal au minima d’ingratitude mais aussi de vipère au sein de son armée. Le cas du béarnais est d’ailleurs intéressant car il pose la question de la réalité de la trahison mais aussi de son éventuel calcul.

La préméditation devient alors un élément clé de la réflexion. Talleyrand comme Fouché illustrent cet aspect. Le complot et de la traîtrise obsèdent alors les sociétés du XIXème siècle trouvant leur point d’orgue lors de l’affaire Dreyfus.
Opportunisme ou préméditation, la trahison est toujours un choix. Pour certains, elle devient un destin : Quisling, leader norvégien lors des années 1930-40 ou encore moins connu, Wang Jin Wei, rival chinois de Tchang kaï-chek au sein du Guomindang, se crurent investis d’une mission divine pour leur pays, finissant l’un fusillé en 1945, l’autre dans un hôpital japonais en 1944.
En fait, le tout est de réussir sa trahison. L’échec ne peut être synonyme que de bêtise et donc de reproche. La réussite, signe d’intelligence supérieure peut être célébrée.

Franck Favier
Février 2022

Franck Favier est agrégé et docteur en histoire. Il a notamment publié Bernadotte, un maréchal d’Empire sur le trône de Suède et Berthier. L’ombre de Napoléon  (Prix Premier Empire 2015 de la Fondation Napoléon). Il vient de codiriger avec Vincent Haegele Traîtres. Nouvelle histoire de l’infamie (Passés/Composés 2023)

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