Dans l’armée de la Révolution, la gestion capillaire militaire fut toute aussi dévastatrice que le confinement… Après l’euphorie des débuts, dès 1792 les coupes de cheveux furent encadrées par des règlements qui tentèrent d’harmoniser le port du cheveu long et de la queue. Le cheveu devait être court, et sur les faces ne pas dépasser le milieu de l’oreille. La queue, réputée utile contre les coups de sabre, devait être blanchie dans certaine unité, ne devait pas excéder la longueur honorable de huit pouces (21,6 cm) et devait être couverte d’un ruban de laine noire.
Le manque de temps pour faire appliquer les règlements entraîna toutes sortes de dérives, les catogans et les cadenettes (tresses au niveau des tempes portées par la cavalerie légère) de toutes longueurs ou grosseurs côtoyèrent les coupes à oreille de chien, voire les perruques pour les officiers… Tout était fonction des chefs de brigade et de leur envie de faire respecter les lois militaires. C’est à compter du Consulat, qu’on tenta de remettre les règlements en application et les cheveux au carré.
Si, dans le civil, le cheveu court se répandait pour les hommes (coupe à la titus) et les femmes (coiffure à la victime), dans l’armée l’ordonnance de 1792 (quand elle était appliquée) restait la norme. Les hygiénistes militaires furent nombreux à appeler de leurs vœux de nouveaux règlements pour la gestion des cheveux. Pour eux, cette queue ne tenait que de la coquetterie masculine, obligeait à un entretien quotidien et mobilisait inutilement une part de l’emploi du temps ainsi que de la bourse des soldats. Sans compter que, par temps humide, les cheveux poudrés salissaient les uniformes et à long terme les détérioraient.
En 1804, ces recommandations hygiénistes furent entendues de Bonaparte, et un nouveau règlement limita, à la Garde, le nombre d’unités autorisées à porter la queue. Dans la ligne, l’obligation était que la coupe fut courte et l’oreille toujours bien dégagée. Napoléon ne voulut rien imposer et privilégia plus ou moins le volontariat. Cependant, même chez les plus hauts gradés, cette instruction eut du mal à être appliquée. Les plus récalcitrants furent les cavaliers légers (hussards et chasseurs à cheval) dont queues et cadenettes faisaient partie intégrante de l’identité régimentaire. Par fierté masculine et esprit de corps bien ancré, cheveux courts (les caniches) et cheveux longs s’affrontèrent parfois à coups de sabre pour savoir lequel était le plus brave… et le mieux coiffé !
En 1806, les unités réfractaires au changement reçurent l’ordre formel de se conformer au règlement de 1804. Catogans et cadenettes furent alors coupées en nombre dans les unités, parfois de manière un peu cérémonielle comme au 5e hussards qui refusa longtemps de s’exécuter. La plupart du temps ce fut au plus grand regret des cavaliers qui voyaient leur singularité tomber au sol ! Sous l’Empire, les chefs de corps conservaient néanmoins une certaine latitude, et fantassins et cavaliers arborèrent une coupe plus ou moins longue selon les unités. C’est ainsi qu’en Espagne, le colonel Lelievre de la Grange du 15e régiment de chasseurs à cheval laissa pousser les favoris (réservées aux dragons !) et imposa le cheveu court, tandis que son successeur de 1812, fit raser les hommes mais leur ordonna de laisser pousser les cheveux. Ce manque d’uniformité entre les unités perdura jusqu’à la fin de l’Empire.
Avant de jouir de cette liberté capillaire toute relative, les conscrits en arrivant dans les unités étaient tondus et rasés s’il y avait lieu. Ce régime strict, dicté par l’hygiène et l’uniformité, permettait également de marquer la différence entre le soldat déjà formé et le nouveau. Cette coupe très distinctive, devait par ailleurs rendre plus difficiles les désertions, ou du moins faciliter le travail des gendarmes chargés de retrouver les fugueurs.
Pendant le confinement, cette coupe « à la conscrit » était devenue très à la mode chez les plus impatients qui ne supportaient pas de voir leurs cheveux s’allonger… avec la fin partielle des restrictions de circulation verra-t-on le retour du catogan ?
Mai 2020
François Houdecek est responsable des projets spéciaux à la Fondation Napoléon