Une chronique de François Houdecek : « Mars 1815, bataille de fleurs : la violette contre le lys ! »

Auteur(s) : HOUDECEK François
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Au-delà de leur beauté et leur parfum, les fleurs sont aussi un langage, l’expression de symboles aussi divers que complexes. Il suffit de se plonger dans les fresques pompéiennes ou les tapisseries médiévales pour comprendre le double sens que revêtent les représentations florales. Souvent elles expriment des sentiments ou des états d’âme. Parfois, elles incarnent une divinité, un personnage, ou une fonction, plus rarement un régime ou un courant politique. Le lys blanc, symbole de la Vierge Marie, incarna néanmoins très tôt la monarchie française. Durant l’Empire, la symbolique s’incarna dans l’Aigle, et pour Napoléon l’Abeille. Si les fritillaires impériales (fritillaria imperialis), appelées aussi couronne impériale, ornèrent notamment les tapis des palais dessinés par Percier et Fontaine, ces fleurs n’incarnèrent réellement ni l’homme ni le régime. Tout changea avec le premier exil d’Elbe quand la violette symbolisa l’attachement au régime impérial, jusqu’à incarner Napoléon sous le nom de Père la Violette.

Une chronique de François Houdecek : « Mars 1815, bataille de fleurs : la violette contre le lys ! »
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

La Viola odorata (mais il existe plusieurs espèces qui purent servir sans distinction) fut d’abord un signe de ralliement clandestin pour les partisans de l’Empereur sous la Première Restauration. Symbole de l’amour secret dans le langage des fleurs, la petite fleur des sous-bois surgit au grand jour fin mars 1815 aussi soudainement que le vol de l’Aigle. Louis XVIII n’a pas encore franchi les frontières de la France (ce fut le 23 mars), que la Gazette d’Anvers du 21 mars 1815 rapporte que les « partisans de Bonaparte avaient un brin de violette pour se reconnaître et le mot de princesse pour ralliement. » En France, le Nain Jaune dans ses chroniques du 20 au 25 mars 1815, est parmi les premiers à évoquer ce signe de ralliement bonapartiste. Ce serait près de Grenoble que le général Marchand espérant « barrer le chemin à l’Empereur, dit à ses canonniers : À vos pièces mes amis, et chargez. – Général, nous n’avons pas de munitions. – Que dites-vous ? – Certainement, pour tirer sur le père la Violette on ne peut charger qu’avec des fleurs. Vive Napoléon ! vive l’Empereur ! On sait que le nom de la Violette est celui que depuis longtemps les soldats fidèles donnent à l’Empereur, dont ils attendaient le retour à l’époque du printemps. »

La violette était alors considérée comme une humble fleur des sous-bois que l’on pouvait fouler au pied sans même y prendre garde. On retrouve la trace de la petite violette dès 1803, dans des chansons galantes dont « plus que le lys on chérit l’odeur. » La figure de style se politisa donc en 1815, et le « Père la Violette et le Père du Lys » s’affrontèrent à coup de publications. Un auteur royaliste écrivit : la violette perd son odeur quand les feuilles disparaissent !

Quelques jours plus tard, pour expliquer à ses lecteurs la profusion de bouquets de violettes à Paris, le Moniteur du 7 avril reprit la dernière phrase du Nain Jaune. Comme cette petite fleur qui peut faire de jolies colonies le long des chemins, le surnom de Napoléon et cette phrase se répandirent très vite en France et au-delà. D’autant qu’au lendemain du Champ de mai, à l’image de la publication d’un opuscule bonapartiste anonyme, on assista à la multiplication des violettes. Titré « La Trinité des braves ou la violette sous trois espèces », il symbolisa l’Empereur, sa femme et le petit prince. Avec Marie-Louise restée sur le trône ducal italien, la « violette de Parme » pouvait éclore… et même si le centre de production français était Toulouse ! À l’image de ce livret, les libellistes bonapartistes, puis les pamphlétaires et auteurs de vaudevilles royalistes furent prolixes. Dans l’Hexagone, plusieurs dizaines d’opuscules furent édités entre avril 1815 et décembre 1816, reprenant souvent sur un ton moqueur le nouveau surnom de Napoléon. Non moins fut la production à l’étranger où les commentateurs anglais, allemands et italiens participèrent à la diffusion de ce nouveau symbole impérial à travers l’Europe. Notamment Lady Morgan, en 1816, puis surtout Walter Scott en 1827, lui assurèrent sa pérennité dans la langue de Shakespeare.

Peu après Waterloo, on tenta de lui substituer chez les Bonapartistes « l’œillet rouge » mais la « Violette de Mars » est comme le chiendent, elle résiste à toutes les coupes ! Dans les premières années de la Restauration, la violette impériale retourna cependant dans la clandestinité. Les gravures séditieuses représentant la trinité impériale eurent un énorme succès, et répondaient aux caricatures. Loin d’être anecdotique, les autorités prirent les choses au sérieux ! Un cri de « vive le Père la Violette » à Montmorillon, valut à son auteur le sieur Têté plus d’un an de prison. Porter fièrement la fleurette au revers de la veste ou dans la bouche devenait trop visible aux yeux de la police. Les bonapartistes s’appelèrent alors selon leur dévouement à la cause « Violettes simples, doubles Violettes, triples Violettes », et ils portèrent un mouchet de poil sur le menton qui prit le nom de « violette ».

Mais pourquoi la violette pour Napoléon ? Où et quand exactement on vit fleurir pour la première fois ce signe de ralliement ? Après la chute de l’empereur, on s’interrogea à propos de cette petite fleur pourtant si charmante qui ne parfumait plus les chevelures féminines, mais symbolisait désormais « les factieux et l’Usurpateur ». En août 1815, Charles Doris (pseudonyme d’un librettiste très actif mais anonyme) publia pour la première fois une anecdote qu’il tenait, disait-il, d’un des protagonistes. En 1814, peu de temps avant de quitter Fontainebleau, Napoléon se promenant dans les jardins avec Maret et le grand maréchal Bertrand, aurait reçu d’un jeune garçon un bouquet de violettes. L’Empereur fraîchement déchu aurait ensuite déclaré : « Le hasard de cette rencontre est selon moi un avis secret d’imiter cette fleur de modeste apparence ; oui messieurs, désormais des violettes seront l’emblème de mes désirs. » Le lendemain, le voyant cueillir d’autres petites fleurs mauves, un grenadier lui aurait dit qu’il espérait son retour avant un an. Napoléon aurait alors acquiescé et gratifié le soldat. Le grenadier, fort de cet échange, aurait ensuite dit à ses camarades : « Maintenant il faudra tous le nommer entre nous, le Père la Violette. » Le surnom aurait ensuite fuité du corps de garde, et aurait propulsé la violette à travers la France. Reprise par la presse (Journal des arts et de la politique du 15 septembre 1815), cette anecdote inventée se retrouva ensuite dans divers témoignages, comme les Mémoires d’un Pair de France, écrit par Lamothe Langon en 1829-1830.

Avec beaucoup moins d’imagination, mais plus de prudence, Louis Marie Prudhomme (1752-1830), en décembre 1815, attribua à « un auteur l’un des conjurés » sans le nommer, l’invention de ce surnom qui eut une telle postérité. Dans tous les cas, l’initiateur ne serait pas Napoléon, qui, à suivre la Reine Hortense (III, p. 2), aurait appris la signification des violettes par la duchesse de Rovigo, invalidant ainsi l’affabulation de Doris.

Dans le courant du XIXe siècle, s’ajouta une explication plus romantique d’un souvenir de la première rencontre entre Napoléon et Joséphine, puis d’un gage de leur attachement aux anniversaires de mariage. Encore plus légendaire, elle est aussi d’une origine plus obscure. Elle aura certainement soutenu le commerce de la violette qui connut un véritable succès pendant tout le XIXe siècle, et qui fut l’une des fleurs favorite de l’impératrice Eugénie.

Ainsi éclosent et poussent les légendes fleuries…

François Houdecek, responsable des projets spéciaux de la Fondation Napoléon (22 mars 2024)

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