Une chronique de Jean-Denis Laffite – Découverte d’une sépulture oubliée d’un vétéran napoléonien à Cons-la-Grandville (Meurthe-et-Moselle)

Auteur(s) : LAFFITE Jean-Denis
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Une chronique de Jean-Denis Laffite – Découverte d’une sépulture oubliée d’un vétéran napoléonien à Cons-la-Grandville (Meurthe-et-Moselle)
Supra - Fouille de la tombe et de l’inhumation du vétéran J.-J. Zentz. © F. Verdelet
Infra - Reconstitution en laboratoire du squelette complet du vétéran J.-J. Zentz. © F. Adam
Jean-Denis Laffite, INRAP
Jean-Denis Laffite, INRAP

En mai 2021, une tombe contenant un squelette a été mise au jour, parmi d’autres inhumations, au pied de l’église paroissiale, lors d’une opération de diagnostic archéologique réalisée par l’Inrap. Ce cimetière, désaffecté depuis 1896, a perdu ses pierres tombales vers 1950 lors de la réfection du monument, rendant ainsi les tombes anonymes. Seule particularité, l’individu âgé portait une médaille de Sainte-Hélène. Après étude, il s’agit bien d’une sépulture de vétéran napoléonien découverte par hasard. Celle-ci est remarquable car elle a conduit à l’identification d’un ancien capitaine de la Garde impériale du Ier Empire, officier de la Légion d’honneur, mort à 89 ans dans ce village où il a vécu.

 

Une médaille militaire, un indice distinctif

Avers de la médaille de Sainte-Hélène découverte sur l’inhumation du vétéran ancien capitaine de la Garde Impériale décernée en 1857 (objet en bronze oxydé).© JD-Laffite
Avers de la médaille de Sainte-Hélène découverte sur l’inhumation du vétéran ancien capitaine de la Garde Impériale décernée en 1857 (objet en bronze oxydé).© J.-D. Laffite

Le défunt décédé en 1876 a été allongé dans un cercueil, ses bras remontés sur la poitrine. La terre de la tombe effondrée a légèrement écrasé et scellé ce squelette. Aucun objet vestimentaire n’a été récolté, mis à part deux petits boutons de chemise. Le mort a été mis en bière en chemise de nuit. À cette époque, le dépouillement est de règle, seules les médailles religieuses ou crucifix sont admis dans le rite catholique. Le fait exceptionnel qui a retenu l’attention des archéologues, est la présence d’une médaille en bronze, portée du côté gauche. Des fragments de ruban attaché à cette médaille, ainsi qu’une épingle, ont également été récupérés contre les os. Il s’agit de la fameuse médaille « de Sainte-Hélène » frappée en 1857 par Napoléon III, suite au testament de Napoléon Ier mort en 1821. Elle fut décernée à tous les anciens survivants des armées qui ont combattu pour la France de 1792 à 1815. Généralement la famille gardait ce souvenir honorifique. Ici, le défunt a dû exprimer la volonté d’être inhumé avec un souvenir qui lui était cher. Cet objet l’identifie comme un « Compagnon de Gloire » de l’Empereur. C’est sa seule présence qui a permis son identification, à la suite de recherches réalisées dans les archives historiques locales et militaires au Service Historique de la Défense.

L’identité du corps exhumé

Jean-Jacques Zentz (1787-1876) a été en effet inhumé avec un souvenir rappelant sa vie militaire passée. Il a participé aux guerres napoléoniennes durant neuf années de service dans la Garde impériale. Il est d‘origine allemande, né à Coblence, naturalisé français. Il s’est engagé en 1806 à 19 ans, dans le corps des vélites du régiment de grenadiers à pied de la Garde, passant ensuite chez les tirailleurs. Il a parcouru toute l’Europe de l’Allemagne à l’Autriche, de la Russie à l’Espagne, suivant la Grande armée, et a participé à de grandes batailles. Il est promu capitaine et décoré de la Légion d’honneur en 1813. Après la défaite de Waterloo, il suit l’Armée de la Loire à Montluçon avec le colonel Pailhès, puis il rejoint la Légion de Moselle à Longwy. Il est finalement mis à la retraite en « demi-solde » fin 1816. Il tenta de réintégrer la Garde nationale en 1830, sans succès. Il a obtenu enfin une place de percepteur, dans le secteur de Longwy et réside à Cons où il retrouve une respectabilité. Il était connu localement pour posséder une collection d’uniformes napoléoniens, et on le surnommait « le vieux rhénan ». Ces caractères physiques décrits dans son dossier militaire sont cohérents avec ceux reconnus sur son squelette, confirmés par l’étude anthropologique, comme sa taille, sa robustesse et son nez massif.

Évocation du vétéran Zentz âgé, décoré de la médaille des « Compagnons de Gloire de Sainte-Hélène » et de la Légion d’honneur en tant qu’officier © Kevin Monin, Inrap
Évocation du vétéran Zentz âgé, décoré de la médaille des « Compagnons de Gloire de Sainte-Hélène » et de la Légion d’honneur en tant qu’officier © Kevin Monin, Inrap

Un militaire revenu des champs de bataille

Le capitaine Zentz a traversé les campagnes militaires parmi les plus meurtrières, mettant sa vie en danger lors de combats féroces soumis à la mitraille, aux corps à corps à la baïonnette, aux sabres ennemis, ou aux tirs des canons. Il n’a pas été épargné, bien entendu, comme en témoigne son squelette soumis à l’analyse. Plusieurs accidents osseux intéressants ont été identifiés, dont des fractures du nez, assez classique, d’une phalange de la main, ainsi qu’une entaille ossifiée au crâne pouvant provenir d’un probable coup de sabre porté sur le temporal droit. On sait par ailleurs, grâce à son registre d’officier qu’il a été blessé assez grièvement le 3 mars 1814 par « un coup de boulet » à l’abdomen, lors de la Campagne de France près de Troyes à l’affaire de Laubressel. Il a été certainement jeter à terre violemment et « laissé pour mort » (dixit Zentz), le ventre balafré. Mais son squelette ne présente que des traces indirectes en rapport avec cet évènement traumatique, dont un déplacement vertébral marqué qui a dû le faire souffrir lors de sa vieillesse. Néanmoins, quelques mois plus tard, toujours apte au combat grâce à sa forte constitution, il réintègre le 90e régiment de ligne lors de la 1re Restauration. Enfin, il est de nouveau rappelé en mai 1815 au 3e régiment de tirailleurs de la Garde, lors des Cents Jours pour batailler avec ses Compagnons de Gloire à Waterloo.

Tableau résumé de la carrière militaire du capitaine Zentz entre 1806 et 1816, dont neuf années de participation aux guerres napoléoniennes.). © JD-Laffite
Tableau résumé de la carrière militaire du capitaine Zentz entre 1806 et 1816, dont neuf années de participation aux guerres napoléoniennes.). © J.-D. Laffite

 

Jean-Denis Laffite (responsable d’opération Inrap Metz), en collaboration avec Frédéric Adam (archéo-anthropologue), Franck Verdelet (archéologue).

 Metz, 23 septembre 2022

Jean-Denis Laffite est archéologue ingénieur de recherche à l’Inrap à Metz, responsable d’opérations archéologiques en Lorraine, pour les périodes antiques, médiévales et modernes, essentiellement sur les sites castraux et Monuments Historiques. Il est membre du PCR d’archéo-numismatique en Lorraine « Monelor » et passionné par l’archéologie des paysages, l’étude des archives historiques et la généalogie.

► Télécharger le dépliant explicatif mis à disposition du public durant les Journées européennes du Patrimoine 2022

consultez le dossier thématique « Vivre et mourir dans la Grande Armée » (2023)

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