Une chronique de Peter Hicks : Lewis Gideon/Solomon et son récit de l’exhumation de Napoléon

Auteur(s) : HICKS Peter
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Comme le note Michel Martineau dans son ouvrage reconnu Chroniques de Sainte-Hélène, Atlantique Sud (Perrin, 2011), la famille Solomon – devenue Gideon pour la génération des enfants de Lewis – a marqué près de 200 ans de l’histoire de l’île. Propriétaires de la principale boutique de l’île pendant la captivité de Napoléon (1815-1821), ils ont été naturellement profondément impliqués dans les affaires de Longwood, notamment lors de la vente de l’argenterie impériale par Napoléon en 1816. Leur boutique-salon est alors le lieu de détente habituel des officiers de la marine et de l’armée britannique, et souvent le forum des commérages napoléoniens. Et les Solomon semblent avoir été assez bienveillants envers Napoléon, jusqu’à participer à l’exfiltration de sa correspondance clandestine vers l’Europe. Via eux, des lettres codées pour Napoléon arriveront également à Sainte-Hélène (la femme de Gideon était liée à Lewis Goldsmith qui avait publié les lettres dans son journal The AntiGallican). Néanmoins, jusqu’ici, aucun document écrit de leurs propres mains ne nous était parvenu. En conséquence, la découverte d’une lettre inédite de Lewis Gideon/Solomon décrivant en détail les événements entourant l’exhumation de la dépouille de Napoléon en 1840 est doublement enthousiasmante pour les historiens s’intéressant à Sainte-Hélène.

Une chronique de Peter Hicks : Lewis Gideon/Solomon et son récit de l’exhumation de Napoléon
© Fondation Napoléon / Rebecca Young

Quinze jours après les grands événements d’État liés à l’exhumation de Napoléon, Lewis Gideon écrit à un de ses amis, le capitaine de marine, John Pillon. Entre autres nouvelles liées aux affaires et à la famille, il lui fait un récit complet des événements extraordinaires : il énumère les VIP présents (le fils du roi de France à Sainte-Hélène, rien de moins !) et narre le rendez-vous à minuit pour ouvrir le tombeau, ainsi que l’extraction des cercueils de l’Empereur dix heures plus tard. Enfin, il décrit à son destinataire le très bon état de conservation du corps de Napoléon, le défilé du cortège funèbre jusqu’à Jamestown et le transfert sur la frégate la Belle Poule en vue du retour des cendres de Napoléon en France.

Il existe déjà une rare brochure publiée à Sainte-Hélène, fin 1840 – c’est-à-dire presque contemporain de la lettre. Elle a d’ailleurs été numérisée par la Fondation Napoléon. Étant donné :
– les similitudes entre les deux récits ;
– la préface imprimée dans laquelle l’auteur anonyme dit qu’il a publié ce récit parce que certaines personnes l’y ont encouragé à la lecture de ses écrits sur le sujet ;
– le fait que les Solomon avaient la seule presse de l’île ;
– et que les deux frères Solomon (Lewis et Saul) à eux seuls avaient acheté plus d’exemplaires presque que tous les autres contributeurs à la publication réunis, il serait tentant de penser que l’auteur anonyme de la brochure était Lewis Gideon… Ceci n’est qu’une hypothèse malheureusement improuvable en l’état. Mais la lettre est privée et comprend donc de délicieux détails peu destinés à une publication publique.

Lewis note l’ironie du fait que tout au long des événements d’octobre 1840, Napoléon a été qualifié d’empereur, un titre qui lui avait été refusé par le gouvernement britannique, 19 ans plus tôt. Il rapporte également fièrement que c’est sa fille aînée qui, avec l’aide de quelques autres camarades, a fabriqué un drapeau français en soie et en crêpe (la bande rouge a été réalisée en crêpe de Chine à cause du manque de soie rouge) de six mètres de long. Il déclare même qu’elle a reçu un somptueux bracelet, serti de rubis, de perles et d’une émeraude (rien que ça !).
Plus intéressant pour les historiens, Lewis note que, lors de cet événement de renommée internationale, les habitants de l’île ont été traités comme des citoyens de seconde zone. Car bien qu’initialement invités à participer à la procession à Alarm House (L’invitation officielle est d’ailleurs publiée dans la brochure citée ci-dessus), et une fois qu’ils ont été prêts, ces « badauds » ont été évacués des lieux manu militari. Lewis glisse par ailleurs tristement à son ami que les 300 £ donnés par le roi de France Louis-Philippe aux nécessiteux de Sainte-Hélène étaient indispensables vu le niveau d’imposition fort élevés.

Voilà décidément un document fascinant, dont la connaissance nous parvient fortuitement à l’occasion d’une mise aux enchères. Qui sait quels autres joyaux d’archives se cachent dans les collections privées ?

► Lire la lettre de Lewis Gideon à son ami le capitaine John Dillon (Lettre du 30 octobre 1840)

Peter Hicks
Avril 2022

Peter Hicks est chargé d’affaires internationales à la Fondation Napoléon.

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