Une chronique de Peter Hicks « Quelle était la « bande-son » de l’époque ? Recréer le vaudeville politique napoléonien »

Auteur(s) : HICKS Peter
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Le théâtre politique (comme le Théâtre des Deux Ânes à Paris) a prospéré en France après la chute de Robespierre, en juillet 1794. C’est un fait peu connu et ce depuis longtemps. On ignore par exemple qu’à peine trois semaines après le coup d’État de Brumaire, un spectacle musical (vaudeville) intitulé La journée de Saint-Cloud a été mis en scène pour célébrer et accompagner cet événement marquant. Il faut dire que presque toutes les salles parisiennes se mirent au diapason, voulant proposer à leur public quantités d’impromptus (beaucoup ne seront cependant pas joués) pour célébrer le « héros sauveur de la France ». Parmi ceux-ci, il y eut donc La journée de Saint-Cloud joué à l’Opéra-Comique.

Cette « pièce de circonstance » débute par la réunion d’un groupe de mariniers fêtant le verre à la main la prise de pouvoir de Bonaparte. Dans cette allégorie, résonnent les paroles suivantes : « Le guerrier… son nom, je pense / Vous est bien connu. / À ce héros qu’on n’a jamais vaincu, / Honneur, gloire et salut ! / Le repos nous est rendu, / L’espoir du méchant est déçu, / Les factieux ont vécu ». L’allégorie est donc plus qu’explicite. On chante la gloire de Bonaparte.

© Gallica/BnF

Mais à quoi ressemblaient exactement ces spectacles ? Difficile à dire. Il n’existe évidemment pas d’enregistrements, et aucun de ces vaudevilles n’est encore joué aujourd’hui. De telles productions étant bien sûr éphémères, changeant au gré de la politique, c’est pourquoi elles n’ont guère laissé de traces. Quant aux livrets, bien qu’imprimés, ils ne semblent pas avoir été conçus pour que l’on puisse rejouer ces pièces mais plutôt pour aider les spectateurs à suivre l’intrigue. Partant, interpréter à nouveau les chansons du vaudeville, relève d’un difficile pari.

À moins d’être doué pour le chant à vue (ce qui est tout à fait possible ; les chanteurs de l’époque étaient habitués à cette gymnastique intellectuelle), il vous faut d’abord réécrire une partition musicale. Si les paroles des chansons étaient imprimées sans notes, il est toutefois possible de connaître la mélodie qui les accompagnait grâce l’indication suivante contenue dans le titre « sur l’air de ». Fort heureusement, la plupart des mélodies populaires ont été recensées dans un volumineux (et onéreux) livre appelé Clé du Caveau (du nom du cabaret appelé le Caveau) « à l’usage de tous les chansonniers français, des amateurs, auteurs, acteurs du vaudeville & de tous les amis de la chanson ».

Cette Clé du Caveau possède un index permettant de retrouver rapidement et facilement l’air recherché parmi plus d’un millier. Pour La journée de Saint-Cloud, la mélodie citée dans le titre correspond à Connaissez-vous l’amiral Anson, ou Tout le long, le long de la rivière et peut-être lue au numéro 104 de la Clé du Caveau. Mais après cette étape, faut-il encore pouvoir adapter les paroles à la mélodie (tâche difficile à l’époque – comme le notait Jean-Jacques Rousseau– et encore plus aujourd’hui, éloignés que nous sommes de la prosodie formelle). Enfin, dernier travail, il est nécessaire d’harmoniser la ligne mélodique de l’air, même si les claviéristes de l’époque se contentaient probablement d’improviser des harmonies. Pour restituer un vaudeville napoléonien, les étapes sont donc longues et complexes, ce qui explique sans doute pourquoi ce type de comédie musicale politique a été oublié depuis environ deux cents ans.

Dans le cadre de notre cycle de conférences musicales, dont l’objectif est de permettre d’entendre ce que nous pourrions appeler la bande sonore de l’époque napoléonienne au public du XXIe siècle, nous avons souhaité recréer dix chansons et cinq musiques de scène des vaudevilles qui ont été jouées au moment du coup d’État de Brumaire (La girouette de Saint-Cloud, La journée de Saint-Cloud, etc.). Pour cela, il nous a donc fallu produire les partitions des chansons, placer les mots sous les notes aussi logiquement que possible, et harmoniser les chansons dans le style de l’époque, en ajoutant des instruments à cordes et des percussions.

© Gallica/BnF

Ces partitions seront interprétées lors de la conférence musicale de Paola Perazzolo, professeur associée en littérature française à l’université de Vérone, du 14 décembre 2023 à l’Église Saint-Georges à Paris. Ainsi, pour la première fois sans doute depuis 224 ans, il sera permis de se faire une idée de ce qu’entendirent les contemporains de Bonaparte en novembre-décembre 1799. À n’en pas douter, ces vaudevilles ont été l’une des toutes premières illustrations d’une communication politique au théâtre visant à installer un nouveau régime tout en faisant oublier les précédents.

► Plus d’informations sur la conférence musicale de Paola Perazzolo en suivant ce lien.

► Paola Perazzolo a publié dans la Revue italienne d’études françaises un article sur « Les « Journée[s] de Saint-Cloud » : les pièces de circonstance autour du coup d’état du 18 Brumaire ».

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