Une chronique de Pierre Branda : la lente agonie d’un monument national mais de papier…

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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Le rouge et le gris viennent de disparaitre en ce début d’année 2023. Seul reste le vert. À leur place, des lettres prépayées sont devenues quasi-prépondérantes. Il s’efface donc, notre vieux timbre-poste, victime collatérale d’un progrès qui ne le concerne plus. Il est vrai qu’à l’heure des réseaux sociaux et des courriels, le timbre paraît si archaïque. Le courrier s’effondre, d’où sa lente et inéluctable agonie. Si plusieurs timbres viennent de disparaître le 1er janvier, leur lointain ancêtre était né aussi un 1er janvier, mais en 1849, sous la présidence d’un certain Louis-Napoléon Bonaparte. Il était alors synonyme de progrès. La figurine – c’est par ce terme que l’on désigne la figure postale – était une Marianne qui sera remplacée trois ans plus tard par l’effigie du nouvel empereur.

Une chronique de Pierre Branda : la lente agonie d’un monument national mais de papier…
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

Longtemps, le prix d’envoi d’une lettre était déterminé selon la destination et le poids. Les agents de l’administration des Postes appliquaient ainsi des grilles de calculs aussi complexes qu’onéreuses, ce qui engendrait de longues files d’attente (déjà) dans les bureaux de collecte du courrier. Une autre particularité postale caractérisait la France de la première moitié du XIXe siècle : l’expéditeur ne payait pas l’affranchissement, laissant le soin au destinataire de le régler. Point d’avarice dans ce geste, on pensait alors qu’en n’affranchissant pas son envoi, il y avait plus de chance que les agents postaux en prennent soin, ne l’égareraient donc pas, dans l’espoir d’être payés. Pas si bête pourrait-on écrire… Nous avons tous été victimes un jour ou l’autre de courrier égaré pourtant réglé par avance. En 1847, à peine 10 % du courrier était-il ainsi affranchi.

Sur le modèle anglais, on voulut développer le trafic postal. Pour cela, il fallait simplifier les tarifs et pourquoi pas décider d’un tarif unique. On décida d’une valeur de timbre de 20 centimes pour envoyer partout en France tous les plis ne dépassant pas 7,5 grammes. Si affranchir une lettre fut rendu ainsi plus commode, subsistait encore le problème de l’affranchissement par l’expéditeur. Il restait possible – et ce le fut le cas longtemps – d’envoyer une lettre sans timbre. Pour décourager cette pratique, il fut décidé que toute lettre non timbrée coûterait plus cher que celles qui porteraient la figurine de l’Empereur. En 1853, pour le courrier de Paris à Paris, le prix d’une lettre affranchie passa de 15 à 10 centimes. Avec un écart de prix de 50 %, cette incitation – suivie par d’autres sur le plan national ou local – poussa progressivement les Français à coller un timbre sur leurs correspondances.

En 1880, la vieille habitude de ne pas payer son envoi avait en effet quasi disparu avec un taux d’affranchissement atteignant les 99 %. Dans le même temps, le trafic postal explosa, passant d’un total de 126 000 lettres envoyées en 1847 à près de 580 000 en 1882. Le timbre-poste régnait alors en maître. S’il progressa encore par la suite, en nombre mais aussi en diversité de figurines, pour la plus grande joie des collectionneurs, il commença à décliner avec l’apparition des machines à affranchir dans les entreprises. Une simple oblitération éclipsa ainsi nos vieilles figurines. Puis, il y eut la diminution du trafic postal pour les causes que l’on connaît tous bien. Le timbre postal se meurt donc. Restera peut-être la philatélie, du moins peut-on l’espérer. Qui n’a en effet jamais admiré un beau timbre ? La question ne se pose point hélas pour tous les autres supports de correspondance, qu’ils soient papiers ou numériques, tant ils sont dénués de poésie.

Pierre Branda
Avril 2023

Pierre Branda est directeur scientifique de la Fondation Napoléon.

Pour aller plus loin : avec l’article « L’empire postal des Bonaparte », par Grégory Aupiais

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