L’idée était donc simple : en inondant les territoires occupés par les Autrichiens de fausse monnaie, Napoléon espérait créer une panique économique et dévaluer la monnaie autrichienne. Fouché, le ministre de la Police, pourtant censé lutter contre la fausse monnaie d’où qu’elle vienne, les faux-monnayeurs encourant d’ailleurs la peine capitale, fut donc chargé d’organiser des ateliers clandestins pour imprimer de faux billets de la banque de Vienne, les Banco-Zettel. On en fabriqua pour environ 40 millions de florins, ce qui était considérable. Tandis que la monnaie autrichienne se voyait déjà dépréciée, l’introduction de cette masse de faux billets acheva de déconsidérer cette monnaie. L’impact de ce faux-monnayage fut ainsi immédiat, la perte de confiance dans les Banco-Zettel devenant définitive. En 1811, François l’Empereur d’Autriche fut d’ailleurs contraint de les retirer de la circulation. Jamais une fausse monnaie n’avait autant sapé l’existence de la bonne. Il faut dire que l’on avait soigné la qualité des faux billets. Une fois imprimés et revêtus de fausses signatures, les fausses coupures étaient jetées sur un sol poussiéreux, ce qui leur donnait une « teinte cendrée » faisant croire qu’elles avaient beaucoup circulé de mains en mains.
Après cette première réussite, Napoléon ne s’arrêta pas en si bon chemin. Il eut l’idée de contrefaire des billets de la Banque d’Angleterre, des roubles russes puis encore d’autres billets autrichiens en 1813, avec moins de succès toutefois. La qualité ne fut pas toujours au rendez-vous, les billets en roubles étant entachés de plusieurs fautes d’orthographes. Après Fouché, ce fut le nouveau ministre de la Police, Savary qui fut chargé des opérations de contrefaçons. Mais cette importante activité clandestine attira justement l’attention de… sa propre police. Suspectant une entreprise criminelle, un commissaire fit une perquisition plutôt musclée dans l’imprimerie clandestine parisienne de l’Empereur située 25 boulevard du Montparnasse. Après avoir molesté quelques-uns des faussaires d’État, le commissaire se rendit compte de son erreur et arrêta là bien vite ses investigations. La fabrication put alors reprendre normalement son cours.
En 1809, Napoléon avait bien recommandé à son ministre que toute l’opération se fasse « avec secret et mystère ». Il fut très bien écouté et compris. En 1814, Louis XVIII commanda à son directeur de la Police Beugnot un rapport secret sur la fausse monnaie émise sur ordre de l’Empereur entre 1809 et 1813. Malgré une enquête très fouillée, ce dernier ne put guère renseigner son monarque : « Les éléments, écrit-il dans son rapport, dont on aurait besoin n’existent plus. Les livres où l’on aurait pu puiser des renseignements utiles ont été anéantis ; enfin, il ne reste aucun vestige, aucune trace de cette comptabilité si importante ». Napoléon Ier fut donc un faux monnayeur aussi discret qu’efficace et qui surtout ne fut jamais puni, un exemple rare parmi les faussaires.
Pierre Branda, directeur scientifique de la Fondation Napoléon (février 2025)
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