Une chronique de Pierre Branda : « Napoléon Ier plus grand faux-monnayeur de l’Histoire ? »

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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Dans son récent et savoureux essai Histoire de la fausse monnaie en France. Des Gaulois à nos jours paru aux éditions du Cerf, Arnaud Manas, directeur du patrimoine à la Banque de France, répond par l’affirmative à cette question : « Napoléon Ier, plus grand faux-monnayeur de l’Histoire ? ». Les manipulations monétaires de l’Empereur, à commencer par celles qu’il organisa contre l’Autriche, furent en effet d’une ampleur inégalée. En 1809, après sa victoire sur les Autrichiens à Wagram, Napoléon chercha à frapper encore plus durement son adversaire. Ainsi ordonna-t-il la fabrication de faux billets de banque autrichiens à grande échelle. A Fouché, en septembre 1809, il écrit : « Je désire que vous montiez une fabrication de ces billets de toutes les valeurs, jusqu’à la concurrence de 100 millions. Il faudrait monter une machine qui pût en fabriquer 10 millions par mois. C’est avec le papier-monnaie que la maison d’Autriche a pu me faire la guerre ; c’est avec le papier-monnaie qu’elle pourra encore me la faire. Cela étant, il est de ma politique, en temps de paix comme en temps de guerre, de détruire ce papier-monnaie et d’obliger l’Autriche à revenir au système du numéraire, qui, par sa nature, la mettra dans la nécessité de réduire son armée et les dépenses folles par lesquelles elle a compromis la sûreté de mes États ».

Une chronique de Pierre Branda : « Napoléon Ier plus grand faux-monnayeur de l’Histoire ? »
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

L’idée était donc simple : en inondant les territoires occupés par les Autrichiens de fausse monnaie, Napoléon espérait créer une panique économique et dévaluer la monnaie autrichienne. Fouché, le ministre de la Police, pourtant censé lutter contre la fausse monnaie d’où qu’elle vienne, les faux-monnayeurs encourant d’ailleurs la peine capitale, fut donc chargé d’organiser des ateliers clandestins pour imprimer de faux billets de la banque de Vienne, les Banco-Zettel. On en fabriqua pour environ 40 millions de florins, ce qui était considérable. Tandis que la monnaie autrichienne se voyait déjà dépréciée, l’introduction de cette masse de faux billets acheva de déconsidérer cette monnaie. L’impact de ce faux-monnayage fut ainsi immédiat, la perte de confiance dans les Banco-Zettel devenant définitive. En 1811, François l’Empereur d’Autriche fut d’ailleurs contraint de les retirer de la circulation. Jamais une fausse monnaie n’avait autant sapé l’existence de la bonne. Il faut dire que l’on avait soigné la qualité des faux billets. Une fois imprimés et revêtus de fausses signatures, les fausses coupures étaient jetées sur un sol poussiéreux, ce qui leur donnait une « teinte cendrée » faisant croire qu’elles avaient beaucoup circulé de mains en mains.

Après cette première réussite, Napoléon ne s’arrêta pas en si bon chemin. Il eut l’idée de contrefaire des billets de la Banque d’Angleterre, des roubles russes puis encore d’autres billets autrichiens en 1813, avec moins de succès toutefois. La qualité ne fut pas toujours au rendez-vous, les billets en roubles étant entachés de plusieurs fautes d’orthographes. Après Fouché, ce fut le nouveau ministre de la Police, Savary qui fut chargé des opérations de contrefaçons. Mais cette importante activité clandestine attira justement l’attention de… sa propre police. Suspectant une entreprise criminelle, un commissaire fit une perquisition plutôt musclée dans l’imprimerie clandestine parisienne de l’Empereur située 25 boulevard du Montparnasse. Après avoir molesté quelques-uns des faussaires d’État, le commissaire se rendit compte de son erreur et arrêta là bien vite ses investigations. La fabrication put alors reprendre normalement son cours.

En 1809, Napoléon avait bien recommandé à son ministre que toute l’opération se fasse « avec secret et mystère ». Il fut très bien écouté et compris. En 1814, Louis XVIII commanda à son directeur de la Police Beugnot un rapport secret sur la fausse monnaie émise sur ordre de l’Empereur entre 1809 et 1813. Malgré une enquête très fouillée, ce dernier ne put guère renseigner son monarque : « Les éléments, écrit-il dans son rapport, dont on aurait besoin n’existent plus. Les livres où l’on aurait pu puiser des renseignements utiles ont été anéantis ; enfin, il ne reste aucun vestige, aucune trace de cette comptabilité si importante ». Napoléon Ier fut donc un faux monnayeur aussi discret qu’efficace et qui surtout ne fut jamais puni, un exemple rare parmi les faussaires.

Source : Arnaud Manas, Histoire de la fausse monnaie en France. Des Gaulois à nos jours, Les éditions du Cerf, 2025.

Pierre Branda, directeur scientifique de la Fondation Napoléon (février 2025)

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