Une chronique de Thierry Lentz : L’ « affaire » rebondissante du burnous de Napoléon

Auteur(s) : LENTZ Thierry
Partager

Le prince de Galles et héritier de la couronne d’Angleterre fêtera ses 70 ans le 14 novembre prochain. Pour marquer l’événement, le Palais de Buckingham a accueilli cet été une exposition regroupant les œuvres favorites de cet ami des arts reconnu intitulée : Prince and patron (à traduire par Prince et mécène, « patron » étant ici ce qu’on appelle un faux-ami). Parmi les pièces présentées, l’une des préférées du prince Charles est, a-t-on dit, un « burnous » (long manteau berbère avec capuche pointue) richement brodé, réputé avoir été pris dans les bagages de Napoléon à la fin de la bataille de Waterloo. Les organes de presse des deux côtés de la Manche ont repris telle quelle l’information officielle du Palais. Pour la énième fois, car cette affaire-là rebondit -comme tant d’autres- périodiquement. Paris Match, par exemple, interrogeait : « Que fait le Burnous de Napoléon chez la reine d’Angleterre ? ». Excellente question.

Une chronique de Thierry Lentz : L’ « affaire » rebondissante du burnous de Napoléon
Thierry Lentz © Eric Frotier de Bagneux

Disons immédiatement que l’objet figure bien dans les collections royales, sous le numéro RCIN 61156, et y est bien répertorié comme ayant été pris à Waterloo par les Prussiens puis offert ensuite par le maréchal Blücher au Prince Régent, futur George IV. C’est ce qu’on appelle un argument d’autorité qui explique que, chaque fois qu’il est question d’elle, cette cape de tradition berbère dont on nous dit toutefois qu’elle fut « probablement » fabriquée en France entre 1797 et 1805, appartenait bien à l’Empereur qui l’emporta dans ses bagages pour la campagne de Belgique… avec le résultat que l’on sait. Là, on devrait dire plutôt : qu’on croit savoir ou, mieux, que l’on a toujours cru savoir.

Loin de moi l’idée de mettre en cause les compétences, le savoir-faire, en un mot la science des conservateurs de la collection royale d’Angleterre. Mais concernant cette pièce, je ne suis pas totalement certain qu’il y ait jamais eu la moindre étude sérieuse sur ce burnous. Je me permets donc ici de mettre en doute, jusqu’à preuve du contraire, qu’il ait été pris à Waterloo et j’émets celui que Napoléon ait jamais possédé ce type de vêtement.

Sur le deuxième point, il faut rappeler que l’inventaire des vêtements, linges, draps et même mouchoirs utilisés par l’Empereur était rigoureusement tenu, vérifié et estampillé par sa Maison. Dans le livre de référence qu’il a consacré à cette institution, notre ami Pierre Branda a montré que Napoléon lui-même y attachait une grande importance et passait du temps à relire ses inventaires (Les Hommes de Napoléon. La Maison de l’Empereur, Fayard). Ce que nous en savons nous permet de dire aujourd’hui : macache burnous !

Burnous / Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2018

Comme les conservateurs britanniques disent qu’un « N » est brodé de fil d’or à l’intérieur, si cette marque est authentique (ce que des experts en tissus impériaux pourraient sans doute dire), il pourrait à la rigueur s’agir d’un cadeau venu d’Afrique du Nord, à l’occasion de quelque contact avec le roi du Maroc, les beys de Tunis, d’Alger et de Tripoli ou autres. Ainsi s’expliquerait son absence des inventaires du linge et des habits. Mais, dans ce cas, on voit mal le valet de chambre Marchand emporter dans les bagages de son maître ce somptueux et encombrant tissu bien inutile dans le contexte. En effet, à quoi aurait bien pu servir ce « burnous » pas même venu d’Égypte en cas de prise de Bruxelles. La capitale du futur royaume de Belgique comptait à l’époque bien moins de Berbères ou de descendants de Berbères qu’aujourd’hui.

Sur l’hypothèse d’une prise dans les voitures et fourgons de l’Empereur, on peut être plus catégorique. À l’occasion d’une grande exposition organisée en 2012 au Musée de la Légion d’Honneur, un petit bataillon de chercheurs s’est penché sur le « butin » récupéré par les Prussiens (on n’ose dire que les commissaires leur firent « suer le burnous » pour parvenir à un résultat scientifiquement satisfaisant). Leurs travaux ont été publiés dans La Berline de Napoléon. Le mystère du butin de Waterloo (Albin Michel).

Pour résumer, il en ressort qu’aucun burnous n’y figurait. Ni Marchand, ni Ali n’en parlent dans leurs Mémoires, pas plus que les Prussiens qui en ont laissés. Pas un seul document d’archives ne décrit une telle « cape » qui aurait sans doute attiré l’attention des officiers prussiens qui présidèrent au pillage. La seule mention qui pourrait y faire penser figure dans une lettre de Blücher à sa femme qui lui annonce que, parmi d’autres choses (dont le chapeau exposé aujourd’hui au Musée de l’Histoire de l’Allemagne de Berlin), on a saisi un « manteau d’apparat richement brodé ». Aucune autre précision n’est donnée et le fameux manteau n’a plus jamais figuré dans la documentation Blücher. S’il a existé, il peut fort bien s’agir d’un manteau « impérial », comme l’empereur en emportait souvent dans ses déplacements (ainsi que ses décorations, saisies, elles, à Waterloo) pour le cas où il aurait dû le revêtir pour une cérémonie non-militaire. Quant aux objets que Blücher aurait offerts au Prince Régent, il semble bien qu’il n’y en ait eu aucun, les éléments récupérés par les Anglais (essentiellement la dormeuse longtemps exposée au musée Tussaud) furent offerts par l’officier von Zeller qui s’en était saisi à titre personnel après la bataille. Ici aussi, les éléments historiques permettent de conclure : re-macache burnous !

Alors, d’où vient cette pièce exotique ? À part qu’elle ne figurait sans doute pas dans les bagages de Napoléon pillés à Waterloo, nous n’en savons rien. A-t-elle été prise plus tard par les hommes de Blücher, lors de l’occupation de Paris ? A-t-elle été attribuée à Napoléon de façon fantaisiste, pour les besoins de ses Mémoires (dans l’ensemble assez peu fiables) par un aide de camp de Blücher, von Nostitz, qui l’évoque au moment des obsèques de Wellington, en 1852 ? Sort-elle d’un musée de « curiosités » comme celui qu’exploitait William Bullock sous le nom d’Egyptian Hall, dont le propriétaire vendit la collection pour régler ses dettes, y compris en « fourguant » des faux (ou des « presque vrais ») à gauche et à droite ? On ne saurait trancher sans une étude plus approfondie des conservateurs des collections royales, tant dans leurs papiers que sur l’origine des tissus, des broderies, comprenant une datation certaine et une hypothèse de fabrication.

Évidemment, nous accueillerons avec plaisir toutes les précisions documentées que nos lecteurs voudront bien nous faire parvenir.

Thierry Lentz, historien, directeur de la Fondation Napoléon / septembre 2018

 

Articles et Ouvrages cités :

Pierre Branda, Les Hommes de Napoléon. La Maison de l’Empereur, Fayard, 2011

La Berline de Napoléon. Le mystère du butin de Waterloo, Albin Michel, 2012

« Mais que fait le burnous de Napoléon Ier chez la reine d’Angleterre », Paris Match, 31 mars 2018

La fiche présentant le Burnous sur le site du Royal Collection Trust (en anglais)

 

Titre de revue :
inédit
Mois de publication :
Septembre
Année de publication :
2018
Partager