Une chronique de Thierry Lentz : l’intégration des Juifs de France : un héritage de l’Empire

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Dans sa politique intérieure, une des gloires de Napoléon Ier est d’avoir parachevé l’unité nationale, par la centralisation (qui était alors indispensable), par la recréation de corps intermédiaires que la Révolution avait supprimés (Légion d’honneur, notables, chambres de commerce, etc.) et par la paix intérieure, dans l’Ouest et sur les questions religieuses.

Une chronique de Thierry Lentz : l’intégration des Juifs de France : un héritage de l’Empire
Thierry Lentz © Eric Frotier de Bagneux

Dans ce dernier domaine, outre la restauration sous le contrôle de l’État de la religion catholique romaine (en dépit du conflit avec la Papauté), la création de structures pour les cultes protestants et l’affirmation de la non-confessionnalité de l’État dans le Code civil, il poursuivit ce travail systématique avec l’intégration concrète et définitive (il disait : l’assimilation) des Juifs de France. Notre dossier de cette semaine est consacré à ces décisions prises après deux consultations majeures : celle d’une assemblée des notables juifs et celle d’un Grand Sanhédrin, composé de laïcs et de rabbins. Les premiers décrets d’application furent publiés le 17 mars 1808, il y a tout juste 201 ans.

Certes, on ne doit pas ignorer que l’ensemble de ce programme, destiné à rendre « pratique » et réelle l’émancipation de 1790-1791, visait à rétablir l’ordre public dans les régions de l’Est, où on avait frôlé les pogromes en 1805. Mais la spécificité de la démarche napoléonienne fut, même au prix de certaines injustices (moratoire sur les dettes, interdiction du remplacement des conscrits, etc…), de régler, une bonne fois pour toute et avec l’accord des intéressés, tout ce qui touchait à l’émancipation et à l’intégration. Et lorsqu’il n’y avait pas accord, l’État prenait ses responsabilités avec comme ligne de conduite l’intérêt général.

Ces décisions ont porté leurs fruits. Et, malgré l’antisémitisme de certains (trop nombreux et trop écoutés) au tournant des deux siècles passés, et malgré certaines complicités de l’Etat français (régime de Vichy) dans la Shoah, nos compatriotes juifs sont depuis, en droit et en réalité, partie intégrante de notre Nation. Tout en maintenant de fortes traditions cultuelles et culturelles, ils ont réussi, parce qu’ils l’ont voulu, à commencer par leurs instances religieuses, à appliquer et même à développer le programme napoléonien : liberté du culte dans le respect des lois et de la cohésion nationale.

Même imparfaits, les textes de 1808 furent une étape décisive sur le chemin de l’assimilation. D’ailleurs, à la chute de l’Empire, alors que Louis XVIII ne toucha pas à la législation de 1808 et que Louis-Philippe décida de la rémunération des rabbins par l’État (comme c’était le cas pour les prêtres catholiques et les pasteurs), les communautés juives de l’Est européen, désormais détachées de la France, envoyèrent des délégations au congrès de Vienne pour demander aux négociateurs de ne surtout pas les priver de la législation napoléonienne, ce qu’elles n’obtinrent que partiellement en Allemagne et pas du tout en Pologne administrée par la Russie.

Dans cette histoire de deux siècles – et à de nombreux égards bien antérieure puisque la présence des Juifs en France est immémoriale -, certains événements récents, insultes à nos compatriotes en raison de leur croyance, graffitis antisémites, profanations et exclusion de fait des élèves juifs de nombre d’établissements scolaires, soulèvent le cœur d’indignation et, plus qu’à réfléchir, incitent à agir.

Thierry Lentz

Mars 2019

Thierry Lentz est le directeur de la Fondation Napoléon

Retrouvez notre dossier thématique sur Napoléon Ier, le Grand Sanhédrin et l’intégration des juifs sous l’Empire

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