Une chronique de Valérie Durand et Élodie Lefort : « Dis, maman, c’est comment, de travailler avec Napoléon ? »

Auteur(s) : DURAND Valérie, LEFORT Élodie
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– « Hier, nous sommes tombés sur une grande affiche d’exposition illustrée du visage de Napoléon. Eh bien, tu ne sais pas ce que la petite a hurlé en pleine rue à sa copine qui était avec nous ?
– Tu me fais peur…
– “Hé, c’est Napoléon ! Ma maman travaille avec lui.”. Presque, ma chérie, presque.
– Ah. La mienne, c’était il y a quelque temps déjà, elle devait avoir 18 mois, lors d’une inauguration d’exposition. Elle s’est mise à crier dans la salle “Mamaaaaaaan, il y a Napoléooooon !” La Fondation avait effectivement prêté une œuvre, en l’occurrence un pichet à l’effigie de l’Empereur. Ce n’est clairement pas la meilleure représentation de Napoléon, mais tout y est.
– Mais évidemment, le bicorne, l’uniforme et la main dans le gilet, à hauteur de bambin, c’est facilement identifiable. Un peu comme T’choupi, leur héros de la cour de récré en maternelle, dessiné de traits et de couleurs simples, pour être adoré des petits.
– En même temps, T’choupi est un manchot empereur. Coïncidence ? Je ne crois pas. Mais pour revenir à l’autre Empereur, eh bien déjà, “Lui, lui partout”, alors si en plus c’est “le travail de maman”… » Dialogue complice entre deux mamans, collègues, dans les couloirs de la Fondation Napoléon.

Une chronique de Valérie Durand et Élodie Lefort : « Dis, maman, c’est comment, de travailler avec Napoléon ? »
© Fondation Napoléon - Valérie Durand

À la maison, il y a toujours eu des livres : passion d’historiens, de littéraires. Cet objet du quotidien nous rassure, on y plonge facilement, il nous éduque et parfois nous bouleverse. C’est donc tout naturellement que les livres ont fait partie de la vie de nos enfants très tôt : les histoires du soir et les contes, les imagiers ou encore les livres musicaux ont peu à peu rempli nos étagères. L’enfant grandit et un beau jour arrive la question fatidique : « Et vous, papa, maman, vous faites quoi, comme métier ? ». Le papa étant infirmier, la réponse a été vite formulée : « papa soigne les bobos des autres » – facile à intégrer, donc vite balayée. En revanche, maman, ah… maman, vaste question. « Alors, ma chérie, maman travaille dans les musées, elle prépare et installe des objets précieux, parfois anciens et surtout ceux qui sont en lien avec un grand homme de l’Histoire de France qui s’appelle Napoléon. ». Vous pouvez à ce moment imaginer deux grosses billes bleues avides d’en apprendre davantage. Sur quels outils s’appuyer, à partir de ce moment. Heureusement, Pierre Branda venait de publier son ouvrage destiné aux enfants, un peu plus vieux qu’elle certes, mais joliment illustré. Il a longtemps été une de nos habituelles histoires du soir, et comme pour faire une mise à jour, on le lit de nouveau, et le voilà désormais passé entre les mains du petit frère. La base est donnée, il ne reste plus qu’à l’enrichir par des visites d’expositions et de monuments. Chaque visite est préparée en amont par le parent : se renseigner sur le propos, pour pouvoir éventuellement faire une petite visite privilégiée et savoir répondre aux questions qui vont forcément arriver. Ici, avant d’entrer dans les salles d’exposition quelques règles sont énoncées : « les enfants vous avez une mission, répondre à quelques questions quand nous rentrerons :
1) quelle(s) œuvre(s) vous a le plus plu ?
2) et pourquoi ?
Le mot d’ordre est d’ouvrir les yeux. ». En rentrant, une discussion est souvent entamée qui permet de préciser certains aspects qui paraissent flous. Ces techniques nous ont amenés à visiter des expositions avec nos enfants dès le plus jeune âge. Les codes sont ainsi ancrés (on ne crie pas, on ne court pas, on ne touche pas). Et de voir des médiateurs, des gardiens de salle, ouvrir de grands yeux lorsqu’ils entendent nos enfants s’exclamer : « ah maman, il y a un buste de Napoléon », ou encore « tiens, tu as vu la belle peinture de Joséphine ». C’est sûr qu’un petit bonhomme de 3 ans qui le dit tout fier, sans se tromper, cela a de quoi surprendre. Toutes les questions sont posées, des repères sont donnés et des souvenirs sont créés, et c’est bien là l’essentiel.
Les leçons d’Histoire, à proprement parler, ne sont pas dispensées dans les petites classes, avant le CE1. La notion d’Histoire elle-même est abordée progressivement. À l’âge de 6 ans, on comprend ce qu’est un anniversaire, on commence à avoir une notion plus précise des jours qui passent, des mois, des saisons. Le passé du monde, de l’humanité, ce qui précède sa propre existence, est encore une abstraction. Au mieux, le passé est associé à une imagerie forte, quand elle est très exploitée dans la culture populaire, et notamment enfantine : faites entrer ici les dinosaures… « Est-ce que Papy a déjà croisé un T-Rex, quand il était petit ? ». Je n’y étais pas, mais il paraît que non, mon enfant. C’est l’expérience tangible de l’espace et du temps, qui vient alors le mieux à notre secours. Quand l’Histoire devient une chasse aux trésors. Ici, un « N » ou des aigles sur un pont, là, l’Arc de Triomphe ranimé, et pendant qu’on y est, « mais maman, il y a toujours eu des numéros, dans les rues ? ». Le héros dont on raconte l’histoire, s’est un peu plus fait remarquer que les Durand et les Lefort, pour l’instant, à tel point qu’on retrouve l’ombre de son bicorne jusque dans des livres pour enfant dont il n’est même pas le sujet principal, même de loin.

"La Belle Lisse Poire du prince de Motordu", © Gallimard, 1980 ; "Les chouettes aventures de Ringo, Nénette et Napoléon : Une journée à la mer" © L'école des Loisirs, 2007 ; "Gentil, le dauphin" © Gautier-Languereau, 1974 : © Fondation Napoléon - Valérie Durand
« La Belle Lisse Poire du prince de Motordu », © Gallimard, 1980 ; « Les chouettes aventures de Ringo, Nénette et Napoléon : Une journée à la mer » © L’école des Loisirs, 2007 ; « Gentil, le dauphin » © Gautier-Languereau, 1974 : montage © Fondation Napoléon – Valérie Durand

Et il a laissé son empreinte dans notre environnement quotidien. Quand on visite la grotte de Lascaux, l’enfant voit et retient bien que d’autres hommes, autrefois, ont eux aussi laissé leur trace, et quelle trace. Mais pour éclairer la fresque de Monsieur Cro-Magnon de Montignac, pas d’allumette, seulement inventée en 1805, du temps de Napoléon. C’est un repère. Étape par étape, on peut ainsi commencer à ébaucher une chronologie relative, dans laquelle Napoléon, qui a vécu au même temps que l’arrière-grand-père de l’arrière-grand-père, est à portée de petite main. Enrichissez la chasse au trésor de visites au musée et de lectures en famille, et la méritante héritière commence vraiment à toucher du doigt ce qu’est « le sens de l’Histoire, ensemble ».

Ainsi, le bicentenaire de la mort de Napoléon a aussi été l’année de nos enfants. Forts et fiers, ils ont pu parler du travail de leurs mamans et de ce personnage si important qui anime leur quotidien quand elles ne sont pas avec eux. L’une a pu apporter un livre dans sa classe, l’autre a pu faire la véritable petite « visite guidée » d’une exposition à une copine, le dernier a arboré fièrement le bicorne de l’Empereur en costume. Puisque Napoléon est présent partout même jusque dans les Disney qu’ils peuvent regarder, laissons-lui le mot de la fin :


Mars 2022

Valérie Durand est responsable des réseaux sociaux de la Fondation Napoléon. Élodie Lefort est responsable des collections de la Fondation Napoléon.

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