Retour vers le Futur
D’ailleurs s’il glissait sa main dans son gilet, ce n’est pas pour d’obscures raisons de style, ni pour soulager de terribles maux d’estomac, mais pour jeter un œil régulier à son smartphone, vibrant de mille notifications dans la poche intérieure de son habit. Amusons-nous à l’imaginer…
Le caractère quasi-incontournable de Facebook dans le quotidien des internautes, qui y exposent leur vie et sont eux-mêmes exposés à la communication ciblée des marques ou des institutions, ne lui aurait pas échappé. On peut alors se figurer les millions de likes que collecteraient des images touchantes de l’Empereur en famille, ou le nombre considérable de “vues” qui seraient générées par une vidéo Facebook Live du Sacre du nouvel Empereur des Français en direct de Notre-Dame. Auparavant déjà, n’aurions-nous pas tous repris le cliché d’un fougueux général Bonaparte qui, soucieux de parfaire sa popularité et armé de son compte Instagram, aurait partagé un selfie grandiose devant les pyramides d’Égypte avec citation inspirante à la clé ? Sans aucun doute ! Ce réseau social est en effet celui de l’esthétique, de l’émotion et de l’influence, où on se met en scène avantageusement à travers des images filmées ou photographiées très préparées : l’outil parfait pour une propagande artistique que n’auraient pas reniée Ingres, Gros, Isabey ou Meynier. Joséphine y aurait été la parfaite « influenceuse mode ». L’Empereur, attentif à son e-réputation de “leader-prescripteur”, aurait pu livrer de précieux conseils en management sur LinkedIn, le réseau professionnel favori des cadres et dirigeants ultra-connectés. Et puisque Twitter est le média par excellence de l’information virale et immédiate, un mot-dièse #MassesDeGranit aurait battu tous les records de partage, lançant officiellement la communication du vaste projet institutionnel. Enfin, l’impérial célibataire aurait pu déterminer son choix de fiancée en consultant les profils d’Anna Pavlovna et de Marie-Louise sur l’application sociale de rencontre Tinder. Bien sûr après sa mort, c’est Las Cases qui aurait pris les manettes des divers comptes de l’Empereur, en bon Community Manager (responsable des réseaux sociaux)». Nous nous égarons peut-être…
Napoléon tissant sa toile, d’hier à demain
Certes sans la 4G et le Wifi, l’Empereur trouva pourtant bien à sa façon un chemin assez inédit vers la gloire et la postérité. Avec les moyens de son époque, Napoléon n’était pas en manque d’imagination pour construire son image, de ses premiers exploits militaires à son testament politique à Sainte-Hélène. Dès la première campagne d’Italie il eut notamment l’intuition de développer l’adhésion de ses troupes et de l’opinion en exploitant tout un éventail d’outils et d’idées (proclamations à l’armée, Courrier de l’armée d’Italie, Bulletins de la Grande Armée, …). L’utilisation de la presse, des arts, vint compléter un dispositif de propagande bien huilé, tant d’un point de vue technique (usage des derniers instruments de télécommunication pour transmettre plus rapidement les informations), que d’un point de vue stratégique. Les professionnels du marketing du XXIe diraient qu’il savait organiser ce qu’ils recommandent chaudement à leurs clients : de belles « campagnes multicanales », menées à bien avec inventivité, audace, compréhension de son public. En choisissant pour chaque audience ciblée le canal le plus approprié, d’après les « données » ou informations dont on dispose sur ces « contacts », et en transmettant via chacun de ces canaux le message jugé le plus pertinent pour le destinataire visé. C’est donc tout naturellement que l’Empereur qui bivouaquait « au milieu » de ses soldats, retrouve aujourd’hui sa place auprès d’une assistance large et variée, à une portée de clic de tous, à toute heure et en tout lieu.
Valérie Durand, janvier 2020
Valérie Durand est responsable des réseaux sociaux de la Fondation Napoléon