Une chronique de Xavier Maréchaux : « Les modalités de vote au conclave de Venise en 1800 »

Auteur(s) : MARÉCHAUX Xavier
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Pour les amateurs de films sur la papauté récemment diffusés (Les deux papes ; Conclave), les modalités de l’élection d’un pape n’ont plus de secret. Les uns après les autres, les cardinaux déposent leur bulletin dans un grand bol. Le dépouillement se fait par trois cardinaux, chaque bulletin une fois dépouillé est enfilé sur du fil rouge avant que l’ensemble soit brûlé. Mais en fait cette procédure est assez récente car elle date de 1996 à l’initiative de Jean-Paul II.

Une chronique de Xavier Maréchaux : « Les modalités de vote au conclave de Venise en 1800 »
Xavier Maréchaux © D.R

Cette réforme a été entreprise pour simplifier les anciennes modalités particulièrement complexes du vote fixées par le pape Grégoire XV en 1621 et qui furent utilisées pour l’élection du pape Pie VII lors du conclave de Venise de 1800. Dans cette ancienne configuration, le vote avait lieu deux fois par jour précédé à chaque fois par une messe. La particularité du vote portait sur le bulletin utilisé et les modalités du scrutin.

Tout était fait pour garantir le secret du vote. Le bulletin de vote était un rectangle de papier de 12,5 centimètres de largeur sur 14,5 de hauteur, divisé en trois parties égales. La première et la troisième étaient également divisées en deux parties. Sur le haut du bulletin le cardinal écrivait son nom qu’il cachait en rabattant la partie supérieure du bulletin scellée à la cire rouge avec un sceau anonyme. Au milieu du bulletin est imprimé sur deux lignes la formule latine suivante : Eligo in Svmmvm Pontificem R. (reverendissimum) D. (dominum) mevm D. (dominum) Card. (cardinalem), c’est-à-dire « Je vote pour pontife suprême le très révérend sieur, monseigneur le Cardinal ».

Dans la partie inférieure du bulletin de vote, le cardinal notait le numéro qui lui avait été attribué selon son rang dans la hiérarchie du Sacré-Collège (XX par exemple pour Chiaramonti, le futur pape Pie VII) ainsi que sa devise. Comme pour la partie supérieure, il rabattait la bande de papier où étaient écrits son numéro et sa devise qu’il scellait également à la cire rouge.  Le nom de celui pour qui le cardinal avait voté pouvait être vu par les trois cardinaux scrutateurs, mais sans briser les sceaux pour que l’anonymat des votants soit préservé. Et pour que l’on ne puisse rien voir par transparence, une frise recouvrait les parties supérieures et inférieures de l’envers du bulletin. Le bulletin était ensuite plié de manière à le réduire de la longueur du pouce d’un homme. Il est une dernière fois plié entre les deux lignes en latin imprimées au milieu du papier.

Une fois le bulletin rempli, à tour de rôle selon l’ordre hiérarchique, chaque cardinal portait son bulletin à l’autel, devant lequel il s’agenouillait avant de prêter le serment rituel en latin « Je témoigne par Christ le Seigneur, qui sera mon juge, que j’ai voté, selon la volonté de Dieu, pour celui que je juge devoir être élu ; et je ferai de même pour l’accessus » (en cas de besoin, trois cardinaux « infirmiers » étaient choisis pour récolter les bulletins de vote des cardinaux malades).

Ensuite, il déposait son bulletin dans un grand calice. Une fois le vote terminé, le calice était secoué tout en étant recouvert d’une patène[1] puis les bulletins en étaient retirés et comptés. S’ils ne correspondaient pas au nombre de cardinaux, les bulletins de vote étaient brûlés et un nouveau scrutin avait lieu.

Quand le scrutin était jugé valide, chaque bulletin était présenté à l’assistance afin que tous puissent voir le sceau intact, le nom inscrit dessus était ensuite lu à haute voix pour que chacun puisse noter le nombre de votes reçus par chaque cardinal sur des listes nominatives imprimées. Une fois le dépouillement achevé, les bulletins étaient liés par un fil passé à travers le mot imprimé « eligo » puis mis de côté. Si un cardinal obtenait plus de deux tiers des votes, c’est-à-dire plus de vingt-quatre dans le cadre du conclave de Venise, il était alors élu pape. À noter qu’un cardinal ne pouvant voter pour lui-même, si son nombre de voix équivalait exactement aux deux tiers des votes, on vérifiait bien le respect de cette règle sous peine de nullité du scrutin.

La seconde phase du scrutin s’appelait l’« accessus ». Il intervenait lorsqu’aucun cardinal n’avait obtenu le nombre de voix nécessaire pour être élu. De nouveaux bulletins de vote étaient alors donnés aux cardinaux pour les obliger à choisir parmi les candidats arrivés en tête avec pour condition de ne pas voter pour le même candidat. Les cardinaux pouvaient alors soit inscrire un autre nom parmi les noms arrivés en tête du premier scrutin, ou refuser de participer au vote en écrivant « nemini » ( « à personne ») sur leur bulletin. Ces bulletins étaient identiques aux premiers à l’exception de la formule latine qui changeait : Accedo Reverendiss. (reverendissimo) D. (domino) meo D. (domino) Card. (cardinali), c’est-à-dire « Je donne mon vote au très révérend sieur, monseigneur le cardinal ».

Les bulletins des deux tours de scrutin étaient ensuite comparés en décachetant la partie inférieure de chaque bulletin afin de s’assurer qu’aucun cardinal n’ait voté deux fois pour le même candidat. Et comme précédemment, le comptage puis le dépouillement recommençait. À nouveau pour être élu, un cardinal devait obtenir les deux tiers des suffrages[2].

En 1800, il fallut plus de trois mois pour que Pie VII soit élu. La procédure n’était pas seule en cause dans ce si long délai et on comprend par ce rappel de l’ancienne procédure pourquoi, près de deux cents ans plus tard, un autre pape ait voulu la simplifier.

Xavier Maréchaux (mai 2025), professeur d’histoire et d’éducation à la State University of New York at Old Westbury. Sa biographie du pape Pie VII, Pie VII, le pape qui défia Napoléon est parue en 2024 aux éditions Passés/Composés.

[1] La patène est un plat sacré qui sert à recevoir l’hostie pendant la messe.

[2] Ces renseignements sont tirés de Hartwell de la Garde Grissell, Sede Vacante: Being a Diary Written During the Conclave of 1903, Oxford and London, James Parker, 1903, pp. 78-83. Une reproduction du bulletin de vote est présenté pages 78-79 et 82. Pour plus de détails, je renvoie le lecteur intéressé à cet ouvrage. Voir également Chevalier Moroni, Histoire des chapelles papales, Paris, Sagnier et Bray, 1846, pp. 442-448.

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