Une chronique d’Élisabeth Caude : « Une vision panoramique des campagnes d’Italie »

Auteur(s) : CAUDE Elisabeth
Partager

Dans le sillage des panoramas de la fin du XVIIIe siècle, Joseph Dufour à Mâcon et Jean Zuber à Rixheim conçurent sous le Consulat et l’Empire les premières « tentures paysages » sur papier. À la différence des motifs répétitifs des papiers peints ordinaires, il s’agit d’une suite unique de motifs déployant des scènes à dominante paysagère, traduction d’un récit mais plus souvent description d’un pays étranger ou de voyages exotiques destinés à décorer des intérieurs. « Les campagnes des Français en Italie », créé en 1828-29 à l’initiative de Philibert Leroy, gendre et successeur de Dufour, fut donc une initiative assez originale, inspirée par une appétence personnelle pour la figure de Bonaparte.

Une chronique d’Élisabeth Caude : « Une vision panoramique des campagnes d’Italie »
Elisabeth Caude, photo © Christian Millet

En cette fin de période de la Restauration, le bonapartisme n’apparaissait plus comme politiquement dangereux. L’éditeur prit néanmoins doublement soin de ne pas paraître partisan : d’une part, deux des cinq séquences des « Campagnes » ne concernent pas – directement – Bonaparte, d’autre part, celui-ci apparaît de façon assez discrète. Ainsi, le premier plan est toujours occupé par des scènes pittoresques et anecdotiques – partie aimable de la « tenture de papier » – et le général en chef n’y est pas distingué de son état-major.

En 1914, l’amateur Charles Follot reçut de la manufacture Desfossé & Karth, lointain héritier du fonds d’atelier Dufour & Leroy, un exemplaire des « Campagnes » et en fit don à Malmaison, après l’avoir fait figurer à une exposition temporaire au château. Il s’agit très probablement d’une réédition de la première version en grisaille puisqu’elle fut imprimée sur papier continu et comporte aussi bien du jaune que du ciel bleu ; la fabrication demeurait traditionnelle, au moyen des 919 planches gravées par Dufour & Leroy. Non exposé depuis plus d’un siècle à Malmaison, l’exemplaire, complet (30 lés), a été restauré et constitue le centre d’une exposition autour de la première campagne d’Italie et ses prolongements. Il a été choisi de scinder le panoramique en ses cinq parties, afin d’enrichir chacune d’archives, gravures, dessins, peintures et sculptures issues de prêts ou de la collection du musée : ces œuvres et documents contextualisent, complètent et enrichissent le panoramique. Dans chaque section sont exposés des œuvres liées à la relation contemporaine des faits et, à l’instar du papier peint, à leur écho dans les années 1820-1830.

Le visiteur est accueilli par un exceptionnel bas-relief en bois de Bonzanigo à l’effigie du généralissime, récente acquisition du musée. La première section est dédiée au « Passage des Alpes ligures » (avril 1796), épisode dans lequel sont évoqués en arrière-plan les premiers combats contre les Piémontais-Sardes. L’ »Entrée dans Milan » (mai 1796) décrit une population fêtant l’armée française ; la porte d’entrée dans la ville tient lieu d’arc de triomphe. Joséphine en Italie constitue un premier aparté. La « Bataille d’Arcole » (novembre 1796) est la scène la plus martiale ; le pont légendaire figure au centre et le combat est traduit par des volutes de fumée. « Le Séjour des Français à Rome » (février 1797) suivit la riposte française à une rébellion anti-jacobine soutenue par le Pape et les Anglais ; Français et Romains fraternisent sur fond de monuments qui font la réputation de la Ville éternelle. Un aparté évoque des jalons importants – en termes d’engagements militaires et de négociations diplomatiques – de la deuxième partie de la campagne ; un autre évoque les républiques-sœurs dont la République cisalpine, traduction politique par Bonaparte des victoires militaires. Enfin, dans « La Prise de Naples » (janvier 1799), conséquence de celle de Rome, les combats sont relégués au deuxième plan, avec au fond les silhouettes de la colline du Vomero et du Vésuve.

Ce voyage dans le temps et l’espace est rythmé par l’évocation de généraux qui contribuèrent aux victoires : Joubert, Masséna, Augereau, Berthier, Championnet. Figurent également de remarquables aquarelles de G. M. Bagetti, fruit d’une commande du Premier Consul pour restituer fidèlement et artistiquement cette campagne d’Italie, moment décisif dans l’épanouissement de la carrière de Napoléon. Grâce au panoramique et au choix de ces œuvres en correspondances, le visiteur est ainsi invité à redécouvrir la geste et la légende napoléoniennes.

Élisabeth Caude, conservatrice générale du patrimoine, directrice des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau (décembre 2023)

► L’exposition « Un panoramique napoléonien, Les campagnes des Français en Italie » est organisée au château de Bois-Préau, du 22 novembre 2023 au 26 février 2024.

Partager