Une chronique d’Éric Anceau : Napoléon III et l’Antiquité

Auteur(s) : ANCEAU Eric
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Napoléon III est passionné par l’Antiquité et y consacre un temps considérable, pendant qu’il est souverain, distrayant ainsi des moments précieux aux affaires de l’État, sa Vie de César faisant même dire à son ami Persigny : « Au lieu de raconter un grand homme [dans un livre érudit], il ferait mieux de faire un grand règne ! ».

Une chronique d’Éric Anceau : Napoléon III et l’Antiquité
Éric Anceau (Source : Twitter.com)

Cette passion pour l’Antiquité, en particulier César, remonte à ses jeunes années et s’explique à la fois par sa volonté de se mettre dans les pas de son oncle Napoléon lui-même auteur d’un Précis des guerres de César, par sa propre quête des origines de la nation et par l’admiration qu’il voue à « l’inventeur du césarisme ». Elle commence d’ailleurs à s’affirmer au moment de son coup d’État du 2 décembre 1851 lorsqu’il appelle le projet, « Opération Rubicon » par référence au franchissement du petit fleuve italien en 49 avant J.-C., acte par lequel le général force le destin pour prendre le pouvoir au péril de sa vie (« Alea jacta est »).

Aux Tuileries, le grand meuble de son cabinet de travail est dédié au livre qu’il projette dès le début de son règne : un casier pour Tite Live, un pour Dion Cassius, un pour Suétone, un pour Cicéron, un pour les notes archéologiques, un pour la chronologie… En 1858, il crée une commission de topographie de la Gaule chargée d’étudier les objets déjà recueillis à Alise-Sainte-Reine, site présumé d’Alesia, et de dresser une carte de la Gaule. Il fait surtout appel aux compétences : des officiers, des ingénieurs, des savants français et étrangers, parmi lesquels un professeur d’histoire romaine, Victor Duruy, dont il fait plus tard son ministre de l’Instruction publique, Prosper Mérimée, ami de la famille, auteur d’un Essai sur la guerre sociale en 1841 et d’une Conjuration de Catilina en 1847, Alfred Maury, le « dictionnaire vivant de l’Empereur pour sa Vie de César », spécialiste de la géographie de la Gaule, nommé bibliothécaire des Tuileries, ou encore le colonel Stoffel, envoyé identifier et reconnaître les sites des champs de bataille de la guerre des Gaules et qui supervise les fouilles d’Alesia.

Les travaux de cartographie, les recherches archéologiques en France et à l’étranger, les études expérimentales comme l’essai sur la Seine d’une trirème grandeur nature sont financés à hauteur de près de huit millions de francs sur la cassette impériale. Le premier volume de la Vie de Jules César paraît en 1865, s’écoule à 14 000 exemplaires en trois heures, avant d’être traduit dans plusieurs langues et diffusé dans toute l’Europe. Un deuxième volume, tout aussi érudit, sort l’année suivante, mais sans connaître le même succès. C’est Stoffel qui fait publier les derniers, après la chute de l’Empire et la mort du souverain.

L’œuvre considérable de celui-ci ne s’arrête pas là. Il faut encore citer, à défaut d’être exhaustif, l’acquisition des jardins Farnèse et les fouilles du Palatin à Rome, l’achat de la collection Campana, la plus extraordinaire collection privée d’antiques et en particulier d’art étrusque de l’époque qui vient enrichir le Louvre, la création du Musée des antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye ou encore la commande à Aimé Millet d’une monumentale statue de Vercingétorix où le chef gaulois prend les traits de Napoléon III et qui est installée au Mont-Auxois en 1865. Cet hommage de l’empereur à son prédécesseur qu’il considère comme l’un des premiers héros de la nation est dans l’esprit d’un temps qui fait des Gaulois les ancêtres des Français !

Éric Anceau
Juin 2023

Éric Anceau enseigne à Sorbonne Université l’histoire du XIXe s.
Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages de référence sur la période du Second Empire. Ses recherches ont été saluées par le Prix Drouyn de Lhuys de l’Académie des sciences morales et politiques, le Prix Guizot de l’Académie française, le Grand Prix du Mémorial de la ville d’Ajaccio et le Prix Second Empire de la Fondation Napoléon
. Depuis 2020, il est membre du jury des Prix et Bourses de la Fondation Napoléon et membre du comité scientifique de la revue scientifique de la Fondation Napoléon : Napoleonica® la revue.

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