BEAUHARNAIS, Eugène de, (1781-1824), vice-roi d’Italie

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BEAUHARNAIS, Eugène de, (1781-1824), vice-roi d’Italie
Portrait d'Eugène de Beauharnais © Collection particulière/Missionning

Plus que par la mésentente de leurs parents, l’enfance d’Eugène et d’Hortense a été marquée par le drame de la mort de leur père, le général de Beauharnais.

Elle les a rassemblés à jamais autour de leur mère à laquelle Alexandre les avait confiés dans une émouvante dernière lettre ; en même temps le souvenir du père est conservé intact et c’est à lui qu’Eugène doit l’éveil de sa vocation de soldat, confirmée en Vendée par l’exemple du général Hoche qui, par attention pour sa mère, le prend encore enfant dans son état-major.
Si le mariage de Joséphine avec le général Bonaparte ne pouvait d’abord que déplaire aux deux enfants ainsi privés de leur mère (c’est Madame Campan qui fut chargée de leur apprendre la nouvelle), du moins est-ce l’occasion pour Eugène d’entrer de la meilleure manière dans cette carrière militaire qui est pour lui une vocation. Le 30 juin 1797 il reçoit son brevet de sous-lieutenant auxiliaire au premier régiment de hussards, est affecté comme aide de camp auprès du général Bonaparte. « Je fus seulement chargé de différentes relèves d’avant-poste… ce fut tout », note-t-il modestement, non sans humour, dans ses Mémoires.
Après Campo-Formio il est envoyé en mission dans les îles ioniennes et à son retour se trouve à Rome lors de l’assassinat du général Duphot, circonstance où il fait preuve de sang-froid. C’est seulement la campagne d’Égypte qui comblera son désir d’action, lui laissant un souvenir ébloui. Il se montre un aide de camp dévoué et plein d’ardeur, fait la conquête du général en chef qui apprécie ses qualités, prend l’habitude de lui parler avec confiance, et conçoit pour le jeune homme une réelle estime. Au reste Eugène participe directement aux opérations et paye de sa personne. Il prend part à l’assaut de Jaffa et est blessé à Saint-Jean-d’Acre.
Après le retour en France et le 18 Brumaire, il est nommé capitaine des chasseurs à cheval de la garde consulaire et suit Bonaparte en Italie. A Marengo il se distingue dans les charges menées par Bessières et conquiert légitimement son grade de chef d’escadron. Bonaparte dans une lettre à Josephine se laisse même aller à d’emphatiques louanges, prêt à prédire qu’Eugène deviendra un des plus grands capitaines de l’Europe. Certes en d’autres circonstances il trouvera en lui l’étoffe d’un colonel plus que d’un général et il aura tendance à le traiter surtout en brillant second, mais il y a là une marque de satisfaction qui traduit bien le climat général des relations des deux hommes.
Avec l’ascension du Premier Consul, puis la création de l’Empire, la carrière d’Eugène ne pouvait que prendre une toute autre dimension, mais son ascension reste toujours raisonnable. Colonel à 22 ans, il est général de brigade en 1802. Le 14 juin 1804 il est nommé prince et archichancelier de l’Empire. Dans un message au Sénat qui, sous le style conventionnel, respire une inhabituelle sincérité, Napoléon vante « la tendresse et la consolante amitié de cet enfant de notre adoption », considéré malgré sa jeunesse comme « un des soutiens du trône et un des plus habiles (l’adjectif mesuré sera somme toute exact) défenseurs de la patrie ».

Le grand tournant de la vie d’Eugène est le choix que Napoléon fait de lui comme vice-roi d’Italie.

Encore ne le doit-il qu’aux refus successifs de Joseph, peu soucieux d’abandonner ses droits à la succession, de Louis, de Lucien, du moins la modestie de ses prétentions et la retenue dans les ambitions renforcent-elles, par contraste, la sympathie de l’Empereur pour le clan Beauharnais : dans ses nouvelles fonctions Eugène se comporte, malgré ses impatiences, comme l’exact représentant du roi d’Italie. Il doit rendre compte de tout à l’Empereur et l’on connaît la célèbre boutade de l’ordre qu’il faut demander à Paris pour éteindre le feu à Milan. A cette école où l’amour-propre du vice-roi éprouve quelques blessures, Eugène apprend à devenir un administrateur, à connaître les affaires et se révèle un bon élève.
La troisième coalition va lui permettre de faire preuve de ses talents d’organisateur, sinon de stratège. C’est en effet à Masséna que le commandement de l’armée d’Italie est confié. De toute façon le sort de la campagne se joua en Allemagne, mais la défection des Napolitains ne prit pas au dépourvu le vice-roi qui avait su lever une armée de réserve, aussitôt concentrée sur les frontières.
Les victoires d’Ulm et d’Austerlitz devaient être de grande conséquence puisque, pour mieux lier la Bavière à la France, Napoléon décide de faire épouser à Eugène la princesse Auguste-Amélie de Bavière, déjà promise au prince héritier Charles de Bade. Les souverains de Bavière s’inclineront devant les avantages évidents apportés par cette alliance. Eugène est adopté par Napoléon le 12 janvier 1806. Il renonce à la couronne de France, mais est appelé à la succession du trône d’Italie après l’Empereur et sa descendance directe. Les deux époux, malgré les premières réticences de la princesse, s’entendent bien et connaissent un grand succès lors de leur entrée à Venise puis à Milan après le mariage.
Les années qui suivent sont consacrées à l’administration du royaume. Travaux militaires avec la fortification de Mantoue, de la Rocca d’Anfo, clef du Tyrol ; travaux publics avec la construction de routes, restauration de l’arsenal de Venise, assèchement des marais près de Vérone ; promulgation des codes de commerce et procédure pénale, mise en place de tribunaux, etc. Eugène est infatigable et fait preuve d’habileté politique autant que de dons d’administrateur. Le 2 avril 1808 un décret impérial annexe les légations d’Urbino, d’Ancône, de Macerata et de Fermo, mais Eugène s’efforce d’éviter que les relations avec le Saint-Siège aillent jusqu’à la rupture et cherche à rallier les populations par des satisfactions d’ordre économique. Dans l’ensemble sa gestion est un succès.
La réouverture des hostilités en 1809 mettait en danger l’Italie. Des insurrections éclatent, un coup de main faillit même surprendre Eugène. La campagne fut au début malheureuse pour le jeune général en chef. Contraint à la défensive, il est battu par l’archiduc Jean à Pordenone et doit se replier. Mais la situation se rétablira vite et en juin 1809 la victoire de Raab efface le mauvais souvenir d’une défaite dont l’Empereur ne tint pas longtemps rigueur à son beau-fils.
Cette même année 1809 met à dure épreuve la fidélité d’Eugène avec l’affaire du divorce. Solidaire de sa mère, prêt à renoncer à ses dignités, il accepte par loyauté envers l’Empereur d’aider à la décision de l’Impératrice. Au Sénat c’est lui qui lit la déclaration préparée par Maret, où Joséphine déclare souscrire à l’obligation de sacrifier toutes ses affections aux intérêts de la France. Le Grand-Duché de Francfort qu’il reçoit en mars 1810 est moins une compensation qu’un hommage rendu à son parfait loyalisme.

C’est pendant la campagne de Russie que les qualités d’Eugène devaient trouver pleinement à s’employer.

Les troupes formées par le royaume d’Italie constituaient le 4e corps de la Grande Armée, qui s’illustre à Smolensk, et surtout à la Moskowa où Eugène commande l’attaque de Borodino et de la Grande Redoute. Pendant la retraite il doit à Malo-Jaroslawetz combattre avec 17 000 hommes l’armée russe tout entière. Après le départ de Napoléon, Murat reçoit le commandement, bientôt laissé à Eugène, une fois la Vistule franchie. Dans cette responsabilité capitale Eugène montre une réelle grandeur. Il rassemble les éléments disponibles, reforme trois divisions et arrive successivement à tenir sur l’Oder, devant Berlin, derrière l’Elbe. C’est grâce à cette retraite que Napoléon put former une nouvelle armée et Eugène est l’artisan direct du succès de Lützen.
Mais la pression autrichienne exigeait son retour en Italie. Là encore, il s’emploie à réorganiser ses troupes et à constituer des approvisionnements. Puis il mène une suite de combats retardataires qui l’amènent à des replis successifs jusqu’à l’Adige, mais toujours effectués en ordre. Malgré les pressions de son beau-père, malgré la défection de Murat en février 1814, il refuse de se joindre à la coalition et reste, selon son attitude de toujours, fidèle. Pourtant, en ne rejoignant pas l’Empereur et en menant le combat sur place, il fut l’objet d’appréciations fort injustes alors qu’il défendait l’intégrité de ce royaume d’Italie dont il avait la charge. Malgré un succès à Mincio et des victoires successives sur Murat, il est battu au Taro et à la Nura et doit bientôt accepter un armistice.

Eugène, après la Première abdication, pensa sûrement pouvoir conserver son trône.

Mais le soulèvement de Milan le 20 avril 1814 et l’assassinat de Prina anéantirent cet espoir ; il gagne alors Munich où sa belle-famille l’accueille avec affection. À Paris où il se rendit à l’occasion de la mort de sa mère, Alexandre et Louis XVIII le reçoivent avec égards. Aussi bien renonce-t-il à toute activité politique et l’époux d’Auguste-Amélie demeure fidèle à son nouvel état et à sa belle-famille. Il demeure en Bavière pendant les Cent Jours selon l’engagement pris et garde l’abstention.
Ses dernières années sont marquées par l’intérêt porté à ses domaines, à la gestion de sa fortune, à la construction d’un palais à Munich, à l’accroissement de ses collections, et le nouveau duc de Leuchtenberg montre dans l’administration de ses biens les mêmes qualités que le vice-roi d’Italie. En même temps il accepte d’aider des proscrits, dont Lavalette, s’efforce d’obtenir un adoucissement du sort de l’Empereur, s’institue le banquier de Napoléon, mais sans jamais songer à une possible restauration et en restant le prince bavarois qu’il est devenu. Devenu »apathique » depuis 1822 d’après Planat de la Faye, il a deux attaques d’apoplexie en 1823 et meurt en 1824. Sur cette personnalité qui suscite tant la sympathie mais qui reste bien secrète, c’est à Hortense qu’il faut demander le jugement le plus compréhensif : « Brave, loyal, franc, généreux, incapable de manquer à sa parole, préférant l’honneur à l’éclat du rang, une noble obscurité à un pouvoir mal acquis et un devoir à une jouissance… »

Auteur : Fernand Beaucour
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 257
Mois : 01
Année : 1971
Pages : 41-42

Voir un portrait d’Eugène de Beauharnais

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