Considéré par ses pairs comme un général vigoureux qui brille dans l’action, Gudin savait également encaisser un choc pour ensuite repartir à l’assaut. À Auerstedt (14 octobre 1806), à la faveur du brouillard, Gudin engagea le combat le premier contre les Prussiens. Il dut subir ensuite les assauts répétés de la cavalerie prussienne. Pendant 4 h, les fantassins de Gudin tinrent bon permettant au reste du 3e corps de rentrer en ligne. Sa division réorganisée, il marcha en avant et participa à la victoire. Tout la journée, Gudin se montra au cœur des combats pour diriger et encourager ses soldats. Dans cette difficile mêlée, il reçut une blessure qui ne l’empêcha pas de figurer à la tête de sa division lors de son entrée dans Berlin.
À Wagram, le 3e corps fut chargé d’enlever la position de Neusiedel à la gauche du dispositif français. Gudin cette fois entra en lice derrière Morand et Friant. Après de difficiles engagements pour traverser la Russbach, Gudin escalada à son tour le plateau sous un feu meurtrier. L’épée à la main, il anima la résistance et sa division se cramponna au terrain contre les assauts adverses. Au bout de la quatrième blessure, Gudin fut évacué du champ de bataille mais pas avant que ses hommes ne fassent ployer les Autrichiens.
Ces belles actions, il les devait ainsi à ses soldats pour qui Gudin avait beaucoup de considération et qu’il savait ménager. Chef exigeant, il faisait régner une stricte discipline dans sa division et les soldats devaient connaître parfaitement règlements et exercices.
C’est dans la poursuite après la bataille de Smolensk que Gudin fut fauché par un boulet de canon le 19 août, à Valoutina. Le maréchal Ney qui était en avant-garde ne put seul conquérir une position forte sur laquelle une partie de l’armée russe s’était mise en défense. Après autorisation de Napoléon, la division Gudin, qui suivait le corps de Ney, tenta de déloger les Russes du plateau où ils s’étaient retranchés. Alors qu’il planifiait le second assaut, le général Gudin fut frappé par un boulet qui lui emporta la jambe gauche et le mollet de la droite fut « détruit dans tout son épaisseur jusqu’à l’os » comme le constata Larrey (Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, Paris, 2004, vol. 2, p. 743). Tandis que l’avantage fut finalement remporté, Gudin fut transporté en sang à Smolensk.
Ségur raconta que « quand la nouvelle de ce malheur parvint chez l’empereur, elle y suspendit tout, discours et actions. Chacun s’arrêta, consterné : la victoire de Valoutina ne parut plus un succès. » (La campagne de Russie, Paris, 2010, vol. 2, p. 96-99)
Napoléon lui rendit visite le lendemain. La gangrène se développant rapidement, il fut impossible de sauver le général qui mourut le 21 août. Napoléon, pour qui cette perte fut « sensible », dressa un portrait élogieux du général dans son 14e Bulletin : « Le général Gudin était un des officiers les plus distingués de l’armée ; il était recommandable par ses qualités morales autant que par sa bravoure et son intrépidité. » Chose rare, Napoléon écrivit à la comtesse Gudin une lettre de condoléances dans laquelle il dit : « je prends part à vos regrets ; la perte est grande pour vous ; elle l’est aussi pour moi. » (Correspondance générale de Napoléon Bonaparte, Fayard/Fondation Napoléon, vol. 12, lettre n° 31 905) Il promettait par ailleurs de s’occuper des enfants du général Gudin qui laissait cinq orphelins : ils reçurent titre et pension. Aujourd’hui, la descendance du général est nombreuse.
Du vivant du général, Napoléon sut reconnaître les mérites et la valeur militaire de Gudin. Il reçut plus de 70 000 francs de rente, le titre comte de l’Empire, la médaille de commandeur de l’ordre de Saint-Henri de Saxe et fut grand aigle de la Légion d’honneur. « Ce général fut un privilégié des affections de l’Empereur » comme le note Georges Touchard-Lafosse, commissaire ordonnateur sous l’Empire. Ce dernier a cependant un regard critique sur Gudin : « Excellent courtisan à la cour des Tuileries, il était ailleurs d’une fierté dédaigneuse avec ses inférieurs, amateur de l’étiquette jusqu’à la puérilité, aristocrate, en un mot. […] Il eut infiniment moins d’amis que d’admirateurs. » Cependant Thiers résume dans son Histoire de l’Empire ce que beaucoup pensaient de Gudin : « Cet illustre général était par son courage héroïque, sa bonté parfaite, son esprit cultivé, un objet d’estime pour les officiers et d’estime populaire pour les soldats. Sa mort fut sentie dans l’armée comme une perte commune qui touchait tout le monde. »
François Houdecek
Octobre 2019
Éléments biographiques
Né à Montargis (Loiret) le 13 février 1768, mort à Smolensk des blessures reçues à Valoutina le 22 août 1812. Était noble et fils d’un officier au régiment d’Artois ; son oncle devint le général Étienne Gudin.
Fit ses études à l’École militaire de Brienne (où il était condisciple du futur empereur des Français), puis devint gendarme surnuméraire de la garde du roi, 28 octobre 1782 ; sous-lieutenant de remplacement au régiment d’Artois-infanterie (devenu en 1791 48e d’infanterie), 2 juillet 1784 ; sous-lieutenant titulaire, 14 juin 1786 ; lieutenant, 1er janvier 1791 ; embarqué pour Saint-Domingue avec le 2e bataillon de son régiment, 28 janvier ; y combattit les nègres insurgés ; rentra en France le 5 juillet 1792, et rejoignit son dépôt à Strasbourg ; aide de camp du général Etienne Gudin, son oncle, mai 1793 ; adjoint provisoire aux adjudants généraux de l’armée du Nord à Maubeuge, 30 juin 1793 ; aide de camp du général Ferrand à l’armée des Ardennes, 31 octobre ; nommé adjudant général chef de bataillon provisoire par les représentants du peuple près l’armée des Ardennes, 26 décembre 1793 ; à l’état-major général de l’armée du Nord au 19 avril 1794 ; adjudant général chef de brigade employé à l’armée de Rhin-et-Moselle, 13 juin 1795 ; division Duhesme en avril 1796 ; s’empara de Wolfach, 14 juillet 1796 ; chef d’état-major de Gouvion-Saint-Cyr, puis chef d’état-major de la garnison de Kehl en novembre 1796 ; à l’état-major de Gouvion-Saint-Cyr en janvier et avril 1797 ; division Ambert au 20 avril 1797 ; à l’armée d’Angleterre, 12 janvier 1798 ; à l’armée de Mayence sous Lefebvre, octobre 1798 ; général de brigade employé à l’armée d’observation sous Mannheim, 5 février 1799 ; commandant une brigade de la division Souham à l’armée du Danube, avril 1799 ; à la 4e division du centre sous Soult à l’armée d’Helvétie, 30 avril 1799 ; commandant une brigade de la division Lecourbe à ladite armée, 9 juillet ; s’empara du Grimsel, 14 août ; rejoignit Lecourbe au combat de l’Oberalp, 16 août ; fut chassé d’Airolo et du Saint-Gothard par Souwarow, 23-24 septembre ; franchit la Furka et le Grimsel puis revint dans la vallée de la Reuss et reprit le Saint-Gothard et l’Oberalp ; division Loison, 2 octobre ; nommé chef d’état-major de Lecourbe à l’armée du Rhin, 5 octobre ; quitta l’armée d’Helvétie le 25 octobre ; prit part à la bataille devant Philipsbourg ; servit à l’armée du Rhin comme chef d’état-major du corps de droite sous Lecourbe, 1800 ; servit à Stein, Stockach, 3 mai 1800, Moesskirch, 5 mai, Memmingen, 10 mai ; commanda provisoirement une division sous Lecourbe à la place deVandamme, 23 mai ; servit au passage du Lech, 12 juin, à Hochstaedt, 19 juin, Neubourg, 27 juin ; commandant la 2e division de l’aile droite sous Lecourbe, 4 juillet ; confirmé général de division à la date du 6 juillet 1800, par arrêté des consuls du 22 août 1800 ; s’empara de Fuessen, 11 juillet ; servit au passage de l’Inn, 8 décembre ; au combat de Salzbourg, 14 décembre ; commandant la 10e division militaire à Toulouse, 22 août 1803 ; employé au camp de Bruges, par permutation avec Durutte, comme commandant la 3e division d’infanterie sous Davout, 23 août 1804 ; au 3e Corps de la Grande Armée, 30 août 1805 ; servit en Autriche, 1805 ; en Prusse, 1806 ; blessé à Awerstaedt, 14 octobre 1806 ; s’empara de Custrin, 1er novembre.
Entra à Varsovie le 29 novembre ; combattit à Nasielsk et à Pultusk, 26 décembre ; à Eylau, 8 février 1807 ; comte de l’Empire, 7 juin 1808 ; commandeur de l’ordre de Saint-Henri de Saxe, 1808 ; gouverneur du château de Fontainebleau, 1809 ; à l’armée d’Allemagne, 12 octobre 1808 ; servit en Autriche, 1809 ; à Thann ; 19 avril 1809, Abensberg, 20 avril, Eckmuhl, 22 avril, Ratisbonne, 23 avril, Wittenau, 25 avril ; s’empara de la tête de pont de Presbourg et des îles du Danube, 30 juin ; blessé de 4 coups de feu à Wagram, 6 juillet 1809 ; grand aigle de la Légion d’honneur, 14 août 1809 ; cantonna en Westphalie, puis à Magdebourg en février 1810 ; commandant la 3e division du 1er Corps de la Grande Armée sous Davout, 1er avril 1812 ; servit en Russie, 1812 ; à l’attaque de Smolensk, 17 août ; fut frappé mortellement par un boulet de canon qui lui emporta la cuisse et lui fracassa un mollet au combat de Valoutina, 19 août 1812. Fut transporté à Smolensk où il mourut. Le nom du général Gudin est inscrit au côté Est de l’Arc de Triomphe de l’Étoile.
Source : Georges Six, Dictionnaire des généraux et amiraux français de la Révolution et de l’Empire, Paris, Librairie Georges Savoy, 1934
► consultez le dossier thématique « Vivre et mourir dans la Grande Armée (2023)