FESCH, Joseph, (1763-1839), cardinal

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En 1757, François Fesch, d’origine suisse (sa famille avait obtenu dans le canton de Bâle le droit de bourgeoisie au XVe siècle), capitaine dans un régiment suisse au service de la République de Gênes, épouse, après sa conversion au catholicisme, Angela-Maria Pietrasanta, veuve en premières noces de Giovanni-Geronimo Ramolino et mère de Maria-Letizia Ramolino.

De leur union, naît le 3 janvier 1763, à Ajaccio, Joseph Fesch, qui sera oncle de Napoléon, cardinal et grand-aumônier de l’Empire. Ainsi, Joseph Fesch et Letizia Ramolino étaient frère et soeur utérins. Joseph avait treize ans de moins que Letizia et six ans de plus que Napoléon, son neveu.

Joseph grandit en partageant les jeux et les études des enfants de Letizia Buonaparte (les maisons Fesch et Buonaparte se faisaient vis-à-vis dans l’étroite rue Malerba). Après ses premières études chez les Jésuites, il est choisi par l’évêque d’Ajaccio et les États de Corse pour bénéficier d’une bourse royale au séminaire d’Aix-en-Provence, où il restera de 1781 à 1786, manifestant beaucoup de ténacité et de conscience dans le travail.
Dans les derniers jours de février 1785, Joseph Fesch est appelé à Montpellier, au chevet de Charles Buonaparte mourant, où il retrouve Joseph, le fils aîné, dans la petite maison de Louise Delon, rue du Cheval Vert (1). A la fin de cette même année, Joseph Fesch reçoit l’ordination sacerdotale, dans la chapelle du séminaire d’Aix, des mains de l’évêque de Vence.
Il revient alors à Ajaccio dans la perspective de recueillir l’archidiaconat de Lucien Buonaparte (2) ; celui-ci accepte, Joseph Fesch reçoit l’investiture du Pape et, le 3 avril 1787, il est installé dans sa fonction, premier personnage du Chapitre, un des premiers du clergé de la ville (en Corse, dira Napoléon, <<être archidiacre, c’est comme être évêque en France>>).

En 1790-1791, Joseph Fesch se prononce pour les idées nouvelles, il prête le serment constitutionnel et adhère au Club des Amis de la Constitution. Mais, dans le conflit qui éclate, les Paolistes condamnent les Buonaparte, avec une violence inouïe, <<à une perpétuelle exécration et infamie>>.
Napoléon, qui se trouve à Bastia, fait passer à sa mère le message suivant: << Preparatevi, questo paese non è per noi>> (Préparez-vous, ce pays-là n’est pas pour nous). En effet, les événements se précipitent. Fuyant Ajaccio, livrée à l’émeute, Letizia Buonaparte, ses filles, les petits Louis et Jérôme et Joseph Fesch trouvent refuge sur la terre familiale des Milelli (24 mai 1793) et de là, avec quelques fidèles, ils se dirigent de nuit, à travers le maquis, vers la côte, vers Calvi.
Quelques jours plus tard, ils aperçoivent un petit bâtiment qui croise au large, avec le pavillon tricolore à la poupe. Ils font des signes de détresse et ils sont recueillis. Par qui? Par Napoléon, qui se trouve sur le chebeck… Le 3 juin, les Bonaparte (y compris Napoléon), s’embarquent à Calvi, sur << La Belette>>, un petit chasse-marée et arrivent à Toulon, le 13. Napoléon rejoint l’armée et son destin (le siège et la reprise de Toulon) et sa famille s’installe provisoirement dans la campagne environnante, au petit bourg de La Valette.

Joseph Fesch, renonçant à l’état ecclésiastique, sollicite et obtient un emploi de garde-magasin auprès de l’armée des Alpes. En 1796, Napoléon Bonaparte, général en chef de l’armée d’Italie, lui permet de consolider sa position; il suit l’ascension de la famille et commence à s’enrichir. C’est aussi, pour lui, le début d’une célèbre collection de tableaux récupérés ou achetés.
Sous le Consulat, Joseph Fesch acquiert, le 16 mars 1800, l’hôtel du président Hocquart de Montfermeil, rue du Mont-Blanc, à Paris (aujourd’hui au 68 de la rue de la Chaussée d’Antin) (3).

Au physique, Lucien l’a décrit irrévérencieusement, à vingt ans, comme florissant, << toujours frais, sinon comme une rose, tout au moins comme une rave de belle et bonne qualité>>. De son côté, la princesse Mathilde, sa nièce, le verra sur la fin de sa vie, à Rome, comme << un petit homme replet, frais et vif>>. Sa silhouette est lourde, son front élevé, ses yeux bruns, son nez accusé et pointu, ses lèvres minces donnent une impression d’autorité. Mais, le visage reste banal (4). Il a une << petite voix montée en fausset>>, peu de conversation, le << style saccadé>> et la << parole brève>>. Son français est souvent incorrect et son orthographe fautive. Sur le plan affectif, il est très lié avec sa demi-soeur Letizia, qui lui ressemble par plus d’un trait. Le même esprit de famille anime la << Madre>> et l’oncle Joseph (André Latreille, Napoléon et le Saint-Siège, 1801-1808, Librairie Félix Alcan, 1935, p. 120 et suiv.).

Après la signature du Concordat, le 26 messidor an IX (15 juillet 1801), Joseph Fesch revient à l’état ecclésiastique. Un mois durant, il fait une longue retraite avec l’abbé Emery, supérieur général de la compagnie de Saint-Sulpice (5). Il faut lui réapprendre à dire la messe et à faire oraison. Mais, de cette retraite il sort transformé.
<< Sans doute, Fesch reste avec son goût de l’autorité, sa raideur…, son attachement à l’argent ; le vieil homme n’est pas mort et reparaîtra souvent sous l’homme nouveau, avec son tempérament de vrai corse et de napoléonide. Mais il s’ouvre aux réalités surnaturelles et s’adonne à la piété>> (J. Leflon, Monsieur Emery, t. 2, p. 165).

Le 25 juillet 1802, un arrêté consulaire le nomme archevêque de Lyon, primat des Gaules. Le 15 août suivant, le légat Caprara le sacre à Notre-Dame de Paris. Très rapidement, en janvier 1803, il est promu cardinal.

Le Premier Consul, son neveu, lui remet lui-même la barrette, dans la chapelle des Tuileries, selon les formes usitées sous << l’ancien gouvernement>>.
En avril 1803, le cardinal Fesch est nommé ambassadeur à Rome, en remplacement du diplomate François Cacault, avec un traitement annuel de 150 000 francs et une indemnité de 100 000 francs pour ses frais d’installation.
Quinze jours après, un arrêté consulaire nommait secrétaire de légation à Rome, François-René de Chateaubriand, le grand ami de Fontanes, qui venait de faire paraître Le Génie du christianisme. Mais le cardinal Fesch, jaloux de son autorité et le secrétaire de légation, auréolé par le prestige de l’écrivain, ne s’entendirent pas. C’est ainsi que le cardinal déclara péremptoirement: << M. de Chateaubriand en sait assez pour signer des passeports!>> (6). Pour mettre fin à ces incompatibilités (que Cacault avait pressenties), on nomme Chateaubriand ministre chargé d’affaires près la république du Valais, poste qu’il ne rejoindra pas, après l’exécution du duc d’Enghien.
Avec l’établissement de l’Empire, le cardinal Fesch devient le grand-aumônier de l’Empire, il est sénateur, grand-Aigle de la Légion d’honneur et, en juillet 1805, il reçoit l’Ordre espagnol de la Toison d’Or. Il est inscrit pour une dotation de 100 000 francs sur le Grand Livre de France et de 300 000 francs sur l’octroi de Rhin (7).
Comme ambassadeur de France à Rome, il négocie et obtient la venue du pape Pie VII, pour le couronnement de Napoléon, le 2 décembre 1804, à Notre-Dame de Paris. Durant la nuit du 1er au 2 décembre, il bénit clandestinement le mariage de Joséphine et de Napoléon, dans la chapelle des Tuileries.

D’autre part, Fesch prépare le couronnement de Napoléon comme roi d’Italie. La cérémonie a lieu à la cathédrale de Milan, le 26 mai 1805. Le cardinal Caprara officiait en qualité de légat pontifical.
Mais, sur les questions politiques et religieuses concernant l’Italie, Fesch, négociateur cassant et maladroit, se heurte au cardinal Consalvi, secrétaire d’État. En 1806, Napoléon le rappelle et le remplace par l’ambassadeur Charles-Jean-Marie Alquier.
Dans le même temps, une nouvelle surprenante éclate. L’évêque de Ratisbonne, prince-primat d’Allemagne, Charles-Marie von Dalberg, demande le cardinal Fesch comme coadjuteur, avec droit de succession. Napoléon oblige Fesch à accepter; mais celui-ci ne s’intéressera guère à cette nouvelle fonction, il préfère son diocèse de Lyon.
Quand le cardinal de Belloy, archevêque de Paris, meurt, le 10 juin 1808, Napoléon décide que le cardinal Fesch pourrait lui succéder (en cumulant Lyon et Paris), mais Rome et l’intéressé refusent.
Lors du divorce entre Napoléon et Joséphine, le cardinal Fesch se prononce pour la compétence de l’officialité de Paris et c’est le tribunal diocésain qui, le 9 janvier 1810, prononce l’annulation du mariage religieux, célébré clandestinement la veille du Sacre.
Ensuite, le cardinal Fesch, grand-aumônier de l’Empire, bénit le 2 avril 1810, dans le Salon carré du Louvre, le nouveau mariage de l’Empereur avec Marie-Louise d’Autriche (8). Et c’est lui qui baptise le roi de Rome, le 9 juin 1811, à Notre-Dame de Paris (9).

En juin 1811, le concile national convoqué à Notre-Dame et présidé par le cardinal Fesch, primat des Gaules, pour régler le problème des investitures, n’aboutit pas à la solution souhaitée par Napoléon, c’est-à-dire à l’investiture par les métropolitains. Sur ce problème, Fesch soutient le Pape contre l’Empereur. Par mesure de rétorsion, il est privé de sa dotation de 300 000 francs sur l’octroi du Rhin. L’oncle Fesch en est, tout d’abord, furieux, et, ensuite, particulièrement affecté…

Dans son diocèse de Lyon, le cardinal avait pleinement réussi, il l’avait réorganisé, acceptant un clergé venu de différents horizons, rétablissant le grand-séminaire de Saint-Irénée, les petits séminaires et les pèlerinages.

En 1812, il célèbre la victoire de La Moskowa, suivie hélas, par une désastreuse retraite. En 1813, devant l’adversité, il fait prier pour le salut de l’Empire.
Au moment de la campagne de France, il manque de tomber entre les mains des Autrichiens. De Lyon, il se réfugie à Pradines, près de Roanne, dans un couvent de religieuses qu’il avait fondé. Un détachement autrichien s’approche, il n’a que le temps de s’échapper, déguisé en paysan… Il se dirige sur Nîmes et Montpellier, où il apprend la capitulation de Paris. Madame Mère et le cardinal Fesch passent la frontière et se réfugient à Rome, au palais Falconieri, via Giulia. Le Pape les accueille avec sympathie (il a toujours été reconnaissant à Napoléon d’avoir rétabli la religion catholique en France).

Après le débarquement de l’île d’Elbe et le vol de l’Aigle, Fesch revient en France. Le 25 mai 1815, il est à Lyon. Nommé à la Chambre des Pairs par Napoléon, il s’abstient de toute activité politique et apprend, à Paris, la défaite de Waterloo. Nonobstant le retour de Louis XVIII, il espère rester à la tête de son diocèse de Lyon, mais le Conseil des Ministres refuse. On lui accorde seulement une escorte pour le conduire à la frontière, avec Madame Mère. Ils reprennent donc le chemin de Rome et du palais Falconieri.
En août 1816, le cardinal vend son hôtel parisien de la rue du Mont-Blanc, à des acheteurs milanais, pour la somme de un million soixante mille francs (l’État français n’avait offert que 800 000 frs) (10).
Malgré toutes les pressions du gouvernement français, il refuse obstinément de démissionner de son siège épiscopal de Lyon. Le Saint-Siège doit désigner un administrateur apostolique (le Pape lui avait même proposé, contre sa démission, l’archevêché de Ferrare, sans succès).
D’autre part, le cardinal Fesch n’est pas inactif, il assume ses fonctions dans les diverses congrégations, où ses avis sont très recherchés. Il reçoit volontiers les Français et, en particulier, les Lyonnais.
Le vieux cardinal rend journellement visite à Madame Mère, au palais Rinuccini, à l’angle du Corso et de la place de Venise, qu’elle avait acheté en 1818.
A la demande du grand-maréchal Bertrand et avec l’aide du Saint-Siège, ils envoient à Sainte-Hélène, le chirurgien Antommarchi et les abbés Buonavita et Vignali, qui arrivent à Longwood en septembre 1819.
Bientôt, ils apprennent la mort de l’Empereur en juillet 1821, celle de Napoléon-Louis, fils aîné d’Hortense et de Louis Bonaparte, le 17 mars 1831, lors de l’insurrection de Bologne, enfin celle du duc de Reichstadt, à Schoenbrunn, le 22 juillet 1832.

Madame Mère meurt elle-même le 2 février 1836 et le cardinal Fesch, le 13 mai 1839, à l’âge de 76 ans. Il est inhumé à Corneto, près de Viterbe, auprès de Madame Mère, dans le couvent des Passionnistes, qu’il avait fondé et doté. Des services funèbres sont célébrés à Ajaccio, le 22 juin 1839 et à Lyon, le 10 juillet 1840. Sur l’intervention de Louis-Napoléon, prince-président, les cendres du cardinal et de Madame Mère sont ramenées à Ajaccio, le 1er juillet 1851.
Grand collectionneur, passionné et riche, le cardinal Fesch avait réuni une prodigieuse collection d’oeuvres d’art, essentiellement de tableaux. La plupart de ces pièces ont été dispersées en plusieurs ventes publiques de 1841 à 1845. Cependant, une quarantaine de primitifs italiens et surtout un nombre important d’oeuvres des XVIIe et XVIIIe siècles, avec en particulier des natures mortes napolitaines et de grands tableaux religieux, ont été légués à sa ville natale. Ils sont actuellement exposés au musée Fesch, à Ajaccio. Les bâtiments viennent d’être rénovés et les toiles restaurées (Le Quotidien de Paris, 31 juillet 1990).

En conclusion, dans la mesure de ses moyens, le cardinal Joseph Fesch, croyant sincère et prélat actif et consciencieux, s’est efforcé de concilier les intérêts de Napoléon et de l’Église, ce qui n’était pas toujours facile (11).

Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 380
Année : 1991
Mois : déc.
Pages : 31-32

Notes

(1) Pour plus de détails, voir L’archichancelier Cambacérès, par Marc Allégret, SN n° 361, octobre 1988, p. 2-3.
(2) Sur l’archidiacre Lucien Bonaparte, voir colonel H. Ramé, Les ecclésiastiques de la Famille Bonaparte, SN n° 373, oct. 1990, p. 5-6.
(3) Cf. J. Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, t. I, p. 338.
(4) Le portrait de Joseph Fesch, cardinal grand-aumônier, par Charles Meynier, est au Musée national du Château de Versailles (il est reproduit dans l’Histoire de Napoléon par la peinture, par J. Tulard, A. Fierro et J.-M. Léri, Belfond 1991, p. 146). – Son portrait par Pasqualini est au musée Fesch à Ajaccio (il est reproduit in Les grands maîtres et les grands chanceliers de la Légion d’honneur, par A. Chaffanjon, Ed. Christian 1983, p. 188). – Le cardinal Fesch figure également dans le tableau du Sacre, par David (il est à droite de l’autel, au-dessus du maréchal Berthier).
(5) Cf. La notice biographique sur Emery, par Marc Allégret, SN n° 371, juin 1990, rubrique n° 70.
(6) En novembre 1803, c’est la mort de Pauline de Beaumont, qui avait rejoint Chateaubriand à Rome, alors que son épouse était restée à Paris (le Saint-Siège ne devait pas approuver cette situation).
(7) Les armoires de Joseph Fesch, grand-aumônier de l’Empire, sont reproduites in Les grands maîtres et les grands chanceliers de la Légion d’honneur, précité, p. 258.
(8) Le mariage de Napoléon 1er et de l’archiduchesse Marie-Louise, par Georges Rouget, est au Musée national du Château de Versailles (voir l’Histoire de Napoléon par la peinture précitée, p. 229).
(9) Cf. L’Aiglon, par A. Castelot, Lib. Ac. Perrin, 1961, p. 64, et suiv.
(10) Cf. F. Charles Roux, Rome asile des Bonaparte, Hachette 1952, p. 44.
(11) Sources autres que celles citées : Michaud, Biographie universelle, t. 14, p. 33. – Roman d’Amat, Dictionnaire de biographie française, t. 13 (1975), p. 1196. – J. Tulard, Dictionnaire Napoléon, 1987, p. 731. – N. Gotteri, Grands dignitaires du Premier Empire, Nel. 1990, p. 122.

 

Cette biographie fait également partie du dossier thématique « 1769-1793 : la jeunesse de Napoléon Bonaparte »

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