Les débuts d’un poète
Louis de Fontanes est né à Niort, le 6 mars 1757, d’un père protestant et d’une mère catholique. Il avait reçu de la nature une forte constitution et une faculté prodigieuse à tout apprendre. Elevé chez les Oratoriens de sa ville natale, il est déjà passionné par la littérature. Après la mort de son père en 1774, le ministre Turgot lui accorde une pension de 800 francs, que Necker, à la recherche d’économies, fait supprimer trois ans plus tard. La situation du jeune Fontanes est alors difficile. Il vient chercher fortune à Paris et débute dans la carrière littéraire.
Ses poésies, publiées dans le « Journal des Dames » et l' »Almanach des Muses », reflètent alors une douloureuse mélancolie : « Le cri de mon cœur » (1777), « Le jour des morts dans une campagne » (1778), « Le verger » (1788). Il donne une traduction en vers de l' »Essai sur l’homme » de Pope (1783), avec un discours préliminaire qui, d’ores et déjà, fait ressortir les mérites de Fontanes comme prosateur et critique littéraire.
Comme l’a écrit le comte Molé (Souvenirs d’un témoin de la Révolution et de l’Empire, Genève 1943, p. 122) :
« On s’étonna de trouver dans un aussi jeune homme un goût si sûr, un talent aussi mûr, un style aussi élégant et si correct ; on dut surtout admirer la sagacité, je dirai même l’indépendance et la hardiesse avec lesquelles l’auteur analysait le génie de Pascal, appréciait le talent de Voltaire et comparaît certains poètes anglais aux nôtres ».
En 1789, son « poème sur l’édit (de 1787) en faveur des non catholiques » est couronné par l’Académie française.
La Révolution française
Rallié à la Révolution, Fontanes publie un « Poème sur la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 ». Le journal auquel il collabore, « Le Modérateur » est l’organe des monarchies. Selon Chateaubriand, Fontanes sert l’un de ces partis fort stationnaires qui meurent toujours déchirés par le parti du progrès qui le tire en avant et le parti rétrograde qui les tire en arrière ».
Devenu suspect, Fontanes se retire à Lyon, où il se marie en 1792, avec une « femme aimable et spirituelle ». Lors de la sanglante répression de la rébellion de Lyon menée, en novembre 1793, par Fouché et Collot d’Herbois (des milliers de suspects sont massacrés au canon sur la plaine des Brotteaux), Fontanes, qui avait attiré l’attention de la Convention sur ces atrocités, est déclaré proscrit. Il doit prendre la fuite et sa femme donne naissance à leur premier enfant, « au milieu des vignes ». Néanmoins, ils réussissent à revenir à paris et se cachent au domicile de madame Dufrénois (une poétesse de l’Almanach des Muses) (1) jusqu’à la chute de Robespierre.
Après le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), Fontanes réapparaît. Il obtient en 1796, la chaire de littérature à l’Ecole centrale et lors de la fondation de l’Institut il est admis dans la classe de la Littérature et des Beaux-Arts.
Mais au moment du coup d’Etat du 18 fructidor an III (4 septembre 1797) contre les royalistes, Fontanes est menacé d’arrestation et doit s’exiler en Angleterre. Il y retrouve Chateaubriand et se lie d’amitié avec lui. Il quitte Londres le 3 juillet 1798 et revient en France par Amsterdam et Francfort. Désormais, il vit à Paris, dans un petit logement de la rue Saint-Honoré, près de Saint-Roch.
Au lendemain du 18 Brumaire an VIII, Fontanes adresse une lettre au Premier Consul, pour lui demander l’annulation de la mesure de déportation qui le frappait.
Le Consulat et les premières années de l’Empire
Sur ces entrefaites, le Premier consul décide de faire prononcer l’éloge funèbre de George Washington. Il dit « Washington est le seul homme qui soit sur ma ligne… Je veux qu’il soit loué dignement et publiquement… Qui choisir ? »
Maret répond sans hésiter : « Fontanes ». Mais, comme on fait remarquer qu’il figure encore sur la liste des déportés, Napoléon réplique :
« N’est-ce que cela ? Je le raye de cette liste ; c’est lui qui prononcera l’oraison funèbre et je veux que ce soit le 20 pluviôse (8 février 1800), dans le Temple de Mars » (la chapelle des Invalides). Fontanes n’eut que six jours pour s’y préparer…
Fontanes écrit à son grand ami Chateaubriand : « je crois fermement, depuis le 18 Brumaire, que le Premier consul changera et réformera le monde ; il sera une grande époque historique. Attachons-nous fortement à la destinée de celui qui mènera tous les autres ». (2)
D’autre part Fontanes est très lié avec Lucien Bonaparte et Elisa Bacciochi. Le frère et la sœur de Napoléon s’efforcent d’attirer les écrivains, les artistes, et les intellectuels de l’époque. Lucien, ministre de l’Intérieur, avait fait connaissance de Fontanes, avec « empressement et plaisir » et, dès lors, l’avait rattaché à son ministère. Chateaubriand qui, à la demande de Fontanes et d’Elisa, avait été rayé de la liste des émigrés, est également accueilli. (3)
Bientôt, Elisa reçoit chez elle, dans son hôtel Maurepas (acheté en mars 1803), situé au n°7 de la rue de la Chaise à Paris (7e arr.), ainsi que dans sa maison de campagne, la Folie Saint-James à Neuilly. Fleuriot de Langre (Elisa, 1947, p. 15) raconte :
« Sous les ombrages du parc Saint-James, Fontanes lit les meilleures pages du « Génie du christianisme ». Avec son art du bien dire, il détaille les beautés profondes de cette œuvre… A sa voix, la plus lettrée de la famille, voire la seule, prend feu et s’enthousiasme pour l’auteur. « Ah ! au nom de la littérature, souffrez que je vous embrasse, monsieur de Fontanes ! ».
Fontanes était l’ami et « s’il faut le dire, l’amant de madame Bacciochi » (Molé, op. cit., p. 151-153). Ces galants tête-à-tête durèrent jusqu’à ce qu’Elisa, devenue princesse de Lucques et de Piombino, en 1805, parte régner dans ses Etats. (4)
La faveur et l’ascension de Fontanes continuent. Il est élu député au Corps législatif (1802), décoré de la Légion d’honneur, membre de l’Institut réorganisé (1803), président du Coprs législatif (janvier 1804). Dans les discours qu’il prononçait en cette dernière qualité, on lui reprochait généralement des adulations excessives envers le régime, le Premier Consul, puis l’Empereur. Mais, à côté des louanges, il savait habilement formuler des observations assez critiques. C’est pourquoi la Police impériale a toujours refusé la publication du recueil de ses discours. Après Iéna, Fontanes prononce le discours officiel, lors de la translation aux Invalides, le 17 mai 1807, de l’épopée de Frédéric-le-Grand.
Grand-maître de l’Université impériale
Ensuite, il est nommé, le 17 mars 1808, Grand-maître de l’Université impériale. En mai, il est fait comte de l’Empire et en 1810, il entre au Sénat. Dans les conseils privés, Fontanes avait approuvé l’Empire, le sacre et opiné pour le divorce (« Nous savons, avait-il dit à Napoléon, tout ce que ce sacrifice doit vous coûter »).
Ainsi, Louis de Fontanes accédait à la plus haute fonction de l’Université impériale. Littérateur en renom, habile à flatter, notoirement catholique mais d’une ferveur modérée, il avait été préféré à Fourcroy, conseiller d’Etat, ancien conventionnel incroyant, à qui on devait l’élaboration de textes sur l’Université. Fontanes avait une situation presque égale à celle d’un ministre et son traitement avait été fixé à 100 000 francs (5). D’après son portrait, par Alphonse Lavauden, (Musée historique de Versailles, in Napoléon, Ed. Rencontre, t. 5, p. 22) : il a le visage coloré d’un bon vivant, il est corpulent, « carré comme un Limousin » et imposant dans son somptueux costume de Grand-maître.
Dans les conseils, Napoléon a nommé des hommes tels que l’abbé Emery (6), le protestant Cuvier et, sur les instances de Fontanes, le philosophe de Bonald. De son côté, le Grand-maître a désigné de nombreux ecclésiastiques pour les fonctions de conseillers ordinaires, inspecteurs généraux et recteurs d’académie. Napoléon a réagi : en juillet 1810, il fait rapporter la nomination d’un prêtre fanatique » comme principal du collège de Quimper et informe Fontanes que « c’est avec les préfets qu’il doit correspondre et non avec les évêques ». (5)
On peut observer que Fontanes a favorisé les études classiques et humanistes alors que Napoléon préférait les matières scientifiques et techniques, avec une discipline quasi militaire dans les lycées et collèges. Mais, l’un et l’autre voulaient, pour la jeunesse, les forces de la morale et de la religion.
Entre Iéna et Wagram, Napoléon a dit : « Fontanes, savez-vous ce que j’admire le plus dans le monde ? C’est l’impuissance de la force pour organiser quelque chose. Il n’y a que deux puissances dans le monde, le sabre et l’esprit. J’entends par l’esprit, les institutions civiles et religieuses. A la longue, le sabre est toujours battu par l’esprit » (7).
La fin de l’Empire
En 1814 Fontanes vote la déchéance de Napoléon et le 3 mai, jour de la rentrée de Louis XVIII à Paris, il prononce un discours enthousiaste (il évoque « les temps douloureux » et les « longues calamités » du passé). Compte tenu de sa position antérieure, c’était pour le moins, inconvenant et indécent.
Sa fonction de Grand-maître de l’Université est maintenue et, en juin, il siège à la Chambre des Pairs. cependant, il fait l’objet d’un pamphlet dénonçant l’inconsistance de ses convictions (non sans raison). En février 1815, l’organisation de l’Université est modifiée et la fonction de Grand-maître supprimée. En compensation, Fontanes reçoit le Grand-Cordon de la Légion d’honneur.
Lors du retour de l’Ile d’Elbe, son attitude est ambiguë. Selon une version, celle de ses amis, il se serait réfugiait en Normandie et aurait refusé de reprendre la fonction de Grand-maître de l’Université impériale. Selon une autre version, c’est l’Empereur qui ne l’aurait pas voulu.
À Sainte-Hélène, Napoléon a déclaré :
« Le sieur de Fontanes avait été distingué par l’Empereur qui, l’ayant retiré de la place secondaire de commis dans le ministère de l’Intérieur, l’avait successivement élevé au rang de président du Corps législatif et de Grand-maître de l’Université. Fontanes était aussi un des fructidoriens que l’Empereur avait rappelés de l’exil et qui lui devaient leur retour dans leur patrie. Toutes les fois qu’il eut l’occasion de se présenter devant le trône, les discours de Fontanes fixèrent l’attention publique par la pureté et l’élégance du style, c’est un de nos bons écrivains, mais aussi par la chaleur du dévouement et l’affection qu’il portait à l’Empereur. Arrivé à la dignité de Grand-maître de l’Université, place qui lui donnait plusieurs centaines de mille francs de revenus, ses discours furent encore dans le même sens. Il avait été sénateur.
« Or, en 1814, il fut l’un de ceux qui se comportèrent le plus mal et mirent le plus en évidence leur trahison… Au retour de l’Empereur… lorsqu’il sut que l’Empereur voulait rétablir la place de Grand-maître de l’Université, il voulut faire valoir ses droits à cette place, qui était inamovible… L’Empereur lui fit demander comment il oserait se présenter devant cette jeunesse dont la mémoire était chaste et qui savait par cœur ses discours de 1813 et de 1814, et s’il ne craignait pas de donner un exemple d’immoralité à toute la génération qui s’élevait… il reçut l’assurance qu’il ne serait point recherché. » (André Palluel : Dictionnaire de l’Empereur, Plon, 1969, p. 479).
La Restauration
Sous la Restauration, Louis de Fontanes est membre de la Chambre des pairs (où il vote contre la mort du maréchal Ney) et du Conseil privé de Louis XVIII. Par lettres patentes du 31 août 1817, le Roi lui confère le titre de marquis. Il meurt à Paris, le 17 mars 1821, à l’âge de 64 ans, d’une attaque d’apoplexie et il est inhumé au cimetière du Père Lachaise (37e division) (8)
► Lire en complément > « Louis de Fontanes, poète et grand maître de l’Université impériale« , par Marc Fumaroli, in « Revue d’histoire littéraire de la France » 2003/3 (Vol. 103), pages 683 à 691
► Lire en complément > « Napoléon Ier, organisateur de l’Université impériale« , par Jacques-Olivier Boudon (sur napoleon.org)
Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 386
Pages : 21-22
Notes
(1) Sur Mme Dufrénois, voir Dictionnaire Napoléon, 1ère édition, p. 627
(2) Cf Dictionnaire Napoléon, Fontanes par J. Tulard, p. 743
(3) Par ailleurs, à cette époque, Fontanes se rendait souvent chez Mme de Beaumont à Savigny-sur-Orge, puis à Paris, où il rencontrait Joubert, Chateaubriand et ses amis, Pasquier, Molé (Souvenirs de Molé, p. 127). Pauline de beaumont était passionnément éprise de l’Enchanteur (« il joue du clavecin sur toutes mes fibres »).
(4) Voir aussi : Elisa, une maîtresse-femme, par Charles-Otto Zieseniss (Revue du Souvenir Napoléonien, n° 263, avril 1972, p. 7 à 9)
(5) L’université impériale, par Charles Durand (Napoléon, Rencontre, 1969, t. 5, p.23 et s.)
(6) Sur l’abbé Emery, voir M. Allégret (Revue du Souvenir Napoléonien, n° 371, juin 1990)
(7) Œuvres de M. de Fontanes, Hachette 1839, t. 1, notice biographique par Sainte-Beuve
(8) Autres sources : Michaud, Biographie universelle, t. 14 ; Roman d’Amat, Dictionnaire de biographie française, t. 14, Paris, 1979 ; Oeuvres de M. de Fontanes, 1839, t. 2