MIREUR François (1770-1798), général de brigade

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« Mireur est une figure curieuse, et qui a joué un rôle dans l’histoire de la culture française : jeune médecin à Montpellier, il importa le premier La Marseillaise à Marseille ; brillant officier, il disparaitra prématurément six ans plus tard, général de brigade, en Égypte. »
Torval Höjer, biographe de Bernadotte

« La république fait une perte réelle. Mireur était l’officier le plus brave que je connusse ; toujours à l’avant-garde, son sommeil était inquiet si l’ennemi n’était pas en face. »
Napoléon Bonaparte, apprenant la mort de Mireur au Directoire

MIREUR François (1770-1798), général de brigade
Général Mireur, terre cuite anonyme, © Montpellier, faculté de médecine

Étienne François Mireur est né à Escragnolles le 5 février 1770 dans une famille bourgeoise. Baptisé quatre jours après sa naissance, il est le deuxième fils de Suzanne Maurel et de Pierre Mireur qui lui inculqua une éducation stricte, enseignant la droiture, le courage et la rigueur.

Avant de devenir soldat pendant la Révolution, François assura la gestion des domaines familiaux et se consacra parallèlement à des études de médecine. Entièrement financées par son père, il étudia au Collège de Grasse puis intégra l’Université de Montpellier en novembre 1789 à l’âge de 19 ans. Mais la Révolution française échauffa les esprits et François fut attentif à chaque grand événement : la convocation des États-Généraux, la prise de la Bastille ou la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen sont autant d’évènements qui le passionnèrent. Il finit par défendre les jacobins et épousa la cause de la Révolution et de la République en rejoignant entre autres la « Société des amis de l’égalité et de la constitution » à Montpellier.
Les premiers faits d’armes de Mireur interviennent la nuit du 1er au 2 mai 1790 lorsque, alors capitaine de la garde, lui et plusieurs hommes prirent d’assaut la citadelle de Montpellier, surnommée « la Bastille de Montpellier ». Mireur commença à se faire une réputation ; ses interventions remarquées, et jugées remarquables lors de multiple séances, l’amènent à faire de nombreuses propositions innovantes pour l’époque. Il suggéra ainsi de rendre public les séances des conseils municipaux, d’assurer la gratuité de l’enseignement pour les enfants, ou encore d’apposer le texte de la déclaration des Droits de l’Homme dans les écoles publiques.
Le 8 juin 1792, l’Assemblée Nationale vota une loi afin de créer un camp de 20 000 hommes chargés de défendre la capitale. C’est dans ce contexte que François Mireur s’engagea parmi les Fédérés en signant le registre des volontaires de Montpellier pour devenir soldat. 

Mireur et La Marseillaise

Quelques jours plus tard, le 17 juin 1792, Mireur rencontra un soldat strasbourgeois venu assister à un rassemblement patriotique. Ce dernier lui entonna un chant crée par un certain Rouget de Lisle, officier français. Composé en l’honneur de l’armée du Rhin, ce chant vigoureusement guerrier – mais surtout prorévolutionnaire – attira l’attention de Mireur.
Le 22 juin, lors d’une rencontre au siège jacobin de Marseille, Mireur prononça un discours digne des plus grands orateurs. Ce fut un véritable succès, ses talents de tribun impressionnèrent mais plus encore sa reprise du chant entendu quelque jours auparavant. Les paroles décrivant la défense de la patrie face aux armées étrangères, représentés par de « féroces soldats », firent de ce nouvel air militaire un triomphe, si bien qu’il fut imprimé le 23 juin dans le Journal des départements méridionaux. Le Chant de guerre pour l’armée du Rhin fut rebaptisé et devint Le chant de guerre des armées aux frontières. À la suite au vote de l’Assemblée nationale pour la levée des volontaires, Mireur fut nommé à l’état-major pour coordonner la marche de tous les volontaires méridionaux vers Paris. Lors de cette montée des Fédérés marseillais qui débuta le 2 juillet, le chant fut entonné à plusieurs reprises.
Ainsi, sans le savoir, Mireur contribua à une large diffusion de ce qui deviendra la Marseillaise, pourtant composée seulement quelques mois plus tôt.

Mireur et ses exploits militaires

Mireur continua de gravir les échelons. Durant ce même mois de juillet, il est nommé Capitaine du 9e bataillon des Fédérés. Dans une lettre adressée à son père, il justifiait son engagement parmi les volontaires : « Si le sacrifice de ma vie peut être de quelque utilité à ma patrie, je suis au comble de mes vœux ». Il poursuivait en disant : « Le patriotisme me donne de la force. »
De 1792 à 1794, il participa à de nombreuses batailles (dont Valmy) avec l’armée du Nord et prit part à la campagne de Belgique (bataille de Neerwinden entre autres). Il se rendit également en Hollande et en Allemagne ; blessé à de nombreuses reprises, il fut nommé le 13 août 1795 adjudant général et chef d’état-major du général de brigade Bernadotte avec qui il se lia d’amitié. Ce dernier l’ajouta d’ailleurs dans son cercle proche et lui confia de nombreuses missions périlleuses. Il testa par ailleurs la technique du « ballon captif », un nouveau moyen de reconnaissance qui consistait à s’élever dans le ciel à plus d’une centaine de mètres de hauteur.

Fin 1796, Bonaparte réclama des renforts pour l’Armée d’Italie. Mireur, accompagné de Bernadotte, arriva à Milan en février 1797 et s’illustra lors de la bataille de Tagliamento, le 16 mars, et à la prise successive de plusieurs villes stratégiques (Gradisca, Triestre, Laybach). Napoléon écrit ainsi au Directoire : « Le général Bernadotte, ses aides de camp, ses généraux, ont bravé tous les dangers. Je vous demande le grade de général de brigade pour l’adjudant-général Mireur. ». Ce fut chose faite le 2 avril 1797 et Napoléon en profita pour lui confier le commandement d’une brigade de cavalerie.

Lorsque le Directoire ordonna par la suite l’invasion des États pontificaux afin d’y créer une république, Berthier fut chargé d’y conduire les opérations avec, sous ses ordres, le général Mireur. Cette mission l’enthousiama : il voyait en Rome les origines de la culture républicaine française. Le 29 janvier 1798, ils entrèrent tous deux dans « la Ville éternelle » et la République romaine put être proclamée. Mais Mireur dû faire face à de nombreux débordements : les soldats qui ne reçurent pas leurs soldes pillèrent Rome. Ces initiatives étaient notamment soutenues par le gouvernement français qui y voyait un moyen de payer les soldats et d’enrichir les collections des musées français.
Berthier fut rappelé en France pour travailler sur un projet d’invasion de l’Angleterre et Masséna, qui soutenait l’initiative des soldats, fut nommé pour le remplacer. Mais cela provoqua des remous : l’Armée du Nord, étant très portée sur la discipline (comme Mireur), condamna fermement toute forme de pillage et se souleva contre la venue de Masséna. Retranchés au Panthéon, ils s’opposèrent aux ordres de Masséna et des différents généraux d’Italie.
Face à ces tensions internes, le gouvernement français finit par reculer et le général Dallemagne fut envoyé pour apaiser la situation
. François Mireur, dans une nouvelle lettre adressée à son père expliquait d’ailleurs : « Comme beaucoup de personnes ont fait des fortunes énormes à l’armée d’Italie, et d’une manière assez illicite, je suis bien aise de vous faire part comment je tiens cet argent ».
Puis il ajoutait dans sa lettre la façon dont il avait trouvé près de l’équivalent de 6 millions de francs dans une mine à l’ouest de la Slovénie actuelle : « Dans une course que j’ai faite dans la Carniole […] j’ai découvert une mine d’argent vif, d’où l’on avait exploité douze à treize mille caisses, ce qui pouvait valoir cinq à six millions. […] Comme j’ai été avec mon détachement d’une très grande utilité à M. Collot [entrepreneur de subsistance militaires], il a fait un cadeau à tous les officiers de l’état-major de la division ; il m’a donné, à moi, une lettre de change de onze mille livres payables à Gênes ».

De cette découverte colossale, Bonaparte aurait reçu un million de livres et cinquante mille livres auraient été distribués à Bernadotte et à Murat. La somme perçue par Mireur lui-même lui permit d’acquérir une maison de campagne à Fayence (qui resta dans la famille jusqu’en 1970). Trop méconnue, la contribution de la découverte de la mine d’Idria à la carrière de Bonaparte n’est pourtant pas anodine : son revenu lui permit de se conforter le général dans sa position de tête montante à Paris et en Europe. Cet argent lui permit par ailleurs d’acheter l’hôtel de la rue de la Victoire (anciennement « rue Chantereine »), que sa femme Joséphine louait depuis trois ans.

À la suite de cette découverte exceptionnelle et de son aventure italienne, Mireur fut rappelé par Bonaparte pour rejoindre l’armée d’Angleterre dont le nom cachait en réalité un autre projet plus exotique : l’expédition d’Égypte.
Mireur participa à l’expédition et reçut le commandement de la cavalerie de l’avant-garde. Après de violents combats, la ville tomba le 2 juillet 1798 et Bonaparte se rendit ensuite au Caire. Pour ce faire, il décida de diviser son armée en deux :  une partie longeant le Nil, l’autre coupant à travers le désert. Mais cette traversée se révéla bien plus compliquée que prévu. Véritable supplice, la chaleur priva rapidement les soldats d’eau, lorsque celle-ci n’était pas empoisonnée dans les puits par les bédouins qui les harcelèrent tout le long du voyage. Certains pensaient à la mutinerie pendant que certains envisageaient de se suicider.
À Saint Hélène, Bonaparte confia : « L’armée était frappée d’une mélancolie vague que rien ne pouvait surmonter ; elle était attaquée de spleen… ». Le 8 juillet, Bonaparte arrive enfin à Damanhour, petite bourgade sur le chemin du Caire. Étant donné la situation délicate, et le moral des troupes qui est au plus bas, il organisa un conseil de guerre réunissant ses différents généraux.
Selon les écrits du Général Desvernois, voici ce que Mireur aurait déclaré à Bonaparte : « Au lieu de mettre le pied en Égypte, il était prudent, une fois Malte conquise, de revenir sur la Sicile et de s’en emparer. […] Dès lors, toute la Méditerranée nous appartenait […]. Toutes ces grandes choses sont encore faciles à exécuter si l’armée regagne au plus vite ses vaisseaux et ses transports. On reviendra en Égypte plus tard, sans crainte de la marine anglaise. »
Bonaparte refusa cette solution, reprochant à Mireur son manque de courage dans cette proposition et lui retira son commandement. Il le remplaça par son beau-frère, le général Leclerc.Ce fut une humiliation pour Mireur qui décéda le lendemain, donnant lieu à de multiples thèses sur les vraies raisons de sa mort.

Selon Bonaparte, Mireur aurait perdu la raison, gravement préoccupé par la situation et aurait attaqué seul une colline tenue par des bédouins. Dans une lettre datée du 24 juillet 1798, il expliqua : « Nous avons été continuellement harcelés par des nuées d’Arabes qui sont les plus grands voleurs et les plus scélérats de la terre, assassinant les Turcs comme les Français, tout ce qui leur tombe dans les mains. Le général de brigade Mireur et plusieurs aides de camp et officiers de l’état-major ont été assassinés par ces misérables ».
Une deuxième hypothèse affirmait qu’il aurait été tué dans un piège tendu par ces mêmes bédouins alors qu’il inspectait des avant-postes. Napoléon, bien des années après ce qu’il avait écrit sur le coup, avança cette autre théorie dans ses mémoires concernant la campagne d’Égypte  : « Le général de brigade Mireur, se rendant d’un bivouac à un autre malgré les observations que lui firent les grand-gardes, fut surpris dans une petite vallée à cent pas d’elles par quatre Arabes, percé de coups de lance et complètement dépouillé. » Il s’agirait de la thèse la plus probable ; étant remplacé par Leclerc, Mireur aurait logiquement pu vouloir saluer une dernière fois les hommes placés sous son commandement jusque là.

D’autres thèses plus ou moins plausibles furent également mises en avant. Certains soutenaient l’idée qu’il se serait fait assassiner à l’extérieur du camp par des bédouins en tentant de monter un pur-sang arabe acheté à Alexandrie ; d’autres privilégiaient l’idée d’un suicide par arme à feu, sans rapport avec des bédouins, mais en lien direct avec sa confrontation avec Bonaparte.

Auberge dans laquelle Napoléon rencontra Suzanne Mireur © DR
Auberge dans laquelle Napoléon rencontra Suzanne Mireur © DR

Ce dernier semble avoir été profondément affecté par la disparition de Mireur. En 1814, revenant de l’île d’Elbe pour les Cent-Jours, il rendit visite à sa mère, Suzanne, dans le village d’Escragnolles.
Cette dernière lui aurait reproché la mort de son fils. En signe de compassion, l’Empereur lui versa 500 francs en pièce d’or. Face à ce geste, Suzanne Mireur lui aurait dit : « J’aimerais, Sire, pouvoir vous témoigner ma gratitude pour votre geste. Hélas ! Tout l’or du monde ne suffira jamais à me rendre mon fils. Jamais au grand jamais. Alors, tout simplement, merci de votre visite. Et que Dieu vous garde ! ».

François Mireur, dont la vie fut courte mais intense, fut l’objet de nombreuses plaques ou signes commémoratifs dans des villes du sud comme Montpelier, Marseille ou Fayence. Malgré sa faible notoriété, Mireur avait tout pour devenir une source d’inspiration à la vue de tout ce qu’il avait accompli en moins de 10 ans. Son destin héroïque en a inspiré plus d’un, en témoigne le passage du général de Gaulle à Escragnolles le 23 octobre 1960.

Signature de François Mireur © DR
Signature de François Mireur © DR

Timothée Richard
Mai 2023

Timothée Richard est étudiant à l’Institut catholique de Vendée/ICES en master d’Histoire vivante. Il est en 2022-2023 en alternance à la Fondation Napoléon.

Sources

• « Dr François Mireur, propagateur de La Marseillaise et général de brigade », Bulletin de liaison de la délégation du Souvenir napoléonien de Nice-Alpes Maritimes, 25, Avril 2022, p.15 à 33.
Un volontaire de 1792, Jean Lombard, 1892, disponible à la consultation sur place à la Bibliothèque Martial-Lapeyre.
• « Un volontaire de 1792, François Mireur, 1770-1798 » par Yannick Mireur, tiré des livres de Jean Lombard (cité ci-dessus) et de Bernadotte, maréchal de France, de Torvald Höjer (1943).

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