PERCY, Pierre-François, (1754-1827), chirurgien

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PERCY, Pierre-François, (1754-1827), chirurgien

En 1793, sous les boulets de 12 pièces d’artillerie, pierre-François Percy, tout chirurgien en chef de l’armée de la Moselle qu’il fût, traversait le pont de Mannheim portant sur son dos un officier blessé. Quelques années plus tôt, c’est le même médecin qui écrivait, manchettes de dentelle aux poignets, d’étincelants mémoires sur « les bistouris » ou « la ligature des vaisseaux » que la vétilleuse Académie royale de chirurgie primait d’enthousiasme. C’est également le même, qui, en 1800, tentait de faire adopter par les belligérants le principe de la neutralité des hôpitaux et des personnels de santé. Ne l’ayant obtenu, il n’est de champ de bataille où il ne paye lui-même de sa personne. C’est encore lui, qui, au début de la Restauration, frappait Louis XVIII d’admiration pour la qualité… de son latin. À première vue, la personnalité de cet athlétique Franc-Comtois, né à Montagney-lès-Pesmes en 1754, est multiforme. À y regarder de plus près, elle n’apparaît tendue que dans un seul but : l’amélioration du sort des blessés, que celle-ci porte sur les connaissances du chirurgien, sa technique d’intervention, sa rapidité d’apparition ou sur les moyens mis à sa disposition. Avec, en propre, deux traits de caractère : un rare courage, tant physique que moral, et un esprit d’indépendance de même calibre.
Élève de Louis, Percy entre dès 1776 dans le service de santé alors en création. Plume à la main, serait-on tenté d’écrire. En garnison à Lunéville ou ailleurs, il ne cesse d’adresser des mémoires aux société savantes de l’époque. Une quinzaine d’entre eux, primés, lui vaudront, dans les milieux intellectuels où se forge la Révolution, un début de réputation.

À partir de 1793, Percy est très vite chargé des responsabilités – sur le papier du moins – du service de santé des armées de la République, qu’il conservera sous l’Empire. Le plus souvent, là où elles se battent et des généraux, tels Jourdan, Lecourbe ou Moreau, sous son charme, vont même le laisser fouiner dans les parcs d’artillerie. Ainsi nait le « wurst » (saucisse, en allemand), long caisson véhiculant huit chirurgiens à califourchon. L’engin sera finalement écarté, mais il reflète bien l’obsession de Percy : porter au plus vite, voire quand la poudre parle encore, des secours appropriés aux victimes des combats sur les lieux même ou elles gisent. Une semblable préoccupation l’anime en 1800, lorsqu’il pousse Moreau à négocier avec le général Autrichien Kray le statut de l’inviolabilité des ambulances. Non seulement les troupes – amies ou ennemies – ne devaient pas s’en approcher mais encore fallait-il qu’à proximité « elles observent le silence et fassent cesser le bruit des tambours et instruments. » Mais Kray refuse cette Croix Rouge avant la lettre ; l’idée, esquissée pour la première fois lors de la guerre de Sept Ans, est de nouveau balayée. Il faudra désormais attendre Solférino.

Mais au chevet de ces blessés, il faut des chirurgiens compétents et sûrs d’eux. D’où ce projet, directement inspiré de l’armée prussienne que Percy mitonnera des années : à la tête du service de santé, un chirurgien-major général des armées, flanqué de trois chirurgiens-majors inspecteurs généraux, dirigeant seize chirurgiens-majors supérieurs, 260 chirurgiens-majors, 260 aide-majors, 800 sous-aides et 400 aspirants. Et les médecins dans cette réorganisation ? On n’a que faire d’eux aux armées, pense Percy, qu’ils regagnent les hôpitaux de derrière, voire la vie civile ! En 1807, à Varsovie, Napoléon semble, au moment où il congédie Coste, ne pas être bien éloigné du schéma du chirurgien. Durant quelques jours, celui-ci semblera même croire que l’Empereur va incessamment l’entériner. Mais ce n’est qu’un mirage, médecins et chirurgiens resteront à leur place, c’est-à-dire dans le flou. Percy n’aura pas plus de succès avec infirmiers et brancardiers.
Une autre idée à laquelle il s’attachera beaucoup relève de la technique. Aux bivouacs de la Grande Armée, les ambulances se repèrent par des pyramides de jambes ou de bras coupés. Si ces membres sont sectionnés au niveau d’une articulation, c’est l’ambulance de Larrey ; s’ils le sont à tort et à travers, c’est celle d’un autre. Lui tentera de les conserver le plus souvent possible, prônant, non l’amputation, mais la résection (blocage) du membre touché. Avec un certain succès tant qu’il opérera lui-même, plus particulièrement au niveau du membre supérieur : « J’ai ainsi conservé à une foule de gens des bras condamnés à la destruction totale » commentera-t-il plus tard avec sobriété.

À défaut de l’écouter, Napoléon l’aura honoré. À la tête du service de santé, professeur à la faculté de médecine de Paris, baron, ; commandeur de la légion d’honneur, les titres et les fonctions pleuvent. En 1807, il ose même être candidat à l’Académie des sciences contre Corvisart : le premier chirurgien de la Grande Armée contre le premier médecin de l’Empereur… Corvisart est au faîte de son influence, et pourtant son concurrent l’écrase. Signe des temps, mais également hommage à la personnalité de celui-ci. Larrey, qui porte aussi l’uniforme bleu barbeau, patientera vingt-cinq ans avant de franchir le seuil de l’Institut.

En 1809, Percy, souffrant d’une ophtalmie persistante, quitte la Grande Armée et assure son enseignement à la faculté de Paris. Les étudiants se souviendront d’un maître savant et bienveillant autant que peu ponctuel. En 1811, le doyen Leroux lui inflige une amande de 20 francs pour retard constant aux examens. Lors de la Première Restauration, tout se passe bien, le chirurgien connaissant les œuvres d’Horace mieux encore que Louis XVIII dont c’est le livre de chevet. Le roi est ravi. Mais, lors des Cents-Jours, Percy a la malencontreuse idée non seulement de reprendre du service aux armées, mais également de se faire élire député, ce qui fait beaucoup. Au second retour des Bourbons, c’est la mise à la retraite sans manières. Retiré près de Meaux, le chirurgien oriente alors sa plume dans des axes nombreux : des notes pour ses mémoires qu’il n’aura pas le temps de rédiger lui-même, une centaine d’articles pour le Grand Dictionnaire des sciences médicales, d’autres, pour le journal Hygie, des notices sur les thèmes les plus variés – l’une des plus érudites est consacrée à l’omelette dans l’histoire – des lettres, toutes aigres, adressées à son ancienne administration, diverses polémiques enfin. Il meurt en 1827.
Le nom de Percy est gravé sur l’Arc de Triomphe, comme ceux de Larrey et de Desgenettes (ce dernier repêché in extremis). S’il n’y avait dû en avoir qu’un, le contexte politique du moment aurait sans doute désigné Larrey, l’Histoire vraisemblablement Percy. Certains contemporains ne s’y trompèrent d’ailleurs pas : Lorsque Gros peignit Le Champ e bataille d’Eylau, Larrey multiplia démarches et interventions pour y trouver place. Percy garda le silence. C’est lui pourtant qui figure sur l’immense toile. Soutenant un blessé.

Jean-François LEMAIRE

Source : Dictionnaire Napoléon, Jean Tulard (dir.), Fayard
Avec l’aimable autorisation des éditions Fayard.

consultez le dossier thématique « Vivre et mourir dans la Grande Armée (2023)

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