De la campagne de France au départ pour l’île d’Elbe, pas à pas

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Avant janvier : la marche vers l’invasion de la France

– 7 NOVEMBRE 1813 : LA FIN DE LA CAMPAGNE DE SAXE
Après avoir atteint le 2 novembre au matin la forteresse de Mayence, Napoléon y resta six jours et tenta de reconstituer ce qui restait de son armée. Sur 70 000 hommes, quelques milliers étaient atteints de typhus et seuls 30 000 hommes répondaient « Présent ! » sous le drapeau. Comme il l’indiqua dans une lettre qu’il écrivit à Cambacérès ce jour-là : « Je tâche d’y rallier, d’y reposer et d’y réorganiser l’armée ». Cambacérès avait bien compris le message : « L’armée est dispersée, épuisée et désorganisée ». Pendant ce temps, la Confédération du Rhin s’effondrait un peu plus : le duc Louis de Darmstadt et Frédéric de Wurtemberg rejoignaient les Alliés ce jour-là même. Napoléon se mit en route incognito pour Paris le 7 novembre, en vue de commencer les préparatifs pour la poursuite des conflits.

– LE 2 DÉCEMBRE 1813 : « ORANJE BOVEN ! » : GUILLAUME IER D’ORANGE, PRINCE SOUVERAIN DES PAYS-BAS…
Le 30 novembre marqua le retour, après dix-neuf ans d’exil, du Prince d’Orange aux Pays-Bas, accueilli à Scheveningen triomphalement après les révoltes des grandes villes de Hollande (cf. Lettre d’info n°690), soutenues aussitôt par la Grande-Bretagne et la Prusse. Arrivé à Harlem le 1er décembre, il déclara : « Je suis venu parmi vous, déterminé à pardonner et oublier le passé ». À Amsterdam, le lendemain 2 décembre, une date étrangement ironique (voir le début de cette lettre d’information), Guillaume Ier d’Orange était proclamé prince souverain des Pays-Bas par le gouvernement provisoire hollandais…
L’évacuation de la Hollande par les Français fut rapide, malgré la résistance de quelques places fortes comme Breda ou Berg-op-Zoom. D’autres fronts se préparaient en effet déjà pour la Grande Armée : Rapp avait capitulé après onze mois de siège à Dantzig le 29 novembre, et les armées alliées s’apprêtaient à pénétrer en France puisque, dans la foulée de la Hollande, la Belgique échappait également au contrôle français. Le 4 décembre, la coalition faisait la Déclaration de Francfort par laquelle les Alliés affirmaient solennellement être en guerre contre Napoléon et non contre la France.

– 9 DÉCEMBRE 1813 : LA BATAILLE DE CINQ JOURS (NIVE ET SAINT-PIERRE) AUTOUR DE BAYONNE
Après une longue période de temps humide dans les Pyrénées, le soleil était enfin sorti et Wellington, confiant dans cette accalmie et dans les nouvelles de la défaite de Napoléon à Leipzig, décida d’avancer sur la forteresse clé de Bayonne le 9 décembre 1813. Malgré des routes encore gorgées d’eau, il lança une attaque indécise sur les positions françaises situées avant la ville de Bayonne. Soult pensait que Wellington était en situation défavorable, car les troupes de ce dernier avaient été séparées par la rivière en crue de la Nive. Il lança une contre-attaque le jour suivant mais elle échoua, à cause des conditions météorologiques, mais aussi de la nature accidentée du terrain. En l’absence d’une ligne de bataille précise, les détachements des deux belligérants étaient soit cernés soit attaqués par derrière. Les troupes britanniques et alliées tinrent bon cependant, et ces deux journées d’affrontement finirent dans une impasse, les deux parties ayant perdu environ 2 000 hommes. Wellington tentait de consolider sa position autour de Bayonne, quand Soult décida à nouveau de profiter de la position « fausse » des troupes du général anglo-irlandais, de part et d’autre de la Nive. Devant Saint-Pierre d’Irube, le Français attaqua l’aile droite britannique qui était sous les ordres de Hill, coupée du reste de l’armée à cause du niveau si élevé de la Nive qu’un ponton allié avait été balayé. Une fois de plus, les troupes britanniques et alliées résistèrent à l’attaque française : certaines divisions portugaises s’illustrèrent à sauver la mise aux Britanniques. Soult fut obligé de se replier sur Bayonne après avoir perdu près de 6 000 hommes sur cinq jours ; ce n’était là que 800 pertes de plus que ses adversaires mais l’Histoire allait retenir que la défaite était française. La France était menacée d’invasion désormais et les contingents étrangers au sein de l’armée française (allemands ou italiens, autour de Bayonne), quand ils n’étaient pas renvoyés, retournaient spontanément chez eux en traversant la France. Or les ordres de Napoléon avaient été de les désarmer et de les interner loin de toute ligne de front.

Janvier 1814 : premiers affrontements dans la Champagne

– 7 JANVIER 1814 : LE ROI DE NAPLES FAIT DÉFECTION, LA FRANCE EST FRAGILISÉE AU SUD

Dès fin août 1813, une armée autrichienne marchait sur l’Italie du vice-roi Eugène, défendue par une armée mal équipée et inexpérimentée de 56 000 hommes où les Français étaient minoritaires. Murat, retourné à Naples le 5 novembre, put constater l’agitation qui gagnait les régions les plus antifrançaises et entama des négociations aussi bien avec l’Autriche que les nationalistes italiens. Le roi de Naples se ménageait ainsi plusieurs issues possibles. Tout en se concertant avec les Autrichiens, il ne s’interdisait pas de favoriser l’indépendance italienne dans un royaume unifié sous le règne d’un roi (Eugène… ou lui-même) non hostile à l’Empereur… mais hors de l’Empire. Ce nouveau statut de l’Italie aurait théoriquement paralysé tout besoin d’intervention directe sur le sol italien de la coalition. L’Empereur resta sourd aux lettres de Murat lui exposant ce plan. Certaines rumeurs l’incitaient à se méfier de lui : le bruit courait que les troupes napolitaines désarmaient les troupes d’Eugène à Rome. Napoléon envoya Fouché durant le mois de décembre s’enquérir de la position du roi de Naples. Loin de l’informer des intrigues en cours, Fouché retarda ses rapports négatifs. À la confirmation de ces pourparlers, Napoléon déclara : « une trahison aussi infâme, si elle pouvait exister, retomberait sur son auteur ». Le 31 décembre, l’envoyé autrichien Neipperg (futur second époux de Marie-Louise) posa comme condition initiale à toute entente à la conservation du trône par Murat l’entrée en guerre de Naples contre la France. Le 6 janvier, le ministre de Murat, Gallo, négocia un traité signé dans la nuit du 7 et ratifié aussitôt par le roi, pressé de pactiser avec l’Autriche dans la mesure où les Britanniques privilégiaient le retour des Bourbons sur son trône. Bien que le texte fût daté du 11 janvier, les tractations se poursuivirent sur un mois et aboutirent au renoncement du roi de Naples à la Sicile, qui restait ainsi sous influence britannique (en parallèle, la Grande-Bretagne et Naples négociaient un armistice, signé le 26 janvier). D’un autre côté, un agrandissement du royaume napolitain était prévu aux dépens des états romains. Enfin, Murat mettait désormais à disposition de la coalition 30 000 soldats napolitains – ceux qu’il n’avait jamais fait parvenir à Eugène en novembre – pour opérer en l’Italie du Nord, à la seule restriction que ces derniers n’aient à pénétrer sur le territoire français.
– 25 JANVIER 1814 : NAPOLÉON QUITTE PARIS
Pour l’Empereur, la troisième semaine de janvier 1814 fut dévolue aux préparatifs de la compagne de France. Le 20 janvier, Napoléon passa en revue à 11h plusieurs régiments de cavalerie au Carrousel du Louvre ; le 23 janvier, il reçut les officiers de la Garde nationale, leur présenta son fils, signa les lettres patentes qui conféraient la régence à Marie-Louise et reçut les derniers serments des fonctionnaires. Il allait nommer, le lendemain 24, Joseph lieutenant général de l’Empire et embrasser pour la dernière fois de sa vie son fils et sa femme. Le 25, à 6h du matin, il quitta Paris et arriva à Châlons tard le soir même.

– 29 JANVIER 1814 : UN ATTENTAT ET UNE VICTOIRE POUR NAPOLÉON

Fin janvier 1814, l’armée de Blücher était, de toutes les troupes alliées, la plus apte à atteindre la capitale de France. Napoléon concentra donc son effort vers celle-ci et chercha vainement l’ennemi prussien dans les environs de Saint-Dizier entre le 25 et le 29 janvier. Ce devait être du côté de Brienne, la ville qui avait vu les années de formation du jeune Bonaparte, que l’engagement se ferait. Le 29 même, tandis que les combats faisaient rage, dans la soirée, Napoléon échappa à la mort dans une embuscade. Alors qu’à cheval il écoutait un rapport du général Gourgaud, surgit un cosaque prêt à attaquer de sa lance l’Empereur alors en tête de marche. Gourgaud abattit l’assaillant d’un coup de pistolet à bout portant. Le général allait recevoir des mains de Napoléon une de ses propres épées en remerciement. Mais ce serait avec une certaine « cruauté morale », comme le qualifie Jacques Macé dans sa biographie consacrée au général Gourgaud en 2006, que Napoléon allait occulter cet épisode à Sainte-Hélène, quelques années plus tard. Blücher dut abandonner le château de Brienne sous l’assaut des troupes françaises et attendit les renforts autrichiens de Schwarzenberg tandis que Napoléon consolidait tant bien que mal ses propres troupes. Deux jours plus tard, le 1er février, 100 000 alliés et 40 000 Français allaient s’affronter à La Rothière.

Février 1814 : victoires, défaites et négociations

– DU 1ER AU 3 FÉVRIER : DÉFAITE FRANÇAISE À LA ROTHIÈRE ET REPLI SUR TROYES
La bataille de La Rothière, qui constitua la deuxième journée de la bataille de Brienne, commença à 13h le 1er février mais fut perdue en cinq heures par les Français. Leur effectif était 60 % moindre que celui des armées Alliés réunies et les conditions climatiques étaient exécrables : la neige empêchait toute visibilité, si bien que les Français ne purent, tant bien que mal, qu’essayer de se maintenir dans la petite ville. Après une lutte acharnée et de lourdes pertes, Napoléon ordonna un repli par le pont de Lesmont, que Schwartzenberg n’avait pu prendre, et se retira au château de Brienne vers 20h. L’Empereur quitta Brienne le 2 et passa la nuit à Piney. Il entra dans Troyes le lendemain 3 vers 15h, pour y rester jusqu’au 6. Il y apprit que Blucher avait décidé de marcher sur Paris sans se coordonner avec Schwartzenberg, dont les carences lui avait déplu à La Rothière. L’Empereur entendait exploiter cette séparation des armées coalisés qui lui était favorable.

– DU 10 AU 15 FÉVRIER : LES VICTOIRES DE CHAMPAUBERT, MONTMIRAIL ET VAUCHAMPS
En repli sur Troyes après une malheureuse bataille de La Rothière (cf. lettre n° 699), Napoléon apprit que ses deux assaillants, Blücher et Schwarzenberg, ne faisaient plus front commun. Le Prussien se dirigeait vers Paris, si bien que l’Empereur décida de se concentrer sur les troupes que Blücher avait détachées sur Meaux, celles de Sacken et Olsufiev. À Champaubert, le 10 février, il balaya ainsi Olsufiev et le 11, à Montmirail, Sacken. Le 14 février, à Vauchamp, Blücher tenta de reprendre la main mais l’armée, alors supérieure en nombre, du côté des Français devait l’en empêcher. Blücher paralysé momentanément par le manque de vivres et la perte de près de 20 000 hommes, l’Empereur pouvait se tourner vers Schwartzenberg qui avait jusque là été contenu dans son avancée par Mortier.

–  DU 14 AU 20 FÉVRIER : MANŒUVRES EN CHAMPAGNE ET NÉGOCIATIONS À CHÂTILLON
Au soir de la victoire de Vauchamp (14 février, cf. Lettre précédente), Napoléon décida d’abandonner la poursuite de Blücher pour se porter sur l’armée de Bohême qui menaçait Paris. Jonction faite avec les corps de Victor et Oudinot, Napoléon put reprendre son mouvement offensif vers Montereau qui fut reprise le 18 février. Napoléon y apprit le 20, la nouvelle officielle de la défection du roi de Naples (cf. Lettre n°696). Pendant ce temps, le congrès de Châtillon avait pris place depuis le 5 février : Caulaincourt avait carte blanche pour négocier la paix avec les coalisés. Les conditions exigées de prime abord par les alliés étaient bien plus strictes que celles qui avaient été déclarées à Francfort : il ne s’agissait plus de préserver les frontières naturelles de la France mais de revenir tout bonnement aux frontières de 1792. Caulaincourt, après la défaite de la Rothière, avait une marge de manoeuvre limitée pour négocier. D’autant plus que secrètement Razoumovski relayait la volonté du tsar de faire achopper les négociations ; de fait, il les fit interrompre à partir du 10 février et ce durant la période des premières victoires de Napoléon. Ce dernier retira les pleins pouvoirs à Caulaincourt dès le 12. Le 19 février l’empereur des Français recevait un projet de paix allié  qu’il refusait officiellement et catégoriquement : « Je suis prêt à cesser les hostilités et à laisser les ennemis rentrer tranquillement chez eux, s’ils signent les préliminaires basés sur les propositions de Francfort ». Le mois de mars allait prouver que cette tentative de passer par la voie diplomatique était devenue vaine : malgré ses dissensions, la coalition – y compris l’Autriche et malgré les liens dynastiques qui existaient entre les deux empires – avait déjà tourné la page : c’était une Europe sans Napoléon qu’elle entendait mettre en place.

– DU 21 AU 27 FÉVRIER : DÉFILÉS DE PRISONNIERS ET DE DRAPEAUX ENNEMIS À PARIS
Alors qu’en Champagne l’Empereur menait campagne pour préserver la capitale, il songeait également à l’impact moral que ses victoires devaient avoir pour s’assurer le soutien des Parisiens. Un défilé de prisonniers russes fut organisé sur le boulevard Saint-Martin après la victoire de Montmirail, le 17 février. Au lendemain de la victoire de Montereau, le 19 février 1814, Napoléon écrivit au ministre de la Guerre Clarcke afin que ce dernier prépare un nouveau défilé militaire : « Il me semble convenable qu’il y ait une revue de la garde nationale devant laquelle passeront les drapeaux avec la musique militaire. Vous direz que ces drapeaux ont été pris à la bataille de Montmirail, à celle de Vauchamps et au combat de Montereau. » Le 27 février, lorsqu’eut lieu ce second défilé, Troyes était reprise depuis trois jours aux Autrichiens.

Mars 1814 : renforcement de la coalition, défections françaises et capitulation de Paris

– DU 1ER AU 9 MARS : LE TRAITÉ DE CHAUMONT
Au début du mois de février 1814, Napoléon avait envoyé Caulaincourt à Châtillon pour négocier une éventuelle paix, sur la base du traité de Francfort, avec les coalisés. Mais ces derniers avaient un autre agenda en tête. Les allies étaient sans doute perturbés par les victoires inattendues de l’empereur des Français durant cette première phase de la campagne de France. En proie à une certaine dissension interne (Blücher et Schwarzenberg ne se coordonnaient pas bien), qui plus est, les coalisés se réunirent à Chaumont à la fin du mois et sur le projet, proposé par le ministre britannique Castlereagh, d’une nouvelle alliance fut signée contre Napoléon. Ce traité, signé le 9 mais daté du 1er mars, prévoyait que chaque partie prenante – Prusse, Russie, Autriche et Grande-Bretagne – s’engageait à poursuivre son effort de guerre, à ne signer aucune paix séparée et, en cas de nouvelle attaque de la France dans les vingt années suivantes, à réactiver la coalition automatiquement.

– DU 7 AU 13 MARS : CRAONNE, LAON ET SOISSONS
Talonné par Napoléon, Blücher s’arrêta à Oulchy-le-Château, espérant y livrer bataille après avoir reçu le renfort de Bülow et Wintzingerode. Il dut renoncer à son projet et reprit sa retraite car ces derniers, malgré les ordres de rejoindre l’armée de Silésie, avaient mis le siège devant Soissons. À la surprise générale, la ville capitula le 5 mars et laissa le champ libre aux alliés pour traverser l’Aisne. Napoléon, furieux de la perte de Soissons, continua néanmoins les opérations et força, toujours le 5 mars, le pont de Berry-au-Bac. Blücher, après avoir réorganisé et reposé son armée, put reprendre l’offensive. La confrontation eut lieu le 7 mars à Craonne. Ce fut finalement à la nuit et au prix de lourdes pertes de chaque côté que les alliées laissèrent Napoléon maître du champ de bataille.  Le 9 mars, devant Laon, face à une position inexpugnable, Napoléon fut mis en échec et fut forcé de rétrograder sur Soissons où il réorganisa son armée en fonction des pertes subies, notamment par Marmont lors du coup de main d’Athies. Ces revers démoralisèrent une partie de l’armée et occasionnèrent une nouvelle vague de défections dans les rangs.

– DU 12 AU 22 MARS : LA CHUTE DE DEUX GRANDES VILLES : LYON ET BORDEAUX
La bataille d’Orthez du 27 février avait mis à mal les positions de Soult : talonné par les troupes de Wellington, il ne cessait de rentrer dans les terres, à l’est. Wellington en profita pour ordonner au général Beresford de se diriger vers le port stratégique de Bordeaux. Le général britannique entra le 12 mars dans la ville à peine protégée et par ailleurs déjà acquise au retour des Bourbon : Beresford y fut en effet accueilli par la population comme son libérateur.
Sur un autre front, Augereau tentait depuis janvier de contrer les manoeuvres des troupes autrichiennes dans l’Ain et la vallée du Rhône. Le 18 mars, il subit une première défaite cinglante à Saint-Georges-de-Reneins, à une quarantaine de kilomètres au nord de Lyon. Le 20 mars 1814, la bataille de Limonest, aux portes de Lyon, acheva tout espoir pour le maréchal : les 24 000 Français sous ses ordres devaient affronter 56 000 Autrichiens. Submergés par le nombre, les hommes d’Augereau ne pouvaient que reculer. Dès le 22 mars, les Autrichiens entraient dans Lyon.

– DU 20 AU 21 MARS : ARCIS-SUR-AUBE
Après la défaite de Laon, Napoléon avait pu réorganiser ses troupes à Soissons et reprendre Reims aux Prussiens. Désormais, il se trouvait devant un dilemme : poursuivre son plan initial qui était de faire la jonction à l’est avec ses soldats restés en Lorraine et en Alsace, ou continuer à protéger Paris et, pour ce faire, empêcher la progression jusqu’ici inexorable des coalisés vers la capitale. Il opta pour la seconde décision et revint vers Troyes afin d’arrêter Schwarzenberg dans son avancée vers Paris. Les armées coalisée (100 000 hommes) et française (27 000 hommes sous la conduite directe de Napoléon) s’affrontèrent à Arcis-sur-Aube les 20 et 21 mars. Les Français résistèrent vaillamment, mais les approximations de Schwarzenberg (qui n’ordonna pas la destruction du seul pont enjambant l’Aube indispensable au repli de Napoléon) permirent aussi aux soldats de l’Empereur de ne pas être laminés. Cette négligence des alliés à poursuivre leurs ennemis était en fait le signe d’un changement dans les mouvements coalisés : désormais, leur unique but serait de rejoindre Paris sans se préoccuper des manoeuvres de l’empereur des Français. Le tsar Alexandre avait appuyé ce changement stratégique : le 23 mars , il avait été mis au courant de l’effervescence parisienne grâce à l’interception d’une lettre supposée de Savary informant l’Empereur de l’instabilité de la capitale. La décision de marcher sur la ville coûte que coûte fut entérinée le 24 mars après la réunion d’un conseil de guerre des alliés à Sommepuis : leurs troupes convergèrent aussitôt vers Paris.

– DU 28 MARS AU 1ER AVRIL : ET PARIS CAPITULA…
Le 28 mars, l’approche des coalisés se faisait tellement menaçante qu’un conseil de régence extraordinaire fut réuni aux Tuileries autour de l’impératrice Marie-Louise et de Joseph Bonaparte qui la secondait. Malgré l’avis de la majorité du conseil, composé des présidents du Corps législatif, du Sénat et des ministres, Joseph décida d’éloigner l’Impératrice et le roi de Rome de la capitale, conformément au souhait que l’Empereur avait exprimé auparavant. De fait, Blücher et Schwarzenberg étaient aux portes de Paris, l’un à Saint-Denis, l’autre à Bondy et Neuilly-sur-Seine. Et dès le 30 mars, Moncey et ses 40 000 hommes, soutenus par des volontaires venus en renfort, devaient défendre Paris face aux 100 000 soldats de la coalition. La barrière de Clichy céda après une lutte acharnée, tandis que les troupes ennemies déferlaient sur la plaine de Saint-Denis. Vers 16h, Marmont tenta de négocier une trêve de vingt-quatre heures. L’idée était d’attendre l’Empereur qui était du côté de Juvisy. La capitale ne tint pas devant la menace d’Alexandre Ier de mettre Paris à feu et à sang. La capitulation fut signée à 2h du matin le 31 mars, tandis que les vestiges de la Grande Armée restés pour défendre la capitale évacuaient Paris. Le 1er avril, le Sénat, grandement influencé par Talleyrand, allait déchoir Napoléon de son trône. L’Empereur, apprenant la nouvelle de la chute de Paris à une vingtaine de kilomètres de la ville, fit volte-face et s’installa à Fontainebleau. C’est là qu’il dut négocier une paix, que les alliés allaient rendre sans concession ni condition.

Avril 1814 : la (première) fin de l’Empire et l’exil de Napoléon

– DU 5 AU 11 AVRIL :  ABDICATION, CHARTE, RESTAURATION
Dans la nuit du 5 au 6 avril, après de longues tentatives de négociation avec les alliés, Napoléon accepta la défaite et écrit un court texte en déclarant qu’il avait abdiqué : « […] l’empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu’il renonce, pour lui et ses héritiers, aux trônes de France et d’Italie, et qu’il n’est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu’il ne soit prêt à faire à l’intérêt de la France. » Il donna cette lettre à Caulaincourt ; elle ne devait être transmise aux alliés qu’après la signature d’un traité établissant les règles de l’abdication. Ce serait le futur traité de Fontainebleau, qui fut signé et publié le 11 avril. Le même jour du 5 avril, le gouvernement provisoire dirigé par Talleyrand envoya une charte constitutionnelle au Sénat. Le texte s’inspirait de la Constitution de 1791, garantissant les libertés civiles et politiques, mais surtout établissait un partage du pouvoir législatif entre le roi et le parlement. Il y était également noté que « Louis Stanislas Xavier de France, frère du dernier roi » était « librement » appelé au trône de France par le « peuple français ». La monarchie des Bourbon était de retour en France.

– LE 10 AVRIL : BATAILLE DE TOULOUSE
Le 10 avril, une vaine et extrêmement sanglante bataille se déroula à Toulouse. Décrite par le cavalier George Woodberry, témoin oculaire, elle fut qualifiée de « jour de carnage pour tous ». Soult y avait combattu Wellington parce qu’il avait refusé de croire à l’abdication de l’Empereur. Les pertes françaises et britanniques furent de 8 000 morts ou blessés. Cette bataille devait marquer la fin militaire du Premier Empire.

– DU 12 AU 13 AVRIL : NAPOLÉON TENTE DE SE SUICIDER
Dans la nuit du 12 au 13 avril 1814 (nous en sommes à présent certains, grâce au livre Les vingt jours de Fontainebleau, récemment publié par Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon), Napoléon fit une tentative de suicide. Ce n’était pas la première fois qu’il y songeait. Le « petit caporal » avait déjà fait état par écrit de ses tentations pour le suicide dans ses jeunes années, et le personnage principal de son roman, Clisson et Eugénie, choisit de se jeter devant l’ennemi pour mettre fin à ses jours. Pendant la campagne de Russie, Napoléon avait commencé à porter autour de son cou, un petit récipient (de la taille d’une gousse d’ail) contenant du poison, qu’il aurait avalé s’il avait été capturé. En cette nuit d’avril 1814, à « 3 heures du matin », l’Empereur écrivit d’abord à Marie-Louise. Ce qui s’ensuivit fut raconté à Saint-Denis, connu sous le nom de Mamelouk Ali, par le valet de chambre Hubert. Bien que la porte menant à la chambre impériale fût presque complètement fermée, Hubert entendit l’Empereur remuer quelque chose dans un verre : Napoléon ne disposant pas de sucrier cette nuit-là, ce ne pouvait pas être du sucre dans son café. « Quand l’Empereur eut fini de remuer la cuiller dans le verre, il y eut un moment de silence après lequel l’Empereur vint à la porte de l’antichambre et dit à Hubert de faire appeler le duc de Vicence, le duc de Bassano, le grand maréchal et M. Fain. » Mais bien avant que la mixture n’ait commencé à faire effet, on demanda au docteur Yvan d’administrer un purgatif : « l’Empereur vomit toute la substance délétère qu’il avait avalée, mais non sans de grands efforts qui le fatiguèrent beaucoup. » Les hommes restèrent avec lui dans la chambre jusqu’à l’aube. Entre deux spasmes, Napoléon se serait plaint de « combien il est difficile de mourir » et on dit même qu’il aurait demandé à Yvan de l’achever. En vain. Une fois hors de danger, l’Empereur descendit dans son jardin personnel et marcha avec son entourage dans le petit matin. Napoléon et l’histoire avaient encore bien des choses à vivre et à traverser…

– LE 20 AVRIl : LES ADIEUX DE FONTAINEBLEAU
Dans les jours qui suivirent son abdication officielle le 11 avril, Napoléon vécut dans ses appartements privés dans le palais de Fontainebleau, préoccupé par les préparatifs de son départ. Il savait qu’il allait partir sans sa femme et son fils, les machinations autrichiennes ayant rendu leur séparation presque définitive. En prévision de son exil sur l’île d’Elbe, son nouveau royaume, il prit ses dispositions et organisa ses finances. Il dicta son courrier (certaines devaient relever des fonctionnaires de leur serment et leur permettre de rallier le nouveau régime). Le 20 avril 1814, le jour du départ, Napoléon se leva tôt. Il s’entretint avec ses hommes de confiance, tel Maret, écrivit quelques lettres, à Caulaincourt, à Marie- Louise, puis reçut les commissaires étrangers. Enfin, à 11h30, l’empereur déchu sortit de son bureau pour descendre le célèbre grand escalier en fer à cheval. Après avoir prononcé le fameux discours des Adieux (dont plusieurs versions sont parvenues jusqu’à nous), il monta dans sa dormeuse (une voiture fermée), et se dirigea vers le sud de la France. Tout était fini…

– À PARTIR DU 24 AVRIL : LE TUMULTUEUX CHEMIN VERS ELBE
Après avoir fait ses adieux à Fontainebleau le 20 avril 1814, Napoléon prit la route en direction d’Elbe. Au fur et à mesure que l’Empereur descendait vers la Provence, les manifestations de la population changeaient : les timides « Vive l’Empereur ! » entendus par exemple à Montélimar le dimanche 24 avril, furent bientôt couverts par les « Vive le roi ! » lancés par une foule virulente. Ce même dimanche, l’arrivée à Avignon des voitures d’escorte précédant l’Empereur provoqua un rassemblement d’hommes armés devant la ville qui insultèrent l’empereur déchu, obligeant le convoi à changer de chevaux en quatrième vitesse. Guillaume Peyrusse, le trésorier de l’Empereur qu’il accompagnait, narra un autre épisode malheureux : le 25 avril à Orgon, « devant l’auberge même, […] on avait suspendu un mannequin, représentant Sa Majesté, en habit vert de sa Garde, avec un papier ensanglanté sur la poitrine. La populace des deux sexes se pressait, se cramponnait à la voiture de Sa Majesté et cherchait à la voir pour lui adresser les plus fortes injures. […] Les chevaux se trouvant attelés, on les lança au grand galop, et la rage des gens d’Orgon expira en quelques jets de pierre lancés sur la voiture de Sa Majesté. » Après cet incident, deux escadrons de hussards autrichiens devaient renforcer la protection de Napoléon : le voyage vers l’île d’Elbe serait désormais plus calme…

(Marie de Bruchard, juillet 2014)

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