Mars-avril-mai 1814 : de la capitulation au traité de Paris

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Cette chronologie est en grande partie issue de la rubrique hebdomadaire « Il y a 200 ans » parue dans la Lettre d’information pendant le bicentenaire de la campagne de France et de l’arrivée de Napoléon à Elbe.

Mars-avril-mai 1814 : de la capitulation au traité de Paris
Delaroche - Napoléon à Fontainebleau, le 31 mars 1814
© Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais image musée de l'Armée

ARCIS-SUR-AUBE :  LA FIN DE LA CAMPAGNE DE FRANCE
Après la défaite de Laon, les 9 et 10 mars 1814, Napoléon avait pu réorganiser ses troupes à Soissons et reprendre Reims aux Prussiens. Désormais, il se trouvait devant un dilemme : poursuivre son plan initial qui était de faire la jonction à l’est avec ses soldats restés en Lorraine et en Alsace, ou continuer à protéger Paris et, pour ce faire, empécher la progression jusqu’ici inexorable des coalisés vers la capitale. Il opta pour la seconde décision et revint vers Troyes afin d’arrêter Schwarzenberg dans son avancée vers Paris. µ
Les armées coalisée (100 000 hommes) et française (27 000 hommes sous la conduite directe de Napoléon) s’affrontèrent à Arcis-sur-Aube les 20 et 21 mars. Les Français résistèrent vaillamment, mais les approximations de Schwarzenberg (qui n’ordonna pas la destruction du seul pont enjambant l’Aube indispensable au repli de Napoléon) permirent aussi aux soldats de l’Empereur de ne pas être laminés. Cette négligence des alliés à poursuivre leurs ennemis était en fait le signe d’un changement dans les mouvements coalisés : désormais, leur unique but serait de rejoindre Paris sans se préoccuper des manœuvres de l’empereur des Français.
Le tsar Alexandre avait appuyé ce changement stratégique : le 23 mars, il avait été mis au courant de l’effervescence parisienne grâce à l’interception d’une lettre supposée de Savary informant l’Empereur de l’instabilité de la capitale. La décision de marcher sur la ville coûte que coûte te fut entérinée le 24 mars après la réunion d’un conseil de guerre des alliés à Sommepuis : leurs troupes convergèrent aussitôt vers Paris.

ET PARIS CAPITULA…
Le 28 mars, l’approche des coalisés se faisait tellement menaçante qu’un conseil de régence extraordinaire fut réuni aux Tuileries autour de l’impératrice Marie-Louise et de Joseph Bonaparte qui la secondait. Malgré l’avis de la majorité du conseil, composé des présidents du Corps législatif, du Sénat et des ministres, Joseph décida d’éloigner l’Impératrice et le roi de Rome de la capitale, conformément au souhait que l’Empereur avait exprimé auparavant. De fait, Blücher et Schwarzenberg étaient aux portes de Paris, l’un à Saint-Denis, l’autre à Bondy et Neuilly-sur-Marne.
Et dés le 30 mars, Moncey et ses 40 000 hommes, soutenus par des volontaires venus en renfort, devaient défendre Paris face aux 100 000 soldats de la coalition. La barrière de Clichy céda aprés une lutte acharnée, tandis que les troupes ennemies déferlaient sur la plaine de Saint-Denis. Vers 16h, Marmont tenta de négocier une trève de vingt-quatre heures. L’idée était d’attendre l’Empereur qui était du côté de Juvisy.
La capitale ne tint pas devant la menace d’Alexandre Ier de mettre Paris à feu et à sang. La capitulation fut signée à 2h du matin le 31 mars, tandis que les vestiges de la Grande Armée restés pour défendre la capitale évacuaient Paris. Le 1er avril, le Sénat, grandement influencé par Talleyrand, allait déchoir Napoléon de son trône. L’Empereur, apprenant la nouvelle de la chute de Paris à une vingtaine de kilomètres de la ville, fit volte-face et s’installa à Fontainebleau. C’est là qu’il dut négocier une paix, que les alliés allaient rendre sans concession ni condition.

ABDICATION, CHARTE ET RESTAURATION
Dans la nuit du 5 au 6 avril, après de longues tentatives de négociation avec les alliés, Napoléon accepta la défaite et écrit un court texte en déclarant qu’il avait abdiqué : à […] l’empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare « qu’il renonce, pour lui et ses héritiers, aux trônes de France et d’Italie, et qu’il n’est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu’il ne soit prêt à faire à l’intérêt de la France. »
Il donna cette lettre à Caulaincourt ; elle ne devait être transmise aux alliés qu’après la signature d’un traité établissant les règles de l’abdication. Ce serait le futur traité de Fontainebleau, qui fut signé et publié le 11 avril.
Le même jour du 5 avril, le gouvernement provisoire dirigé par Talleyrand envoya une charte constitutionnelle au Sénat. Le texte s’inspirait de la Constitution de 1791, garantissant les libertés civiles et politiques, mais surtout établissait un partage du pouvoir législatif entre le roi et le parlement. Il y était également noté que « Louis Stanislas Xavier de France, frère du dernier roi » était « librement » appelé au trône de France par le « peuple français ». La monarchie des Bourbon était de retour en France.

Bataille de Toulouse
Le 10 avril, une vaine et extrêmement sanglante bataille se déroula à Toulouse. Décrite par le cavalier George Woodberry, témoin oculaire, elle fut qualifiée de « jour de carnage pour tous ». Soult y avait combattu Wellington parce qu’il avait refusé de croire à l’abdication de l’Empereur. Les pertes françaises et britanniques furent de 8 000 morts ou blessés. Cette bataille devait marquer la fin militaire du Premier Empire.

NAPOLÉON TENTE DE SE SUICIDER
Dans la nuit du 12 au 13 avril 1814 (Voir Les vingt jours de Fontainebleau, Thierry Lentz, Perrin, 2014), Napoléon fit une tentative de suicide. Ce n’était pas la première fois qu’il y songeait. Le « petit caporal » avait déjà fait état par écrit de ses tentations pour le suicide dans ses jeunes années, et le personnage principal de son roman, Clisson et Eugénie, choisit de se jeter devant l’ennemi pour mettre fin à ses jours. Pendant la campagne de Russie, Napoléon avait commencé à porter autour de son cou, un petit récipient (de la taille d’une gousse d’ail) contenant du poison, qu’il aurait avalé s’il avait été capturé.
En cette nuit d’avril 1814, à « 3 heures du matin », l’Empereur écrivit d’abord à Marie-Louise. Ce qui s’ensuivit fut raconté à Saint-Denis, connu sous le nom de Mamelouk Ali, par le valet de chambre Hubert. Bien que la porte menant à la chambre impériale fût presque complètement fermée, Hubert entendit l’Empereur remuer quelque chose dans un verre : Napoléon ne disposant pas de sucrier cette nuit-là, ce ne pouvait pas être du sucre dans son café.
« Quand l’Empereur eut fini de remuer la cuiller dans le verre, il y eut un moment de silence après lequel l’Empereur vint à la porte de l’antichambre et dit à Hubert de faire appeler le duc de Vicence, le duc de Bassano, le grand maréchal et M. Fain. »
Mais bien avant que la mixture n’ait commencé à faire effet, on demanda au docteur Yvan d’administrer un purgatif : « l’Empereur vomit toute la substance délétère qu’il avait avalée, mais non sans de grands efforts qui le fatiguèrent beaucoup. » Les hommes restèrent avec lui dans la chambre jusqu’à l’aube. Entre deux spasmes, Napoléon se serait plaint de « combien il est difficile de mourir »et on dit même qu’il aurait demandé à Yvan de l’achever. En vain.
Une fois hors de danger, l’Empereur descendit dans son jardin personnel et marcha avec son entourage dans le petit matin. Napoléon et l’histoire avaient encore bien des choses à vivre et à traverser…

LES ADIEUX DE FONTAINEBLEAU
Dans les jours qui suivirent son abdication officielle le 11 avril, Napoléon vécut dans ses appartements privés dans le palais de Fontainebleau, préoccupé par les préparatifs de son départ. Il savait qu’il allait partir sans sa femme et son fils, les machinations autrichiennes ayant rendu leur séparation presque définitive. En prévision de son exil sur l’île d’Elbe, son nouveau royaume, il prit ses dispositions et organisa ses finances. Il dicta son courrier (certaines devaient relever des fonctionnaires de leur serment et leur permettre de rallier le nouveau régime).
Le 20 avril 1814, le jour du départ, Napoléon se leva tôt. Il s’entretint avec ses hommes de confiance, tel Maret, écrivit quelques lettres, à Caulaincourt, à Marie- Louise, puis reçut les commissaires étrangers. Enfin, à 11h30, l’empereur déchu sortit de son bureau pour descendre le célèbre grand escalier en fer à cheval. Après avoir prononcé le fameux discours des Adieux (dont plusieurs versions sont parvenues jusqu’à nous), il monta dans sa dormeuse (une voiture fermée), et se dirigea vers le sud de la France. Tout était fini.

LE TUMULTUEUX CHEMIN VERS ELBE
Après avoir fait ses adieux à Fontainebleau le 20 avril 1814, Napoléon prit la route en direction d’Elbe. Au fur et à mesure que l’Empereur descendait vers la Provence, les manifestations de la population changeaient : les timides « Vive l’Empereur ! » entendus par exemple à Montélimar le dimanche 24 avril, furent bientôt couverts par les « Vive le roi ! » lancés par une foule virulente. Ce même dimanche, l’arrivée à Avignon des voitures d’escorte précédant l’Empereur provoqua un rassemblement d’hommes armés devant la ville qui insultèrent l’empereur déchu, obligeant le convoi à changer de chevaux en quatrième vitesse.
Guillaume Peyrusse, le trésorier de l’Empereur qu’il accompagnait, narra un autre épisode malheureux : le 25 avril à Orgon, « devant l’auberge même, […] on avait suspendu un mannequin, représentant Sa Majesté, en habit vert de sa Garde, avec un papier ensanglanté sur la poitrine. La populace des deux sexes se pressait, se cramponnait à la voiture de Sa Majesté et cherchait à la voir pour lui adresser les plus fortes injures. […] Les chevaux se trouvant attelés, on les lança au grand galop, et la rage des gens d’Orgon expira en quelques jets de pierre lancés sur la voiture de Sa Majesté. »
Après cet incident, deux escadrons de hussards autrichiens devaient renforcer la protection de Napoléon : le voyage vers l’île d’Elbe serait désormais plus calme.

ELBE : LES DÉBUTS D’UNE ADMINISTRATION IMPÉRIALE DE MULINI
Après un voyage tumultueux, raison d’un épisode dépressif pour l’empereur déchu, l’arrivée à Elbe sous l’acclamation des autochtones rendit Napoléon un peu plus joyeux les 4 et 5 mai 1814. Fidèle à son tempérament, il se « remit au travail » dès le 7 mai en réglementant ses nouveaux domaines.
Le 10 mai, il conçut l’organisation militaire de son territoire, créa son administration de la Guerre et un hôpital. Le 22 mai, il finalisa la création de la Garde et de la marine, et régla leur approvisionnement le 5 juin. ► Bibliographie en partenariat avec Gallica/BnF : Napoléon et son exil à l’île d’Elbe

LE DESTIN DES MARÉCHAUX APRÈS LE DÉPART DE NAPOLÉON POUR ELBE
Napoléon était devenu souverain d’Elbe en mai 1814… mais qu’en était-il de ses maréchaux ?
Murat à Naples et Bernadotte en Suède travaillaient dur pour garder leurs trônes.
Gouvion Saint-Cyr avait été fait prisonnier après la capitulation de Dresde et était détenu dans Carlsbad par les Autrichiens.
Suchet était de retour en France, à Narbonne, après avoir protégé le retour de Ferdinand VII en Espagne.
Soult était en négociation avec Wellington, après sa défaite à Toulouse, puis revenu en région parisienne.
Davout était assiégé à Hambourg, refusant de se rendre aux Russes. Bessières, Lannes et Poniatowski étaient morts…
Les autres (en dehors de Kellerman, Sérurier et Brune, qui n’étaient plus actifs, et Pérignon, qui revenait de Naples), c’est-à-dire Augereau, Moncey, Jourdan et Masséna, tenaient des rôles militaires en France.
Autour de Fontainebleau, après avoir pris part à la campagne française, se trouvaient Berthier, Grouchy, Lefebvre, Macdonald, Marmont, Mortier, Ney, Oudinot et Victor. Après l’abdication, aucun d’entre eux n’avait suivi l’Empereur à l’île d’Elbe, préférant servir la France plutôt que Napoléon.
Augereau, Berthier, Gouvion, Kellerman, Lefebvre, Macdonald, Marmont, Moncey, Mortier, Ney, Oudinot, Pérignon, Sérurier, Soult, Suchet et Victor allaient d’ailleurs tous être nommés maréchaux et pairs par Louis XVIII le 4 juin 1814
Masséna et Jourdan ne furent pas inclus dans cette « promotion » car considérés comme suspects.
Brune, en disgrâce depuis 1807 et pourtant rallié aux Bourbons qui l’avaient fait chevalier de Saint-Louis, fut écarté.
Tout comme Davout, qui, en raison de sa résistance à Hambourg, fut considéré comme hostile. Napoléon, à son retour de l’île d’Elbe, devait appeler à nouveau douze maréchaux parmi tous ces noms : les quatre derniers maréchaux, les « exclus » de la Première Restauration, et huit des moins « compromis ».
Quant à Augereau, Berthier, Marmont, Pérignon et Victor, ils allaient tout bonnement êtres rayés de la liste.

LE RETOUR DE PIE VII À ROME
Le 24 mai 1814, Pie VII faisait une entrée triomphante dans Rome qu’il avait « quittée de force » en 1809, lorsque Napoléon avait annexé les états pontificaux. Devenu un prisonnier encombrant à Fontainebleau pour l’Empereur lors de la campagne de France, avec le risque qu’il tombe entre les mains des alliés, le Pape avait été conduit avec de longs détours censés préserver son anonymat à travers la France et devait finalement arriver à Parme fin février 1814.
L’Empereur, en relâchant Pie VII, ne se débarrassait pas seulement d’un poids politique en France : après avoir appris la trahison de Murat, il comptait sur le retour du Souverain Pontife à Rome pour gêner les velléités d’annexion des états romains par le roi de Naples.
De fait, Consalvi, l’envoyé spécial du Pape, allait obtenir peu de temps après l’entrée de Pie VII à Rome la restitution des états pontificaux ainsi que la reconnaissance du retour officiel des pouvoirs temporels du Pape.

LE TRAITÉ DE PARIS
Représentant le roi dès le 23 avril 1814 pour signer l’armistice, Talleyrand apposa sa signature au bas du traité de Paris, le 30 mai 1814. La France rentrait, à peu près, dans ses frontières antérieures à 1792 : elle conservait Avignon, le Comtat, Montbéliard, Mulhouse, une partie de la Savoie, deux places en Belgique à Philippeville et Marienbourg, deux autres en Allemagne à Sarrelouis et Landau.
Les indemnités de guerre furent annulées, à l’exception d’une indemnité de 25 millions pour payer l’évacuation par les troupes alliées du territoire français. Cette clémence, bien que différemment endossée selon les Alliés (la Prusse avait exigé un temps 170 millions d’indemnités), témoignait d’une volonté globale de ne pas nuire au nouveau régime des Bourbons.
Enfin, le traité de Paris préfigurait dans son article 32 la tenue d’un congrès, à Vienne, pour réorganiser les territoires que l’Empire français défait laissait sans organisation nette ; la France n’était pas censée y prendre une part active… 1815 allait prouver le contraire.

Marie de Bruchard
Avril 2022

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