« C’était une sensation poignante de se tenir ainsi dans le silence nocturne et de porter ses yeux sur ce champ, théâtre tout le jour de la lutte et du tumulte et maintenant si calme et silencieux, sur les acteurs étendus sur le sol ensanglanté, leurs faces livides tournées vers les froids rayons de la lune qui se reflétaient sur les casques et les cuirasses ! […] De temps en temps, une forme se dressait à demi du sol pour retomber de nouveau avec un gémissement désespéré. D’autres, se levant lentement et péniblement, plus forts, ou ayant été moins grièvement blessés, trébuchaient à travers le champ en quête de secours. Beaucoup de ceux-ci que je suivais des yeux se perdirent dans l’obscurité de la distance. Mais beaucoup – hélas! – après avoir chancelé quelques pas, s’affaissaient de nouveau sur le sol, probablement pour ne plus se relever. C’était déchirant ! Et cependant je regardais ! » Ainsi Alexander Cavalié Mercer décrit-il le champ de bataille au soir du 18 juin 1815. A la tête d’une batterie de la réserve du prestigieux Royal Horse Artillery Regiment, au sein du corps de cavalerie du général Uxbridge – positionné au centre, entre le carrefour et la ferme de Hougoumont -, ce dernier a soutenu les deux assauts fameux de la cavalerie lourde française, couchant, à chaque tir, « hommes et chevaux comme l’herbe sous la faux du faucheur. »
Aussi sûrement que le souvenir de l’artilleur britannique, cette cuirasse transpercée par le boulet d’une pièce de 4 atteste de la violence des combats. Donnée au musée de l’Armée, lors de sa création, par le colonel de Lichtenstein, elle fait partie de ces milliers d’objets qui, trouvés sur le champ de bataille de Waterloo, ont été rapportés comme un souvenir, ou une relique, par ceux qui le visitèrent.
Le livret, qui se trouvait à l’intérieur d’une poche de la matelassure aujourd’hui disparue, a livré le nom de François Antoine Fauveau, vingt-trois ans, beurrier de profession, incorporé au 2e régiment de carabiniers en mai 1815. Sa haute taille – 1,79 mètre – le désignait pour ce corps d’élite. Ses états de service lui donnent un « visage allongé » : « front découvert, yeux bleus, nez aquilin, bouche petite, menton à fossettes, cheveux et sourcils châtains, visage marqué de rousseurs. » La tradition familiale, elle, soutient que ce n’est pas François Antoine, qui devait se marier, mais son frère qui, s’étant substitué à lui, est mort à Waterloo.
Emilie Robbe et Grégory Spourdos,
commissaire et commissaire-adjoint de l’exposition Napoléon et l’Europe, au Musée de l’Armée, Paris (27 mars au 14 juillet 2013).
Retrouvez l’interview qu’Emilie Robbe nous a accordée à l’occasion de cette exposition.
► consultez le dossier thématique « Vivre et mourir dans la Grande Armée » (2023)