L’Avenir des statues

Artiste(s) : MAGRITTE René
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L’Avenir des statues
L'avenir des statues, René Magritte (1898-1967)

C’est entre 1933 et 1937 que Magritte réalise quatre versions de L’Avenir des statues, prenant pour base une édition commerciale en plâtre du masque mortuaire de Napoléon, sur laquelle il peint un ciel d’un bleu intense parsemé de nuages ensoleillés. Seuls le poli du plâtre et la densité des nuages permettent de les distinguer et, selon David Sylvester, de les dater. Le titre de l’œuvre, dû au poète et philosophe Paul Nougé, non à l’artiste lui-même, ne peut nous éclairer sur ses intentions.
Néanmoins, le fait que l’œuvre soit un masque mortuaire de Napoléon en plâtre, peint « comme un ready-made », pose, en relation avec ce titre, la question de sa qualité de sculpture. De fait, il existe plusieurs versions de ce masque et aucune ne peut être considérée comme une empreinte brute de la nature, les traits du défunt ayant été, après coup, idéalisés en vue de la reproduction en série et de la diffusion du modèle. Ce sont ces corrections apportées au modelé qui confèrent au masque utilisé par l’artiste la qualité de sculpture.

Magritte, en revanche, dans la mesure où il n’a pas lui-même reproduit le plâtre dans son atelier, a bien « peint un ready-made ». Sa contribution se limite à la peinture et le titre imaginé par Nougé renvoie à la tradition italienne du Paragone, ce qui implique que la peinture, due à la main de l’artiste, l’emportera à terme sur la sculpture qui est ici représentée par une production industrielle de série.

En outre, le motif peint par Magritte sur le masque peut évoquer l’expression « avoir la tête dans les nuages » et être interprété, en relation avec le titre L’Avenir des statues, comme l’expression de la haute estime que Napoléon avait de lui-même, voire de sa présomption. Le masque mortuaire offre en effet un portrait du souverain au plus bas de sa carrière : déchu après sa défaite de Waterloo, banni et même déjà mort. Ce qui est nouveau ici, c’est tout particulièrement la mise en scène de la nature mortelle du souverain, à l’opposé de la tradition monumentale qui le glorifie le plus souvent. Luigi Calamatta livre un exemple de cette pratique dans une gravure de 1834 qui met en scène le même masque en l’associant aux attributs de l’empereur vainqueur et en suggérant sa gloire éternelle.

Magritte, au contraire, recouvre et estompe les traits de Napoléon par des nuages qui suggèrent le caractère fugitif de sa gloire et, plus encore, démasquent la nature véritable des effigies de souverains : ces dernières n’existent que par les images qui y sont projetées. Le peintre exprime cette idée de façon similaire dès 1927 dans son tableau La Forêt où le visage de Napoléon apparaît sous la forme d’un buste. Au lieu de se conformer à l’image traditionnelle du souverain coiffé d’une couronne de lauriers, il le couvre ici d’un voile de feuillages ordinaires qui le prive sa signification symbolique.
Magritte s’est d’ailleurs exprimé en ce sens sur la force expressive des symboles : « Les symboles […] devraient livrer une image de la réalité, mais en fait ils n’en disent rien. Si l’on regarde quelque chose dans l’intention d’en découvrir le sens, on finit par ne plus voir l’objet lui-même mais par penser seulement à la question qu’on s’est posée en le regardant. »
Cette question est, dans le cas qui nous intéresse : Quel est L’Avenir des statues ? et, s’agissant de l’œuvre de Magritte, l’auteur de son titre, Paul Nougé, répond en 1933 : « Il arrive, grâce à Magritte, que le plâtre de Napoléon, […] forêt entr’ouverte, bloc de ciel traversé de nuages et de songes, transfigure d’une manière tout imprévue le visage même de la mort. »

Marion Bornscheuer
curatrice au Lehmbruck Museum
avril 2016

Cette œuvre a été présentée dans l’exposition « Napoléon à Sainte-Hélène, la conquête de la mémoire » au musée de l’Armée (6 avril-24 juillet 2016).

Date :
1932
Technique :
Peinture à l’huile sur un moulage de plâtre
Dimensions :
H = 33 cm, L = 16 cm, P = 19 cm
Lieux de conservation :
Duisburg, Lehmbruck-Museum, inv. 1966/1976
Crédits :
© Duisburg, Lehmbruck-Museum
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