L’Université Claude Bernard Lyon 1 (FR-CERESE) a mené au printemps 2018 une campagne de crowdfunding afin de compléter le financement obtenu par le programme eReCoNat* pour la numérisation de l’exceptionnel herbier du Prince Roland Bonaparte.
Un banc de numérisation industriel de 13 m de long s’est installé parmi les meubles anciens de l’herbier pour digitaliser ses plantes sèches à la vitesse impressionnante de 3 000 images par jour ! Grâce à de nombreux soutiens, dont celui de la Fondation Napoléon, le public et les médias ont été au rendez-vous : 28 000 euros ont été récoltés en deux mois, soit quatre fois plus que ce qui était prévu !
Cet argent a permis de numériser la fin de l’herbier général de Bonaparte, ce qui paraissait impossible il y a encore un an ! 558 000 images de cet herbier sont déjà en ligne parmi 10 millions d’autres objets naturalistes français sur la base de données libre d’accès de ReColNat (ReColNat est le Réseau National des Collections Naturalistes. Il vise à valoriser l’ensemble des collections naturalistes françaises via une plateforme numérique ouverte à tous. Déjà plus de 10 millions d’images en ligne !) et chaque jour de nouvelles sont ajoutées. Le chiffre de 760 000 planches devrait être atteint d’ici l’été 2019, soit la totalité de la collection Bonaparte.
Qui était Roland Bonaparte ?
Parmi les différentes collections conservées dans l’herbier de l’UCB Lyon 1, qui l’un des plus grands herbiers du monde et reconnu par l’acronyme LY, celle de Roland Bonaparte (1858-1924) est emblématique. Ce petit-neveu de Napoléon 1er, petit-fils de Lucien, était le fils de Justine Eléonore Ruflin et de Pierre-Napoléon Bonaparte, devenu célèbre pour avoir tué en duel, en 1870, le journaliste Victor Noir. Les nombreuses frasques de son père firent que Roland eut une enfance isolée du reste de la famille Bonaparte. Pourtant, il sortit diplômé de Saint-Cyr en 1879 et débuta une carrière militaire en tant que sous-lieutenant d’infanterie de ligne, qui fut interrompue en 1886 après l’adoption d’une loi interdisant aux membres des familles ayant régné sur la France de servir dans l’armée.
En 1880, il épousa Marie-Felix Blanc, très riche héritière, fille de François Blanc, fondateur du casino de Monte-Carlo et de la Société des bains de mer de Monaco. Malheureusement, elle mourut d’une embolie pulmonaire un mois après la naissance de leur unique fille Marie, en 1882, dans leur propriété de Saint-Cloud. Roland décida alors de consacrer le temps et l’argent dont il disposait désormais à sa passion : la science.
Il avait une prédilection pour la géographie, sous toutes ses formes : cartographie, géologie, anthropologie, sciences naturelles, photographie. Il organisa des expéditions en Italie, Allemagne, Corse, Laponie, Amérique du Nord d’où il rapporta de nombreux objets scientifiques et souvenirs napoléoniens. Il lui fallut bientôt une maison à la taille de ses collections et de son nom : il fit construire un hôtel particulier avenue d’Iena, entre 1892 et 1896, dont les galeries pourraient accueillir entre autres les 150 000 volumes de sa bibliothèque !
Grand mécène des sciences, il aimait particulièrement les innovations technologiques ; il a ainsi financé par exemple l’expédition antarctique Charcot, un navire d’observation zoologique, le ballon enregistreur photographique Balaschoff… Il devint membre de dizaines de sociétés savantes (Académie des Sciences, Société Botanique de France, Société de Géographie…) et les présida souvent, ce qui concrétisa sa reconnaissance en tant que scientifique. La présidence de l’académie des Sciences qu’il obtint en 1920, concrétisa sa reconnaissance en tant que scientifique.
L’herbier Bonaparte
Roland se lança dès 1900 dans le projet de réaliser un herbier général qui contienne l’essentiel des plantes « à usage » du monde entier. Il réussit à assembler en très peu d’années la plus importante collection de plantes sèches jamais réalisée par un particulier en acquérant les collections des meilleurs botanistes de l’époque (comme Georges Rouy), en missionnant des scientifiques au bout du monde et en se mettant en relation avec tous les comptoirs coloniaux, comme on le découvre en parcourant sa riche correspondance botanique parvenue jusqu’à nous avec son herbier.
Roland ne ratait pas non plus une occasion de collecter lui-même où qu’il soit : en herborisation, en congrès, en villégiature. Il a également cultivé des milliers de variétés de plantes utiles (comestibles, tinctoriales ou médicinales) dans son jardin de Saint-Cloud. On trouve ainsi dans cette très riche collection près de la moitié des espèces de plantes à fleurs du globe, dont de nombreux spécimens uniques pour la science comme des représentants d’espèces éteintes. On a parfois la chance d’admirer également des trésors historiques ou plus personnels comme des aquarelles réalisées par lui-même ou par sa fille, des fleurs extraites de bouquets offerts à la princesse ou de corbeilles de Noël.
Après sa mort en 1924, sa fille Marie, devenue princesse de Grèce et du Danemark, finança le déménagement vers l’université de Lyon.
Faute de place, seules les fougères, devenues la spécialité du prince à la fin de sa vie, purent être conservées par le Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris. Il ne fallut pas moins de 22 wagons pour transporter les 8 800 cartons d’herbier, 3175 boites ou bocaux et 1800 livres et brochures !
Et maintenant ?
La numérisation de l’herbier de Roland Bonaparte a permis une sauvegarde de ce précieux patrimoine et lui procure une immense ouverture vers la société et la recherche la plus moderne utilisant par exemple l’intelligence artificielle, ce qui n’aurait pas déplu au prince. Mais il reste du travail : toutes les données relatives à la collecte de ces échantillons restent à informatiser. Chacun peut nous aider en participant au programme des Herbonautes dont le jeu consiste à déchiffrer et remplir les informations présentes sur les étiquettes d’herbier comme l’année et le lieu de récolte ou le nom du collecteur.
Il reste par ailleurs des dizaines de collections à numériser dans l’herbier de l’Université Lyon-1, des centaines de milliers de planches, qui représentent la mémoire de campagnes d’herborisation depuis le XVIIIe siècle…
Mélanie Thiébaut, docteur à Lyon-1 et directrice de l’herbier de Lyon-1
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Mars 2019