Projet du Forum Bonaparte à Madrid

Artiste(s) : PÉREZ Sylvestre
Partager
Projet du Forum Bonaparte à Madrid
Forum Bonaparte de Madrid, par Silvestre Pérez © BnE, Madrid, Dib/14/14/5

Joseph Bonaparte, un nouveau roi pour l’Espagne

Le 20 juillet 1808, Joseph Bonaparte entra dans Madrid, la capitale d’un pays qui, pour reprendre les mots de Théophile Gautier, était le plus « anti classique » d’Europe. Par rapport à Paris ou à Naples où il avait régné pendant deux ans, Madrid était une petite ville qui manquait d’espaces publics et d’infrastructures urbaines, avec un tissu urbain bigarré et étouffé par la prépondérance des nombreux couvents et domaines aristocratiques privés. A peine Joseph accéda-t-il au trône qu’il instaura en Espagne un nouveau système gouvernemental et administratif qui reproduisit les structures françaises. Même si ce pays était un État satellite considéré comme « indépendant », en 1808, Madrid s’intégra dans cette constellation de « capitales impériales » qui représentaient l’image urbaine du vaste projet à l’échelle européenne que Napoléon avait mise en place. Depuis son arrivé, Joseph s’appuya sur ses ministres pour développer un programme culturel ambitieux qui comprenait la transformation urbaine de sa capitale. En à peine cinq ans, et constamment acculé par les problèmes économiques et sociaux inhérents à une guerre qui exaspérait son frère, Joseph Bonaparte se consacra à l’ouverture et à l’embellissement de nombreuses places et avenues, ainsi qu’à la création de nouvelles institutions culturelles comme le musée de peintures qui posa les bases du futur Musée du Prado. Pour matérialiser ses initiatives, le « rey plazuelas » (roi des petites places, son surnom) utilisa les deux meilleurs architectes académiciens de Madrid : le célèbre Juan de Villanueva, et Silvestre Pérez, tous les deux ex-pensionnaires de l’Académie de Saint Ferdinand à Rome, et parfaits connaisseurs de l’avant-garde architecturale internationale.

Le Forum Bonaparte : du trône à l’Utopie

Joseph fit du Palacio Nuevo de Madrid — l’immense résidence royale construite en trente ans sur les cendres de l’Alcazar Royal des Habsbourg, brutalement détruit dans l’incendie de 1734 —le siège de son pouvoir. Depuis son trône madrilène, Joseph participa activement aux débats architecturaux des projets pour Madrid, depuis la construction d’une bourse de commerce à l’installation de fontaines publiques dans les nouvelles places, et l’établissement des marchés publics pour le peuple madrilène, qui était divisé (comme l’ensemble du pays) entre ses partisans et ses détracteurs. Le Palais Royal de Madrid, qui avait tellement impressionné Napoléon lors de son séjour de 1808, devint l’emblème architectural de la majesté bonapartiste en Espagne. Dans ce contexte, l’architecte de la municipalité Silvestre Pérez proposa au roi Joseph, en juillet 1810, un projet urbanistique sans précédents en raison de sa magnitude, de sa charge symbolique et de l’importance des transformations envisagées pour la capitale du royaume. Le Forum Bonaparte de Madrid naquit des initiatives pour mettre en valeur les alentours du Palais Royal, en face duquel beaucoup d’ilots furent démolis pour ouvrir un énorme espace qui, plus tard, donnerait lieu à la Place d’Orient. Le projet de Pérez (voir le plan en grand format) envisageait la création d’une série de places monumentales (2, 3, 4) reliant le palais (1) à la basilique de Saint François le Grand (5), qui devait devenir la première salle d’assemblée nationale de l’histoire de l’Espagne. A travers ces places monumentales richement ornées d’arcades, de colonnes et d’arcs de triomphe, l’architecte conçut une union architecturalement symbolique entre le pouvoir exécutif représenté par le Palais du Roi, et le pouvoir législatif du peuple espagnol, présent pour la première fois dans ce « temple national » de Saint François reconverti grâce à la politique des biens nationaux bonapartiste. De même, le projet mettait l’accent sur l’importance des axes majeurs de communication qui donnaient accès aux principaux espaces du forum, en créant, pour l’avenue de Ségovie (6), une entrée monumentale sous la forme d’un arc de triomphe (7). Joseph Bonaparte dut certainement avoir vent de ce projet, lequel présenta une série d’annotations et de corrections faites au crayon, et très probablement de la main même de ce dernier, ce qui démontra son implication personnelle dans les initiatives de rénovation artistique de sa capitale. Le Forum Bonaparte de Madrid proposait donc la création de tout un nouveau quartier « à l’antique » censée transformer radicalement le vétuste quartier de l’Alcazar, qui appartenait symboliquement à l’ancienne royauté de l’Empire espagnol. Un nouveau quartier censé représenter l’image du pouvoir et de la magnificence de la monarchie bonapartiste en Espagne, mais avec une ambition politique et urbanistique qui fut certainement à l’origine de son échec. Dans un pays déchiré par une guerre qui vidait les caisses de l’État, une proposition d’une telle envergure n’était que le rêve d’un architecte au service d’un grand projet qui revêtait une dimension utopique, et fut définitivement enterré par le cauchemar absolutiste du règne de Ferdinand VII, « le roi désiré ».

Adrián Almoguera,
Doctorant à l’Université de Paris IV-Sorbonne / Centre André Chastel

septembre 2016

Pour en savoir plus : Joseph Bonaparte, Thierry Lentz, éditions Perrin, Paris, 2016, 752 p.

Date :
juillet 1810
Technique :
crayon, encre de chine, lavis
Dimensions :
H = 46 cm, L = 59,2 cm
Lieux de conservation :
Bibliothèque nationale de Madrid, Dib/14/14/5
Crédits :
© BnE, Madrid
Partager