Il est une réalité qui n’a pas changé depuis plus de deux cents ans : la mode se fait et se défait grâce à des parutions dans des magazines. Sous l’Empire, celui qui se trouve dans les mains de toutes les femmes de la cour est le Journal des dames et des modes (L’ensemble des gravures sont rassemblées dans un ouvrage Costumes parisiens de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe : ouvrage commencé le 1er juin 1797, par Pierre de La Mésangère (ici tome 7, année 1805-1806).). Édité par Sellèque depuis 1797, il a été repris par Pierre de La Mésangère. Dès les années 1790, le retour du goût pour l’antique s’impose avec des formes fluides et longues ; on débarrasse les robes de leurs paniers. Les matières légères sont en vogue comme la mousseline et la gaze.
La meilleure représentante du style Empire, la star voire l’influenceuse de l’époque, est sans conteste l’impératrice Joséphine. Son goût est sûr et les femmes cherchent à l’imiter coûte que coûte. À l’approche de son sacre, Napoléon Ier, comme à son habitude, veut tout contrôler et tout réglementer. Ce dirigisme passe par l’organisation de la journée, bien sûr, par la décoration de Notre-Dame, mais également par les vêtements portés lors de la cérémonie. Pour ce faire, il demande conseil à Joséphine, mais il commande surtout à l’un des plus célèbres portraitistes et miniaturistes, Jean-Baptiste Isabey (1767-1855), le dessin de tous les costumes. Le nouvel Empereur fait même édicter un décret le 29 messidor an XII (18 juillet 1804) définissant son habillement, celui de Joséphine, ceux des membres de la famille impériale, des grands dignitaires et des représentants du peuple. Par la suite, l’ensemble de ce travail sera publié dans le Livre du Sacre.
La traîne et la robe ici présentées s’apparentent au dessin de la Princesse dans l’ouvrage d’Isabey (Un exemplaire en couleur du Livre du Sacre est consultable sur Gallica (ici, la Princesse).). Les principales caractéristiques du style Empire sont identifiables : une taille très haute avec un corsage court et la jupe tombant droit jusqu’au sol, des petites manches ballons, une étoffe légère – ici, un tulle de soie écru sur fond de satin. La richesse des broderies et des ornements vient compenser la modestie de la forme et du tissu. Toute la robe est rehaussée d’un semis floral et, en son bas, d’une bande de broderies à motifs de fleurs stylisées.
La magnificence de ces broderies en fils et lames de métal doré de la robe, imposée par l’importance de la cérémonie du sacre, se retrouve sur celles de la traîne en velours de soie rouge doublée de satin s’agrafant sous la poitrine. Là, elles prennent la forme d’une guirlande végétale qui court en large frise tout le long du bord. Pour la réalisation, il est fort probable que la commanditaire se soit adressée au meilleur marchand de mode français, Louis-Hippolyte Leroy (1763-1829). Cet ancien perruquier de la reine Marie-Antoinette sait se faire apprécier par Joséphine et devient, dès le Consulat, son fournisseur officiel. Vu la qualité des matériaux utilisés, il est possible que Leroy ait fait appel aux soyeux de Lyon.
Alors que peu de textiles nous sont parvenus de cette fabuleuse journée du sacre de Napoleon (Ce qui semble être le petit habillement de Napoléon Ier est conservé au château de Fontainebleau. Les chaussures et des bretelles portées par l’impératrice Joséphine sont quant à elles conservées au château de Malmaison. En revanche, deux autres robes et traînes dont les motifs et les matériaux se rapprochent de ceux de notre œuvre sont conservées. Elles ont été réalisées pour un autre événement important de la vie de cour du Premier Empire : le mariage de Napoléon Ier et de Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine. L’une est conservée dans la collection de Bruno Ledoux (cf. Coll., Napoléon intime. Les trésors de la collection Bruno Ledoux, Paris, Seuil, 2018, p. 137), et l’autre au Metropolitan Museum of Art de New York), cette robe et cette traîne sont des témoins de la splendeur des costumes réalisés pour l’événement. Elles sont réalisées pour Claudine Elisabeth Bérenger (1773-1828), épouse du conseiller d’État Jean Bérenger (1767-1850). Tous deux assistent au sacre ; lui assis sur les premiers bancs à droite du trône parmi les dignitaires et elle, dans les tribunes. Ayant soutenu Bonaparte lors du coup d’État du 18 brumaire, Jean Bérenger est nommé à vie au Conseil d’État, dans la section des finances, et participe à la rédaction du Code civil. Directeur général de la Caisse d’amortissement, il est fait comte d’Empire en avril 1808.
Bien que leur état de conservation soit incroyable, comme en témoigne le rouge du velours de la traîne ou l’absence d’oxydation des broderies, ces deux pièces ont fait l’objet d’une restauration en 2018 et 2019. L’objectif principal de cette opération était qu’elles puissent être conservées dans un aussi bon état pour les générations futures. La robe en tulle avait en effet beaucoup souffert des dommages inhérents au temps qui passe : les broderies métalliques, plus importantes sur les parties inférieures de la robe, faisaient subir des tensions et des contraintes au tulle ce qui avait fini par provoquer inévitablement des fragilisations ainsi que des déchirures. Un énorme travail de consolidation a donc été réalisé. La traîne et la robe ont également été dépoussiérées à cette occasion. Un nouveau mannequinage a été imaginé afin de correspondre davantage à la morphologie de Madame Bérenger. Malgré l’opération de restauration, la robe demeure fragile du fait des matériaux utilisés pour sa création. Malheureusement, pour que les deux pièces textiles soient conservées dans les meilleures conditions, il est préconisés de ne plus mannequiner la traîne sur la robe. Ceci explique leur présentation sur deux mannequins distincts.
Toujours conservées par les descendants de Bérenger, cette robe et sa traîne sont depuis 2004 en dépôt dans les collections de la Fondation Napoléon et ont été présentées dans plusieurs expositions internationales (Jacquemart-André 2004, Malbrouck 2009, Victoria 2012.). Leur état de conservation est dû en partie aux soins scrupuleux de la famille Portier-Kaltenbach qui a chéri au fil des générations ces témoignages d’un passé impérial.
Élodie Lefort
Décembre 2019
► Voir la robe et la traîne sur le site des collections de la Fondation Napoléon
► Découvrez un court reportage sur la restauration de cet ensemble textile :