Secrétaire à abattant

Période : Directoire-Consulat-Ier Empire/Directory-Consulate-1st Empire
Artiste(s) : BIENNAIS Martin-Guillaume
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Si Biennais est aujourd’hui associé à l’orfèvrerie, c’est par le métier de tabletier qu’il commença son activité à Paris en 1788 (Arch. nat. Y. 9334). Une boutique de tabletier renferme une production très variée constituée d’objets de piété (principalement des crucifix, des statuettes de saints), de plateaux de jeux, de dés ou des queues et boules de billard, les objets domestiques (peignes, éventails, cure-dents, cure-oreille, écritoires, étuis divers, boîtes et tabatières, cannes) qui utilisent beaucoup l’ivoire tourné. Entrer chez un tabletier permet ainsi d’acquérir mille petits objets utiles ou futiles pour un usage quotidien. Outre ces objets traditionnels, Biennais se fit rapidement la spécialité des boites de jeux et des nécessaires, qui firent sa renommée. Car cet habile artisan se doublait d’un négociant ingénieux, doté d’une stratégie commerciale infaillible. Installé dans la rue saint-Honoré dès 1788, au cœur du quartier du luxe parisien, il sut se faire remarquer très tôt après la Révolution, d’une clientèle avide de luxe et mais aussi de militaires à l’époque du Directoire, comme le général Bonaparte, à qui il fit crédit d’un nécessaire. Dès lors, sa boutique Au Singe Violet prit un essor considérable et sa renommée passa largement les frontières de l’Empire français. Mobilier, orfèvrerie, tabletterie proposés dans la boutique de la rue Saint-Honoré participèrent au rayonnement de l’industrie française et lui valurent deux médailles d’or lors des Expositions des produits de l’industrie française.

Ce fils de paysan normand incarne, par sa brillante réussite, le renouveau de l’artisanat français à ce tournant de l’histoire de France.

Secrétaire à abattant
Secrétaire à abattant © RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Franck Raux

Ce meuble d’une très belle facture est resté dans la descendance du tabletier jusqu’en 2013, moment où il entre par dation au musée national du château de Malmaison.

Sous l’apparence d’un secrétaire à abattant classique, ce meuble à l’usage privé de Martin Guillaume Biennais révèle en fait de nombreuses cachettes secrètes. Une fois l’abattant ouvert, l’aspect très compact de la distribution intérieure surprend. À l’habituel casier central entouré de tiroirs est substitué une superposition de huit petits tiroirs au-dessus desquels était disposé un coffret (aujourd’hui disparu et dont le volume a été restitué lors de la restauration du meuble par l’École Boulle en 2017). La partie basse, sans serrure, ne peut s’ouvrir que lorsqu’un petit bouton poussoir est actionné dans la partie supérieure du meuble. Une fois la porte ouverte, six larges tiroirs apparaissent.
Derrière ces alignements se cachent en fait encore de nombreuses surprises. Ce meuble comporte en effet douze casiers secrets, deux casiers à argent. Le coffre, qui prenait place autrefois derrière l’abattant, est amovible et installé dans une structure coulissante ingénieuse. En manipulant certains tiroirs et en faisant basculer les tablettes de fond, apparaissent bien dissimulés les casiers à argent. Il faut actionner un mécanisme pour déployer plusieurs niveaux de tiroirs et découvrir des boîtes secrètes. Par exemple, en enlevant le tiroir supérieur et en faisant basculer les fonds ou les côtés, on découvre deux boîtes cachées dans l’épaisseur de ceux-ci. Une aiguille positionnée dans un petit trou, déclenche un mécanisme pour libérer un caisson dissimulé dans le haut de la caisse sous le tiroir supérieur.

Dans la partie basse, une fois tous les tiroirs retirés, les panneaux latéraux tombent et libèrent des espaces à étagères pour ranger des papiers. En tout, ce sont treize secrets de différentes tailles et formes qui sont parfaitement disposés sur l’ensemble du meuble et dans tous les espaces intermédiaires. Par prudence, un membre de la famille Biennais a laissé dans le meuble le mode d’emploi de celui-ci. D’une calligraphie assurément du XIXe siècle, elle ne semble pas correspondre à l’écriture de Biennais et notamment à celle de sa signature. Les essences de bois utilisées rappellent d’ailleurs son métier de tabletier : la loupe précieuse et le genévrier (ce dernier a la vertu d’éloigner les insectes et ainsi préserve papiers et textiles). Ainsi ce meuble a été conçu avec l’intelligence d’un tabletier, selon le principe d’un nécessaire géant. Il témoigne de la carrière éblouissante de ce maître et de sa réussite sociale. Ce luxueux secrétaire est celui-là même qui trône avec sa petite fortune en pièces d’or bien cachée, dans la chambre de sa veuve en 1859, rue Saint-Honoré et résume à lui seul la vie et l’art de cet artisan. La signature est lisible sur la serrure de l’abattant : « Biennais Orf.re A Paris ».

Bibliographie : Meubles à secrets – secrets de meubles, Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, 17 Novembre 2018-18 février 2019.

Isabelle Tamisier-Vétois
Mars 2021

Isabelle Tamisier-Vétois est conservatrice au musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau. Elle est commissaire de l’exposition Martin Guillaume Biennais, l’orfèvre de Napoléon Ier proposée , à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, par la Propriété Caillebotte, partenaire du label « 2021 Année Napoléon ». Les visiteurs de cette exposition pourront y admirer ce secrétaire à abattant du 29 mai au 3 octobre 2021.

Date :
vers 1804-1814
Technique :
Loupe d’orme, genévrier, bronze doré, marbre bleu fleuri
Dimensions :
H = 154  cm, L = 75  cm, P = 39 cm
Lieux de conservation :
Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau Inv. M.M.2013.2.1, œuvre acquise par dation, 2013
Crédits :
© Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau
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