Une autre peinture au thème mythologique de Gérard mérite toute l’attention des amoureux de l’art : celle de l’histoire d’amour entre Flore et Zéphyr.
Ovide raconte ce mythe dans le livre V des Fastes ; Flore elle-même y explique au poète qui elle est, quels sont ses attributs, ses réalisations et justifie les jeux qui lui sont dédiés à Rome. À l’origine, Flore, ou Chloris chez les Grecs, est une nymphe des Îles Fortunées connue pour sa très grande beauté. Un printemps, Zéphyr, dieu du vent de l’Ouest, la voit et en tombe tout de suite éperdument amoureux. Il la poursuit, puis finit par l’enlever et l’épouser. Zéphyr offre alors à son épouse, devenue déesse, la « souveraineté des fleurs ». Flore relate au poète Ovide qu’elle s’est fixé pour mission de classer toutes les espèces de fleurs, sans y parvenir à cause de leur nombre. Liée à la ville de Rome, la déesse se voit offrir tous les ans, entre la fin avril et le début mai, des fêtes somptueuses qui se terminent par des jeux : les Floralia. Associé au printemps, aux fleurs bien sûr, à la jeunesse et à la beauté, le culte de Flore à Rome consiste plus concrètement en la protection de la floraison des plantes agraires.
Le baron Gérard, connaisseur de la mythologie, a choisi de représenter un moment presque d’intimité entre les deux époux. S’agissant d’un panneau décoratif, ses dimensions n’étonnent pas. Tout en hauteur, il mesure près d’un mètre et soixante-dix centimètres, au centre duquel trône Flore. Elle apparait dans toute sa nudité, avec un simple voile transparent retenu par une épingle dorée sous son coude qui subit les affres de Zéphyr. Ses mains semblent vouloir serrer contre son cœur le souffle d’amour de son amant. Les yeux clos, esquissant un léger sourire, elle adopte une position d’extase. Sa coiffure correspond à un chignon à la mode sous le Consulat, dont quelques boucles s’échappent. On notera l’absence de bijoux : Flore n’en a pas besoin, sa beauté et les fleurs lui suffisent amplement. Elle semble avancer à la surface du globe terrestre, entourée d’un ciel sombre, nuageux sur la partie inférieure. Ce traitement offre un contraste encore plus marqué entre le fond du tableau et la déesse encore plus lumineuse, comme si elle était elle-même une source de lumière.
Autour d’elle, sur sa peau et dans ses cheveux, tourbillonnent de nombreuses fleurs. La précision du travail de Gérard nous permet de facilement identifier certaines espèces : les roses, les pivoines, les marguerites, les asters ou encore les pensées sont autant de fleurs qui entourent la déesse. Elles apportent des touches de couleur qui rendent l’œuvre d’autant plus vivante et dynamique.
Jusqu’ici, les amours de la déesse des fleurs et du vent de l’Ouest ont souvent été traités de telle sorte que Zéphyr reprenne les traits d’un beau jeune homme le plus souvent ailé. Les plus connues demeurent probablement le Printemps et la Naissance de Vénus par Sandro Botticelli, on y reconnait Zéphyr avec ses joues gonflées qui enlève Flore. Le baron Gérard apparaît donc comme très novateur dans son traitement de Zéphyr : le vent ne pouvant être peint, sa présence est uniquement suggérée par les fleurs virevoltant autour de Flore et remontant vers son visage.
Ce grand tableau est un panneau peint à but décoratif qui devait orner les murs de l’hôtel particulier de Monsieur Benoît Gaudin, riche négociant. Situé rue du Mont-Blanc à Paris, dans le quartier à la mode dit de la « Chaussée d’Antin », l’hôtel en question porte alors le nom d’hôtel de Thun ; il a été construit par Étienne-Louis Boullée en 1771.
Gaudin l’achète en 1796 et demande à Charles Percier de se charger de la décoration de l’hôtel particulier. Les travaux préparatoires de la décoration de l’hôtel de Thun, devenu l’hôtel Gaudin, sont ainsi diffusés dans le Recueil de décorations intérieurs […], de Percier et Fontaine, identifiables grâce à la mention « exécuté à Paris pour M. G. ».
Parmi les pièces qu’ils décorent, une attention particulière est donnée à la chambre de Madame Gaudin. Les ornements sont nombreux et dans l’une des études colorisées pour cette chambre, un bleu profond est choisi. Amis du peintre Anne-Louis Girodet, ils lui commandent un panneau peint représentant Danaë (aujourd’hui conservé au musée de Leipzig) en 1798.
Le fond bleu, les fleurs très présentent, la verticalité de l’œuvre, la nudité et l’érotisme de Danaé sont autant de points communs avec l’œuvre de Gérard : elles forment un très beau diptyque.
Une énigme demeure : pourquoi n’ont-elles pas été peintes la même année ? La raison est peut-être assez simple : à l’origine, seule Danaé devait être abritée par l’hôtel de Benoît Gaudin. Or ce dernier vendit rapidement sa demeure à Auguste Ouvrard, frère de Gabriel-Julien Ouvrard, célèbre financier. Et a pu vouloir étoffer la décoration de la chambre de la maîtresse de maison vers 1802, date de la réalisation de l’œuvre par Gérard.
De là à imaginer qu’en réalité, c’est le frère du propriétaire de l’hôtel particulier, amant de la magnifique Madame Tallien, qui ait secrètement commandé ce portrait pour célébrer sa « Merveilleuse » maîtresse… Voilà une hypothèse qu’on n’émettra que… dans un souffle.
Aujourd’hui, l’hôtel Gaudin a disparu à la suite des travaux de percement du Second Empire. Heureusement, l’esprit de sa décoration demeure toujours grâce notamment à la Flore caressée par Zéphyr de Gérard.
Élodie Lefort
Septembre 2022
Bibliographie
• Bellenger S. (dir.), Girodet, 1767-1824, Paris, Musée du Louvre, Gallimard, 2005.
• Fontaine P., Mia vita, Mémoires privées, Paris, Éditions des cendres, 2017.
• Garric J.-P. (dir.), Charles Percier (1764-1838), architecture et design, Paris, Éditions de la Réunion des Musées nationaux, 2017.
• Hillairet J., Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Éditions de Minuit, 1963.
• Lafont A., « A la recherche d’une iconographie « incroyable » et « merveilleuse » : les panneaux décoratifs sous le directoire » in Annales historiques de la Révolution française, 2005 n°340, pp.5-21.
• Salmon X., François Gérard, 1770-1837, portraitiste : peintre des rois, roi des peintres, Paris, Château de Fontainebleau, Éditions de la Réunion des Musées nationaux, 2014.